Critique du volume manga
Publiée le Vendredi, 15 Mars 2024
Enfin ! Huit ans après sa conclusion au Japon, et sept ans après la diffusion de sa très bonne adaptation animée (autrefois diffusée sur feu Wakanim, puis sortie en DVD et Blu-ray chez @Anime), le manga en six volume ACCA 13 débarque en France pour notre plus grand plaisir, et l'on doit à nouveau cette excellente surprise à l'éditeur Noeve Grafx, décidément souvent très intéressant dans ses choix de licence, quoi que l'on puisse dire sur ses rythmes de parution.
Prépubliée au Japon entre 2013 et 2016 dans le magazine Big Gangan de Square Enix, cette oeuvre nous permet de retrouver la mangaka Natsume Ono, dont le style élégant avait su nous régaler il y a plusieurs années aux éditions Kana avec les titres Gente, Ristorante Paradiso et Goyo (lui aussi adapté en anime sous le nom House Of Five Leaves), avant qu'on ne la retrouve l'année dernière dans un autre registre, sous le pseudonyme de Basso qu'elle réserve pour ses mangas boy's love, avec la publication chez Taifu Comics du très chouette A vos côtés en avril 2023.
Cette fois-ci, la mangaka nous invite à découvrir une histoire d'espionnage dans un pays fictif: le Royaume de Dowa, qui est divisé en 13 cantons autonomes et ayant chacun une culture propre, dont le roi approche de la fin de son règne puisqu'il a 99 ans, et qui vit une belle période de paix depuis tout autant de temps.
Véritable symbole de la paix qui perdure, la tentaculaire organisation ACCA s'applique, depuis sa création il y a un siècle, à préserver cette paix indépendamment du pouvoir, en supervisant et fédérant les institutions comme la police, les pompiers ou encore les services de santé. Pour cela, en plus de son bureau central dans la capitale, elle possède des antennes dans chacun des 13 cantons, ce qui facilite ses activités.
Et c'est au coeur de cette organisation qu'existe la brigade de contre-espionnage, chargé notamment de contrôler régulièrement, souvent à l'improviste, les données de l'organisation ainsi que les agents en poste dans les différents cantons.
Ajoutons à cela quelques informations supplémentaire sur l'Histoire du royaume depuis 200 ans dans le dernier chapitre, et on peut dire qu'au fil de ce premier volume, Natsume Ono installe fort bien son petit univers rigoureux. Et elle le fait avec d'autant plus d'immersion que l'on découvre bien des choses à travers son personnage principal, Jean Ortas, le sous-chef de la brigade de contre-espionnage. Tout en découvrant son train de vie aussi nonchalant que "luxueux" (il vit dans un immeuble de bourges en centre-ville alors qu'il gagne peu, il a toujours la clope au bec alors que le tabac est lourdement taxé, si bien qu'on sent qu'il a ses petits secrets lui aussi), on voit s'installer nombre de visages importants gravitant autour de lui (sa soeur avec qui il vit, son ami journaliste indépendant Nino, ses collègues, la directrice Mauve, les cinq secrétaires, le sous-directeur Pochard, l'intrigant agent Rayle), et surtout on apprend à cerner les différents talent qu'exige son poste, au fil de premières brèves affaires: repérer le moindre petit détail qui cloche, ne faire confiance aveuglément à personne,toujours douter un minimum de tout, savoir laisser traîner ses oreilles, sentir quand on est observé/surveillé, être bien renseigné à l'avance... A chaque instant, l'autrice sait nous faire ressentir avec précision et immersion ces rigoureuses facultés, et celles-ci ne seront sans doute pas de trop pour certains événements qui semblent se préparer...
Car évidemment, même s'il est avant tout un tome de mise en place, ce premier opus d'ACCA 13 ne se limite pas tout à fait à cela. Tandis que certaines affaires perdurent en filigranes (comme les incendies qui se multiplient), il est déjà question de rumeurs sur un possible futur coup d'Etat, rumeurs face auxquelles il va devenir crucial de la jouer fine en se méfiant plus que jamais de tout le monde... y compris de Jean lui-même. Détesté par certains à cause de son train de vie, ayant lui-même un rapport nonchalant à un travail qu'il ne semble pas spécialement aimé mais dans lequel il persiste pourtant, se sentant surveillé de près par certains hauts placés qui l'ont dans leur viseur, Jean peut, tout autant que tous les autres personnages, susciter bien des suspicions. Et c'est peut-être là le principal tour de force de Natsume Ono: nous pousser à nous méfier d'absolument chaque visage dans son casting, y compris son personnage principal lui-même. Difficile de faire plus stimulant dans un récit d'espionnage !
Enfin, pour porter tout ça, on retrouve avec joie le style graphique si reconnaissable de la mangaka. Un style pouvant éventuellement demander un temps d'adaptation si on ne le connaît pas encore, tant il peut sortir des sentiers battus avec ses moments épurés, ses vapeurs de cigarette et surtout ses silhouettes très élancées et anguleuses. Mais un style révélant vite ses qualité dans un récit d'espionnage de ce style, en offrant un rendu assez posé mais toujours immersif, où l'on se laisse notamment happer par l'allure de dandy, d'élégant nonchalant, de Jean.
On se retrouve donc avec un premier volume très plaisant, qui pose bien toutes les bases en termes d'univers, de personnages, de rythme et d'ambiance, tout en laissant deviner un scénario qui se révélera toujours plus solide au fil des tomes (celles et ceux ayant vu l'anime le savent bien). On (re)découvrira donc avec beaucoup d'intérêt la suite de cette histoire entremêlant les suspicions sur fond de complot !
Pour finir, quelques mots sur l'édition française, qui est très bonne dans l'ensemble puisque l'on y reprochera seulement un peu de moirage sur certaines trames. A part ça, le papier est à la fois souple et assez opaque (même si une légère transparence peut survenir parfois), l'impression est de bonne qualité, la traduction de Cyril Coppini est impeccable, le lettrage de Lise Flety est très propre, les quatre premières pages en couleurs sont un plus très appréciable, et la jaquette reste très fidèle à la version japonaise jusque dans son logo-titre, tout en étant rehaussée d'éléments en vernis sélectifs (dont un translucide et très joli en quatrième de couverture).