Kunihiko IKUHARA - Actualité manga

Kunihiko IKUHARA 幾原邦彦

Interview de l'auteur

Publiée le Mercredi, 01 Novembre 2017

Kunihiko Ikuhara est un artiste clé dans la saga animée Sailor Moon, puisqu'il a notamment réalisé  Sailor Moon S. Il a aussi réalisé la série et le film Utena, et on lui doit enfin Mawaru Penguindrum et Yurikuma Arashi. Présent pendant la dernière édition de Paris Manga, il a notamment tenu une conférence publique animée par son interprète et agent Emmanuel Bochew. En voici le compte-rendu, en attendant notre interview de ce grand artiste !

Après une salve d'applaudissements lors de son arrivée, les questions-réponses avec le public ont commencé.
   


Est-ce que c'est dur de faire un anime ?

Kunihiko Ikuhara : La grande difficulté en tant que réalisateur, c'est que l'on travaille avec énormément de personne. Il faut être capable de bien les impliquer, et d'exploiter les talents de chacun pour qu'ils travaillent efficacement.


Combien d'animes avez-vous fait ?

En tant que réalisateur, j'ai conçu 5 œuvres différentes. Au total, ça revient à peu près à 150 épisodes.


Il y a énormément de différences entre le manga et l'anime de Sailor Moon. Jusqu'où Toei, le studio de production, vous laissait des libertés sur la réalisation ?

On va dire dire que la bride a vraiment été lâchée à partir de Sailor Moon S, la 3ème année.

  


Quelles difficultés entre Sailor Moon R et S concernant les personnages ?

Sur Sailor Moon R, on se focalisait sur certains personnages, et les autres avaient du mal à être bien visibles. Pour Sailor Moon S, vu qu'il y a eu la création de deux nouveaux personnages, on a rééquilibré les choses et veillé à ce que les deux nouveaux visages s'intègrent bien, tout en veillant à faire vivre le noyau dur.


Il paraît qu'à l'époque de Sailor Moon S vous vouliez faire un film sur Sailor Uranus et Sailor Neptune, que ça n'a pas pu se faire, et que c'est c'est ce qui vous a amené à la création d'Utena. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette rumeur de film avorté ?

La rumeur est tout à fait, j'avais bien un projet de film. Si ça ne s'est pas fait, c'est parce que le projet était une volonté de l'équipe, mais pas de la production.


Utena, à son époque, était très particulière par rapport aux autres séries avec des héroïnes. L'avez-vous fait avec cette volonté de changer par rapport à Sailor Moon ?

Il faut bien comprendre que Sailor Moon était une production de Toei, donc il fallait rester dans le cadre imposé par Toei. Il fallait faire un dessin animé pour les enfants. A cette époque, si je voulais faire un dessin animé en dehors du studio Toei, c'était très difficile (c'est plus facile aujourd'hui). Mais à cette époque-là, j'avais le sentiment que le public attendait une œuvre plus adulte, quelque chose de plus profond et pouvant interroger les spectateurs mâtures. C'est un peu ça, la genèse d'Utena.




Concernant Mawaru Penguindrum, qu'est-ce qui vous a donné envie d'écrire et de réaliser cette série ?

Il y a une quinzaine d'année, j'ai remarqué que dans la société au Japon il y avait un grand changement parmi les moins de 30 ans. Il y avait beaucoup de personnes non mariées, de femmes célibataires, alors qu'en apparence on pensait que la société japonaise était toujours pareille, avec des familles bien unies. Quand on regardait bien à l'arrière de tout ça, il y avait une déstructuration, voire une destruction de la famille, et j'avais envie de travailler sur ce thème. Montrer non pas la réalité de façade, mais la réalité d'une famille détruite.


Qu'est-ce qui vous a amené à la réalisation, et qu'est-ce qui vous plaît le plus dans ce métier ?

Je suis devenu réalisateur simplement parce que j'ai réussi le test de réalisation chez Toei, un peu par hasard. Et je n'aime rien, c'est vraiment trop difficile. Pour être franc, j'ai surtout envie de pouvoir créer mes propres oeuvres, et être réalisateur m'offre cette possibilité.


Dans vos réalisations on retrouve toujours des thèmes musicaux forts. Quel est le processus créatif de musiques aussi marquantes ?

