Critique du volume manga
Publiée le Jeudi, 21 Septembre 2023
Trentenaire divorcé depuis six ans et n'ayant connu aucune relation depuis cette époque, Satô pensait avoir trouvé l'amour de sa vie en la personne de Serika, jeune prostituée avec qui il se sentait si bien qu'il a fini par beaucoup l'idéaliser, à tel point que la chute a été rude quand il a été rejeté par celle-ci. Depuis, son quotidien est plus que jamais en chute libre: il se replie sur lui-même, il démissionne de son travail actuel pour devenir prof à temps partiel dans une école d'Art (soit un job encore plus précaire que celui qu'il avait avant), il critique toutes ces relations où d'après lui les gens ne parlent que d'eux et ne pensent qu'à eux, il considère que rien n'a vraiment d'importance... Tout simplement, il se sent vide. Sauf sur un point: il se met à enchaîner les conquêtes, les coups d'un soir, quand il ne va pas visiter les maisons closes. Et même s'il se fiche royalement des blablas que toutes ces femmes lâchent, le fait est qu'il se sent bien contre leurs corps, qui lui procurent une certaine plénitude. Seulement, cette plénitude est toujours passagère, alors jusqu'où pourra durer cette situation ?
Si, au fil du premier tome d'Amour Placebo, Akane Torikai livrait déjà un portrait très cynique des rapports humains contemporains à travers son personnage principal si vide sentimentalement qu'il en était venu à totalement idéaliser une jeune femme qu'il ne connaissait pas tant que ça, la mangaka va peut-être encore plus loin, sur ce plan-là, dans ce deuxième et dernier volume où Satô, face à la réalité, est devenu plus désabusé que jamais. N'ayant plus d'intérêt pour grand chose, vivotant sans voir de perspective d'avenir fiable, incapable de se réjouir du bonheur de ses proches à commencer par celui de son amie de toujours Shibauchi, intérieurement il reproche sans cesse aux autres d'être égoïstes, sans forcément se rendre compte que lui-même est devenu quelqu'un qui ne pense qu'à sa gueule.
Cette forme d'égoïsme est évidemment due au vide affectif qui est le sien depuis plusieurs années, qu'il pensait combler avec Serika, et qui permet à Torikai d'aborder en profondeur, au fil de nombreux textes assez désabusés, la manière dont la société actuelle aliène la sincérité des relations, notamment à cause de l'importance de choses matérielles comme l'argent et donc le statut de bon parti, du sentiment de devoir se conformer au moule "mariage/enfants" sans quoi on n'est rien, et de nombreuses autres incertitudes de la vie où il faut faire des choix parfois hasardeux et à laquelle il peut être bien difficile de donner un sens.
Satô, lui, ne croit plus en l'amour voire en l'affection, si bien qu'il chercher désormais la satisfaction uniquement par le plaisir physique avec des femmes qui, par leur corps, lui offrent une présence un minimum rassurante. Le trentenaire n'est pas regardant sur ses relations: que ce soit avec une barmaid déjà divorcée deux fois, avec une mère proche de la cinquantaine qui a besoin de sous, avec une prostituée d'une maison close spécialisée dans les "grosses", avec une étudiante devant financer son voyage d'études... Il le fait avec n'importe qui, sans prendre en compte leur physique, leur âge, leur statut social, ce qui permet forcément à Torikai de poser un regard plus féminin et là aussi désabusé sur ce qui peut conduire au vide affectif (les divorces et son physique moyen pour la barmaid) et à la prostitution.
Jusque dans le choix final de son personnage principal qui a quelque chose de cynique et de résigné (à moins qu'il n'y trouve vraiment l'amour ?), Akane Torikai nous livre un récit assez profond et déstabilisant, qui a de quoi saper le moral dans la plupart des relations abordées, mais qui est sûrement nécessaire de par son portrait d'une certaine face de notre société contemporaine.