À la base pas spécialement attiré par cette histoire, je ne suis pas allé voir le film d'animation au cinéma, et je n'avais davantage l'intention de me pencher sur la version roman. Mais puisque je suis tombé dessus en braderie pour une bouchée de pain, autant lui laisser une chance.
On suit Suzu, une lycéenne introvertie qui vit dans un village paumé et n'arrive plus à chanter depuis le décès de sa mère, des années plus tôt. Sa découverte du monde virtuel / réseau social U lui permettra de recommencer à chanter sous la forme de son avatar, Bell (bientôt renommé Belle par le public), avec un succès fulgurant. Elle y croisera également la route de la bête, ou plutôt du Dragon, traqué par d'autoproclamés représentants de la justice et dont l'allure monstrueuse semble dissimuler une certaine détresse...
Alors autant crever l'abcès tout de suite : il y a un gros problème avec U. Que l'œuvre repose en partie sur un univers virtuel, d'accord, ce n'est pas ce qui m'attire mais c'est le postulat de base. Sauf que dans ce cas, le minimum, c'est de lui poser des règles claires et surtout de s'y tenir. Là non, l'auteur n'arrête pas de les modifier en fonction des envies ou des besoins scénaristiques. Ici vous serez quelqu'un d'autre... mais l'application exige votre photo pour générer elle-même votre avatar. Ça limite clairement l'idée de devenir quelqu'un d'autre, mais si c'est la règle, d'accord. Sauf que non, une fois dedans on croise tout et n'importe quoi, des utilisateurs apparaissent sous forme d'animaux, de bébés, de tout ce qu'ils veulent. Alors pourquoi cette histoire de photo ? Pour que Suzu soit reconnaissable avec ses taches de rousseur ? Pour lui imposer une forme humaine parce qu'autrement, avec son caractère, elle choisirait plutôt l'apparence d'une petite souris ? Même sans compter l'avatar, pendant presque toute l'histoire on a l'impression que l'utilisateur est en immersion totale lorsqu'il se plonge dans U (un peu comme ces jeux qui servent d'introduction à bon nombre d'isekais), et puis tout à coup paf, Suzu agit dans le monde réel et dans U en tant que Belle en même temps. Comment ça marche, du coup ? Non parce que Suzu n'agit clairement pas dans U qu'à travers un écran, c'est dans la peau de Belle qu'elle chante, qu'elle vit ces aventures... Ou encore, on peut entrer ou sortir de U à sa guise... mais quand on rencontre un problème dans l'univers virtuel, se déconnecter n'est pas une option ? Il faut forcément rester coincé, acculé ? Il y a une vraie raison ou c'est juste que sinon ça ne marche pas pour le scénario ? Paniquer et ne pas avoir le réflexe de se déconnecter la première fois, je veux bien (et même alors, ça nécessiterait au moins une mention après coup : « zut ! pourquoi n'ai-je pas tout simplement pensé à me déconnecter ? »), mais si ça se répète, ça devient ridicule. Enfin bref, centrer l'histoire sur les personnages et leurs interactions, c'est bien beau, mais rendre l'univers cohérent, ce serait pas mal non plus. Puisqu'on parle de U, notons tout de même une représentation assez juste du comportement des utilisateurs, avec l'effet troupeau, les réactions qui versent bien souvent dans l'excès (positif autant que négatif), où les bienfaits et les dérives se côtoient. En somme, un tableau ni tout noir ni tout blanc : il ne s'agit pas de porter un jugement sur les réseaux, mais plutôt de les voir comme une partie intégrante de la vie adolescente moderne.