La musique est un élément primordial dans l'animation. Elle permet de veiller au rythme des œuvres. Personnellement, quand je réalise une œuvre, je m'imagine toujours quelle musique va pouvoir sublimer telle image.



Sur certaines séries comme Nodame Cntabile, vous avez juste réalisé l'opening, et à l'instar de vos séries c'est toujours très travaillé. Appréciez-vous créer des génériques, et qu'est-ce qui vous plaît là-dedans ?

Pour être franc, ce n'est pas quelque chose qui me passionne forcément, mais quand on me le demande je le fais. Pour Nodame Cantabile en particulier, le producteur étant un ami, je ne pouvais pas refuser.


Vous avez toujours créé dans vos séries des personnages adolescents fascinants. Aimeriez-vous faire la même chose avec des personnages adultes ?

Je ne sais absolument pas si je serais capable de faire une œuvre avec des héros adultes. Je ne m'en pense pas capable.


Est-ce que le comportement des fans japonais et des fans occidentaux est dans le même esprit ?

A première vue je ne vois pas trop de différences.



Cet été, on a entendu parler d'un nouveau projet de vous avec le studio Mappa. Est-ce qu'on en entendra parler prochainement ?

La rumeur est fondée. Par contre, je ne peux rien dire de plus.


Après les pingouins dans Penguindrum et les ours dans Yurikuma Arashi, vous aimeriez travailler avec quel animal ?

Malheureusement, ça aussi ça fait partie des informations qui sont confidentielles.



Sous une salve d'applaudissements, la conférence se termina sur un petit mot de M. Ikuhara.


Je remercie toutes les personnes ici présentes d'être venues me voir. Je suis actuellement en train de travailler sur une nouvelle série télévisée. Quand elle sera terminée, j'ai hâte d'avoir votre avis, et je pense que je viendrai directement l'écouter sur place.


Interview n°2 de l'auteur

Publiée le Mercredi, 29 Novembre 2017

Kunihiko Ikuhara est un artiste clé dans la saga animée Sailor Moon, puisqu'il a notamment réalisé Sailor Moon S, mais on lui doit aussi la série et le film Utena, Mawaru Penguindrum et Yurikuma Arashi. Présent pendant la dernière édition de Paris Manga, il a notamment tenu une conférence publique sur laquelle nous sommes déjà revenus, et a également tenu plusieurs séances de dédicaces et interviews. Manga-news a pu rencontrer ce grand artiste, qui a su marquer de nombreux spectateurs en seulement une poignée d'oeuvres excellentes, et qui aime entretenir autour de lui une certaine image mystérieuse. En effet, l'homme prend plaisir à rester vague en interviews, et ne se dévoile plus que par bribes, si l'on insiste. L'artiste s'étant déjà souvent exprimé sur Sailor Moon et Utena, nous avons plutôt choisi de nous axer essentiellement sur ses deux oeuvres les plus récentes, Mawaru Penguindrum et Yurikuma Arashi, ainsi que sur divers éléments de sa carrière.



L’un des thèmes importants de Mawaru Penguindrum est la famille. Les héros sont une famille recomposée, mais essayent de former une vraie famille.  Qu'avez-vous souhaité montrer à travers cet aspect ?

Kunihiko Ikuhara : C'était vraiment mon but de montrer une autre forme de famille à travers cette série, de montrer que la notion de famille a bien évolué ces dernières années et qu'elle existe aussi à travers ce genre de cas.


La série a parmi ses inspirations certaines des catastrophes les plus marquantes de ces dernières années au Japon, comme l’attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo...

C'est un choix intentionnel, je l'ai vraiment fait pour ça.



On devine aussi qu’il y a eu un impact du 11 mars 2011. En quoi ce drame a-t-il influé sur la réalisation et l’écriture de l’œuvre ?

C'est un peu difficile à résumer comme ça, mais en effet j'avais vraiment l'impression qu'on pouvait modifier le travail en fonction de l'actualité de 2011. Mais, comment dire... c'est plus compliqué que ça. C'est un choix qui doit être fait d'un commun accord avec tout le monde, et ce n'est pas gratuit.


Y a-t-il donc certains petits éléments du scénario qui ont changé en cours de route ?

