MURATA Range - Actualité manga

MURATA Range 村田蓮爾

Interview de l'auteur

Publiée le Jeudi, 05 Avril 2018

Le weekend du 10 mars, le salon Japan Tours Festival recevait Range Murata, un nom qui est bien connu pour son travail d'illustrateur, et pour avoir conçu le character design de certains animes à succès comme Last Exile, Blue Submarine n°6, Shangri-La et plus récemment ID-0. On lui doit également la création du magazine collectif expérimental Robot, sorti en France chez Glénat.

Pour sa présence sur le salon, M. Murata n'a pas chômé, entre ses séances de dédicaces, une masterclass, une conférence publique, et des interviews. Manga-news a justement eu la chance de pouvoir le rencontrer pour une interview dont voici le compte-rendu !



Range Murata, merci beaucoup d'avoir accepté cette interview. Au départ, qu'est-ce qui vous attiré vers l'art et le design ? Des artistes ou des œuvres en particulier ?

Range Murata : Tout au début, quand j'étais petit, vers l'âge de 5 ou 6 ans, en étant en visite chez mon grand-père pour la période du Nouvel An, j'ai croisé des cousins qui avaient quelques années de plus que moi et qui dessinaient très bien les voitures, les trains, les mechas... Du coup, je voulais faire de beaux dessins comme eux, et c'est comme ça que j'ai commencé à être attiré par le dessin.


Donc en premier, ce n'est pas le dessin de personnages qui vous attirait, mais bien le dessin de machines ?

Exactement. De mémoire le premier dessin que j'ai fait était dans ce genre-là.

Et il n'y a pas vraiment d'artiste qui a forgé mon envie de dessiner au départ.



Il semble que vous aimiez beaucoup les Arts de la première moitié du 20ème siècle. On pense forcément au steampunk, entre autres, un courant qui se retrouve un peu dans Last Exile. Est-ce bien un courant que vous appréciez, avec ses machines ?

Bien sûr, je suis très influencé par cette époque. Mais c'est particulièrement l'âge des machines industrielles aux Etats-Unis dans les années 1920-1930 qui m'intéresse et m'influence.


Votre carrière a commencé au début des années 90 avec des travaux dans le domaine du jeu vidéo, des illustrations pour des magazines adultes comme l'Ultra Jump, des dessins de publicités. Quel souvenir gardez-vous de cette période ?

Dans l'entreprise de jeux vidéo où j'ai commencé à travailler, j'étais dans la section dessin pour la promotion, et c'était un travail 24h sur 24. Il y avait des collègues qui ne rentraient pas chez eux pendant deux semaines, quand ils rentraient chez eux c'était parfois juste pour quelques minutes pour se changer ou se doucher... C'était un travail intéressant, mais au bout d'un ou deux ans ça devenait très fatigant, et ce n'était pas ce que je voulais faire.


Et qu'est-ce que ces expériences vous ont appris ?

J'ai pu y travailler plus en profondeur le dessin sur papier, notamment les expressions du visage et des petits détails.

Le magazine pour lequel j'ai fait des illustrations du jeu était hebdomadaire, donc c'était un travail vraiment soutenu, et du coup je pense aussi que ça m'a permis d'avoir une certaine rigueur.

Tout ce travail de promotion était intéressant.



Votre carrière en animation a démarré et décollé en 1998 avec les OAV Blue Submarine N°6. A son époque, le projet était novateur et ambitieux et repoussait les prouesses du numérique. Du coup, quels étaient les grands enjeux et les principales difficultés dans l'élaboration du chara design, pour bien coller aux ambitions du projet ?

Tout au début de ce projet, pour le character design, moi je n'avais pas conscience que Blue Submarine resterait gravé ainsi dans l'animation japonaise. On en parle encore aujourd'hui, mais de mon côté à l'époque je me suis contenté de faire mes designs et de créer mes illustrations, car c'était tout simplement mon travail.

Souvent, dans ce type de travail, c'était des personnes travaillant déjà dans l'animation qui se chargeaient aussi du travail de character design, donc j'ai été un peu surpris quand je me suis retrouvé à ce poste.

De plus, mes dessins comportaient beaucoup de traits, et pour l'animation en 3D le reste de l'équipe a dû enlever beaucoup de détails sinon ça n'allait pas. Ils ont aussi changé certaines formes pour que ça rende mieux en 3D. Beaucoup d'animateurs devaient donc retravailler mes designs. Moi, je ne connaissais pas la réalisation et l'animation, j'étais simplement chara designer sur papier, mais l'équipe m'a laissé une liberté totale pour la création des designs.

J'ai entendu dire après coup que c'était un projet-test, et que personne dans l'équipe n'en attendait de grand succès. Tout le monde abordait ce projet en se disant simplement « Est-ce qu'on est capable de faire quelque chose en 3D d'un bout à l'autre ? », et sans penser aux ventes. Je pense que c'est aussi pour ça que j'étais complètement libre, et c'était très bien.