Maintenant, si on laisse de côté la question de l'univers virtuel, je dois reconnaître que l'histoire se suit plutôt bien... mais elle souffre ponctuellement de scènes trop vite expédiées, ou mal organisées / contextualisées. Par exemple, en consultant son smartphone, Suzu paraît stupéfaite tant par le succès viral de sa chanson que par les très nombreuses mises en scène et en musique ; en panique, elle se précipite chez son amie Hiro, et là on découvre non seulement que c'est Hiro elle-même qui a orchestré tout ça, mais qu'en plus Suzu était déjà au courant et qu'en réalité seuls les chiffres et les commentaires avaient de quoi la surprendre. Pour en rajouter une couche, après ça les parents de Hiro débarquent, le père est furieux sans qu'on sache pourquoi, on croit qu'il s'est passé quelque chose, on attend une explication... mais non, la mère décrète simplement qu'elle n'a plus le droit d'utiliser le salon puis on passe à autre chose et on n'en entend plus parler. Si c'était parce qu'elles faisaient trop de bruit, dites-le ! Là, ça laisse juste l'impression que le père est furieux que sa fille s'amuse, genre entendre le rire de sa progéniture suffit à le foutre en rogne (ce qui n'est pas impossible non plus, mais dans ce cas ça mériterait d'autant plus d'être mentionné). Dans un film, je veux bien comprendre qu'il y ait des impératifs de temps, qu'on ne puisse pas forcément tout mettre, mais une novélisation est justement l'occasion de prendre plus de temps et d'apporter des compléments qui n'apparaissent pas à l'écran. N'ayant pas vu le film, je ne sais pas ce qu'il en est réellement, mais ce roman ne donne vraiment pas l'impression de chercher à creuser le scénario, il se contente de narrer superficiellement les événements.
Et enfin côté personnages, on trouve une bonne dynamique dans l'entourage de Suzu, jouant sur différents niveaux de proximité (son père avec qui elle n'arrive plus à communiquer ; les bienveillantes dames de la chorale ; ses quelques camarades de lycée qui lui parlent même quand elle ne sait pas trop comment se comporter avec eux, par opposition à tous ceux qui la considèrent comme une asociale et se tiennent à l'écart), et le contraste avec la masse anonyme de U qui traite Belle comme une nouvelle idole à vénérer ou détester. Rien de très mémorable concernant les personnages eux-mêmes, en revanche. C'est plus subjectif mais j'ajouterais même que j'ai beaucoup de mal avec Hiro (la meilleure amie), je n'arrive pas à la voir autrement qu'une mêle-tout tête à claques. Dans le genre tête à claques, l'héroïne se pose là aussi, par moments. Pas quand elle est juste la timide Suzu, mais quand elle est sous l'avatar de Belle : elle n'est pas d'accord avec l'attitude générale à l'encontre du Dragon, mais plutôt que de l'approcher en douceur, elle décide de le harceler tout pareil ! Elle est pourtant bien placée pour comprendre qu'il ne veuille pas dévoiler son identité ! Côté Dragon en revanche, il est appréciable de constater que le secret de son identité évite le piège de la facilité et du prévisible, et de se rendre compte que la révélation a été suffisamment (mais discrètement) préparée en amont pour paraître pertinente sans pour autant sortir de nulle part (comme la vraie identité de Belle semble sortir de nulle part aux yeux du monde). Après, de là à dire que les événements suivant cette révélation sont convaincants... meh.
Au final, en tant que roman, Belle propose une histoire, des idées intéressantes, mais souffre de trop de lacunes pour être vraiment satisfaisant. De plus, si le style simple et terre à terre offre une lecture fluide et rapide, il échoue aussi à nous emporter véritablement, à faire ressortir l'émotion dans les moments forts. Après tout, faire ressortir l'émotion du chant - ou de n'importe quelle autre création / prestation artistique - à travers du texte seul, ce n'est pas du tout la même chose que de l'entendre / voir dans un film. Pour ce qui est de l'aspect novélisation, difficile de juger sans avoir vu le film correspondant. Mais pour comparer avec un autre représentant dans ce domaine, les novélisations de Makoto Shinkai fonctionnent beaucoup mieux, et pas uniquement parce qu'il n'y a pas de chansons dans son cas (attention, je ne compare pas les films ou les talents de cinéaste, uniquement le talent de conteur quand on passe de l'écran à l'écrit). Dans le cas de Belle, peut-être aurait-il mieux valu confier l'écriture du roman à quelqu'un d'autre. Quant au film... en fait, je serais plutôt curieux de le regarder. Déjà, pour la dimension spectaculaire, parce que certaines scènes doivent être assez folles à l'écran. Pour voir, aussi, si je lui trouve les mêmes défauts ou s'il arrive à m'emporter suffisamment pour passer outre. Et quelque part, parce que je serais curieux d'entendre les chansons, aussi (en VO, merci bien), et la musique d'une manière plus générale. Mais bon, vu que je n'ai pas l'intention d'investir dans le DVD/blu-ray, et que je ne suis abonné à aucune plateforme de streaming, ça risque de ne pas arriver de sitôt !
De Voq [735 Pts], le 05 Juin 2022 à 13h04
À la base pas spécialement attiré par cette histoire, je ne suis pas allé voir le film d'animation au cinéma, et je n'avais davantage l'intention de me pencher sur la version roman. Mais puisque je suis tombé dessus en braderie pour une bouchée de pain, autant lui laisser une chance.
On suit Suzu, une lycéenne introvertie qui vit dans un village paumé et n'arrive plus à chanter depuis le décès de sa mère, des années plus tôt. Sa découverte du monde virtuel / réseau social U lui permettra de recommencer à chanter sous la forme de son avatar, Bell (bientôt renommé Belle par le public), avec un succès fulgurant. Elle y croisera également la route de la bête, ou plutôt du Dragon, traqué par d'autoproclamés représentants de la justice et dont l'allure monstrueuse semble dissimuler une certaine détresse...
Alors autant crever l'abcès tout de suite : il y a un gros problème avec U. Que l'œuvre repose en partie sur un univers virtuel, d'accord, ce n'est pas ce qui m'attire mais c'est le postulat de base. Sauf que dans ce cas, le minimum, c'est de lui poser des règles claires et surtout de s'y tenir. Là non, l'auteur n'arrête pas de les modifier en fonction des envies ou des besoins scénaristiques.
Ici vous serez quelqu'un d'autre... mais l'application exige votre photo pour générer elle-même votre avatar. Ça limite clairement l'idée de devenir quelqu'un d'autre, mais si c'est la règle, d'accord. Sauf que non, une fois dedans on croise tout et n'importe quoi, des utilisateurs apparaissent sous forme d'animaux, de bébés, de tout ce qu'ils veulent. Alors pourquoi cette histoire de photo ? Pour que Suzu soit reconnaissable avec ses taches de rousseur ? Pour lui imposer une forme humaine parce qu'autrement, avec son caractère, elle choisirait plutôt l'apparence d'une petite souris ?
Même sans compter l'avatar, pendant presque toute l'histoire on a l'impression que l'utilisateur est en immersion totale lorsqu'il se plonge dans U (un peu comme ces jeux qui servent d'introduction à bon nombre d'isekais), et puis tout à coup paf, Suzu agit dans le monde réel et dans U en tant que Belle en même temps. Comment ça marche, du coup ? Non parce que Suzu n'agit clairement pas dans U qu'à travers un écran, c'est dans la peau de Belle qu'elle chante, qu'elle vit ces aventures...
Ou encore, on peut entrer ou sortir de U à sa guise... mais quand on rencontre un problème dans l'univers virtuel, se déconnecter n'est pas une option ? Il faut forcément rester coincé, acculé ? Il y a une vraie raison ou c'est juste que sinon ça ne marche pas pour le scénario ? Paniquer et ne pas avoir le réflexe de se déconnecter la première fois, je veux bien (et même alors, ça nécessiterait au moins une mention après coup : « zut ! pourquoi n'ai-je pas tout simplement pensé à me déconnecter ? »), mais si ça se répète, ça devient ridicule.
Enfin bref, centrer l'histoire sur les personnages et leurs interactions, c'est bien beau, mais rendre l'univers cohérent, ce serait pas mal non plus.
Puisqu'on parle de U, notons tout de même une représentation assez juste du comportement des utilisateurs, avec l'effet troupeau, les réactions qui versent bien souvent dans l'excès (positif autant que négatif), où les bienfaits et les dérives se côtoient. En somme, un tableau ni tout noir ni tout blanc : il ne s'agit pas de porter un jugement sur les réseaux, mais plutôt de les voir comme une partie intégrante de la vie adolescente moderne.
Maintenant, si on laisse de côté la question de l'univers virtuel, je dois reconnaître que l'histoire se suit plutôt bien... mais elle souffre ponctuellement de scènes trop vite expédiées, ou mal organisées / contextualisées.