En 2003 on vous retrouve au chara design de la série devenue culte Last Exile, une oeuvre originale et ambitieuse, qui mêle des inspirations steampunk, SF et fantasy. Du coup, quels étaient les principaux enjeux dans l'élaboration du design des personnages ? Que ce soit dans leur physique, leur coiffure, leurs vêtements...

Je voulais intégrer dans le design de Last Exile une certaine image européenne. L'époque où se déroule la série est sombre, et du coup j'avais peur de faire quelque chose d'un peu trop ordinaire. Or, je ne voulais pas que ce soit ordinaire, et j'ai donc ajouté mes goûts que vous avez évoqués.

Dans Last Exile, en gros, on peut dire qu'il y a  4 sortes de vêtements différents. D'abord, des vêtement de vie, du quotidien, mais dans un contexte un peu pauvre, du coup j'ai choisi des couleurs sombres. Ensuite, des tenues militaires, pour lesquelles j'ai essentiellement puisé dans les vêtements français napoléoniens et dans des films comme The Patriot. Puis un autre type d'habits militaires, typés Première guerre mondiale avec des choses plus carrées et des influences allemandes. Et enfin,  il y a les costumes de la Guilde, avec des personnages comme Dio et Luciola. Ceux-là viennent d'un univers complètement différent, et je me suis longtemps demandé comment les habiller.


Huit ans plus tard, en 2011, vous avez signé le chara design de la suite, Last Exile : Fam, The Silver Wing. Quelles ont été les difficultés pour se replonger tant d'années après dans l'univers de Last Exile ?

Concernant le laps de temps de huit ans, ce n'est pas ma faute (rires). Les producteurs avaient d'autres projets en parallèle de la suite de Last Exile, et celle-ci était toujours à la fin de leur liste. Pendant ce temps, le studio Gonzo était au bord de la faillite pendant ces années-là, elle n'avait plus de budget. De son côté, Koichi Chigira, le réalisateur de Last Exile, disait toujours qu'il voulait faire une suite à Last Exile, il a constamment continué de rappeler ce projet, puis il m'a appelé pour qu'on refasse ça ensemble. Le bon moment a fini par arriver, huit ans plus tard.

Pour le travail en lui-même sur cette suite, pour moi ça a été toujours autant de plaisir. Je voulais faire un univers encore différent de la première série, et il fallait donc beaucoup réfléchir sur de nouveaux designs, de nouveaux caractères. C'était très difficile, mais très plaisant.



Du coup, dans cette suite, qu'avez-vous cherché à vraiment apporter de nouveau dans le design ?

J'ai surtout voulu apporter du neuf via les adversaires. Dans mon esprit, ils devaient venir d'un désert, d'un pays un peu sec, et j'ai alors puisé mes sources dans le Moyen-Orient. C'est pour ça que leurs habits ou leur palais ont un style un peu oriental et indien.


On vous doit aussi en 2009 le character design de Shangri-La. Quelles étaient les consignes et les difficultés de ce projet-là ?

Pour Shangri-La, le roman était déjà sorti. J'étais bien sûr obligé de suivre son univers et ses personnages.



Vous n'avez rien cherché à vraiment retravailler par rapport au matériel déjà existant ?

Il y a eu quelques changements, pour coller à la réalisation de l'anime. C'est le scénariste qui les a décidés, pas moi. Ca pouvait être un caractère, une couleur... De mon côté je me suis plié aux demandes. J'ai changé des petites choses, mais uniquement selon les besoins du scénariste.


En 2017 vous êtes revenu à l'animation en élaborant le character design original de la série ID-0, disponible sur Netflix. Comment vous êtes-vous retrouvé sur ce projet ? Comment s'est-il déroulé ?

On m'a simplement appelé pour travailler sur ID-0, mais c'était une équipe que je ne connaissais pas. Je ne sais pas qui m'a choisi moi, mais apparemment quelqu'un leur a dit qu'il fallait travailler avec moi. J'étais honoré. En plus, c'était la première fois que je pouvais travailler sur du robot, qui plus est en 3D, et j'étais très excité et content.



Quelles étaient les difficultés dans ce design ?

Le façon de travailler la 3D, c'est un peu particulier, surtout pour l'élaboration des designs où il y a certaines conditions très sévères ou limitées. Par exemple, les personnages étant dans l'espace, ils devaient avoir des habits très précis avec pas mal de restrictions. Et avec les casques, je ne pouvais pas me permettre des petites fantaisies que j'aime sur les coiffures. Qui plus est, pour de la 3D, il faut penser absolument tous les contours des personnages, contrairement à la 2D où on peut se contenter de quelques angles.

Bien sûr, c'est réalisable quand on a le temps et l'argent, mais le producteur disait qu'on n'avait aucun des deux (rires).


Interview réalisée par Koiwai. Remerciements à Range Murata, à son interprète, et à l'équipe de Japan Tours Festival. Mise en ligne le 05/04/2018.