Par exemple, en consultant son smartphone, Suzu paraît stupéfaite tant par le succès viral de sa chanson que par les très nombreuses mises en scène et en musique ; en panique, elle se précipite chez son amie Hiro, et là on découvre non seulement que c'est Hiro elle-même qui a orchestré tout ça, mais qu'en plus Suzu était déjà au courant et qu'en réalité seuls les chiffres et les commentaires avaient de quoi la surprendre. Pour en rajouter une couche, après ça les parents de Hiro débarquent, le père est furieux sans qu'on sache pourquoi, on croit qu'il s'est passé quelque chose, on attend une explication... mais non, la mère décrète simplement qu'elle n'a plus le droit d'utiliser le salon puis on passe à autre chose et on n'en entend plus parler. Si c'était parce qu'elles faisaient trop de bruit, dites-le ! Là, ça laisse juste l'impression que le père est furieux que sa fille s'amuse, genre entendre le rire de sa progéniture suffit à le foutre en rogne (ce qui n'est pas impossible non plus, mais dans ce cas ça mériterait d'autant plus d'être mentionné).
Dans un film, je veux bien comprendre qu'il y ait des impératifs de temps, qu'on ne puisse pas forcément tout mettre, mais une novélisation est justement l'occasion de prendre plus de temps et d'apporter des compléments qui n'apparaissent pas à l'écran. N'ayant pas vu le film, je ne sais pas ce qu'il en est réellement, mais ce roman ne donne vraiment pas l'impression de chercher à creuser le scénario, il se contente de narrer superficiellement les événements.
Et enfin côté personnages, on trouve une bonne dynamique dans l'entourage de Suzu, jouant sur différents niveaux de proximité (son père avec qui elle n'arrive plus à communiquer ; les bienveillantes dames de la chorale ; ses quelques camarades de lycée qui lui parlent même quand elle ne sait pas trop comment se comporter avec eux, par opposition à tous ceux qui la considèrent comme une asociale et se tiennent à l'écart), et le contraste avec la masse anonyme de U qui traite Belle comme une nouvelle idole à vénérer ou détester.
Rien de très mémorable concernant les personnages eux-mêmes, en revanche. C'est plus subjectif mais j'ajouterais même que j'ai beaucoup de mal avec Hiro (la meilleure amie), je n'arrive pas à la voir autrement qu'une mêle-tout tête à claques. Dans le genre tête à claques, l'héroïne se pose là aussi, par moments. Pas quand elle est juste la timide Suzu, mais quand elle est sous l'avatar de Belle : elle n'est pas d'accord avec l'attitude générale à l'encontre du Dragon, mais plutôt que de l'approcher en douceur, elle décide de le harceler tout pareil ! Elle est pourtant bien placée pour comprendre qu'il ne veuille pas dévoiler son identité !
Côté Dragon en revanche, il est appréciable de constater que le secret de son identité évite le piège de la facilité et du prévisible, et de se rendre compte que la révélation a été suffisamment (mais discrètement) préparée en amont pour paraître pertinente sans pour autant sortir de nulle part (comme la vraie identité de Belle semble sortir de nulle part aux yeux du monde). Après, de là à dire que les événements suivant cette révélation sont convaincants... meh.
Au final, en tant que roman, Belle propose une histoire, des idées intéressantes, mais souffre de trop de lacunes pour être vraiment satisfaisant. De plus, si le style simple et terre à terre offre une lecture fluide et rapide, il échoue aussi à nous emporter véritablement, à faire ressortir l'émotion dans les moments forts. Après tout, faire ressortir l'émotion du chant - ou de n'importe quelle autre création / prestation artistique - à travers du texte seul, ce n'est pas du tout la même chose que de l'entendre / voir dans un film.
Pour ce qui est de l'aspect novélisation, difficile de juger sans avoir vu le film correspondant. Mais pour comparer avec un autre représentant dans ce domaine, les novélisations de Makoto Shinkai fonctionnent beaucoup mieux, et pas uniquement parce qu'il n'y a pas de chansons dans son cas (attention, je ne compare pas les films ou les talents de cinéaste, uniquement le talent de conteur quand on passe de l'écran à l'écrit). Dans le cas de Belle, peut-être aurait-il mieux valu confier l'écriture du roman à quelqu'un d'autre.
Quant au film... en fait, je serais plutôt curieux de le regarder. Déjà, pour la dimension spectaculaire, parce que certaines scènes doivent être assez folles à l'écran. Pour voir, aussi, si je lui trouve les mêmes défauts ou s'il arrive à m'emporter suffisamment pour passer outre. Et quelque part, parce que je serais curieux d'entendre les chansons, aussi (en VO, merci bien), et la musique d'une manière plus générale. Mais bon, vu que je n'ai pas l'intention d'investir dans le DVD/blu-ray, et que je ne suis abonné à aucune plateforme de streaming, ça risque de ne pas arriver de sitôt !