Il y a pas mal de chose qui ont été effacées.


Toujours pour Penguindrum, pourquoi avez-vous ressenti le besoin d’avoir un staff très féminin ? Cela vous a aidé sur certains points ?

Sur le plan professionnel, la sensibilité et le sens du détail féminin nous ont permis de faire des choses que je n'avais pas forcément imaginé avant. Ca a été un gros avantage.


Avez-vous des exemples ?

Par exemple, sur les détails de la tenue et de la chambre de Himari, le point de vue féminin a été très utile. C'est peut-être là-dessus que j'ai eu le plus besoin de faire appel à la sensibilité féminine.



Penguindrum est également marqué par quelques références littéraires fortes : il y a l’évocation de Train de nuit dans la Voie lactée de Kenji Miyazawa, ou encore de Haruki Murakami. Qu’est-ce qui vous a inspiré dans ces œuvres ?

Pour Train de nuit dans la Voie lactée, il s'avère que Kenji Miyazawa a lui-même perdu sa petite sœur, et dans l'histoire que j'ai écrite je décris la mort d'un des amis du personnage principal. J'y ai vu clairement un lien, et j'ai pensé que réfléchir dessus pourrait m'aider dans mon travail. Concernant Haruki Murakami, c'est un auteur qui fait des allers-retours entre son monde littéraire et la réalité, et les deux s'influencent. Ca aussi, c'est une sensibilité que je trouve assez frappante, que je garde en mémoire, et qui me sert dans mon travail.


Qu’est-ce qui vous a donné envie de mettre en scène des manchots ?

En fait, au Japon, l'équivalent des pass navigo parisiens pour les moyens de transport a pour mascotte un pingouin.


Parlons maintenant de Yurikuma Arashi. L’œuvre dégage énormément de fragilité, de pureté et d’innocence dans les sentiments des héroïnes. Pourquoi ce choix, qui aux yeux de certains spectateurs est apparu mièvre ?

Si j'avais envie d'exprimer la naïveté et la pureté, c'est peut-être parce que c'est le genre de chose qu'on ne voit plus trop dans la réalité en ce moment...


Dans sa symbolique, la série semble évoquer le regard de la société sur l’homosexualité, dont la beauté et la pureté menace d’être détruite par les autres. Est-ce bien l’un des thèmes qui vous tenait à cœur ? A votre avis, que reste-t-il à accomplir pour briser le mur des préjugés sur l’homosexualité ?

Après, je ne vois pas forcément dans ma série un projet politique. J'ai écrit cette histoire de manière à ce que ce genre de relation soit présentée, mais ce n'est pas forcément un objectif social ou politique que j'avance. Je n'exhorte pas la société japonaise à mieux accepter les minorités sexuelles. Mais c'est vrai que l'on voit à l'international que l'extrémisme se renforce, et quelque part il y a une sorte de mise en garde contre ça dans la série. J'essaie au moins de présenter que cette réalité existe.


Donc sans être une critique, c'est surtout un portrait de la société actuelle ?

C'est exactement ça.



Dans vos projets, on croise souvent des noms féminins qui ont un lien avec le yaoi ou le yuri, comme Asumiko Nakamura qui a travaillé avec vous sur Nokemono to Hanayome, Lily Hoshino au design original de Penguindrum, Akiko Morishima sur Yurikuma Arashi. Comment s’est passée la prise de contact avec elles ? Qu’aimez-vous dans leur travail ?

Quelque part, je leur ai aussi demandé de me prêter main forte pour exprimer des choses que je n'aurais peut-être pas pu faire tout seul.


Dans vos œuvres, il y a toujours un énorme soin accordé à tous les personnages, qui ont tous une histoire, mais aussi au moindre détail, car tout peut avoir une signification précise.

Je pense que vous avez bien résumé. J'accorde beaucoup d'importance à ces aspects. Le soin accordé au moindre élément est primordial.


Que ce soit dans Utena, Penguindrum ou Yurikuma Arashi, vos œuvres sont souvent marquées par des thèmes communs : l’évolution d’adolescents et d’adolescentes dans la puberté, en quête d’eux-mêmes et d’identité, mais aussi la question de la sexualité qu’ils se cherchent.

Je n'ai pas forcément réfléchi aux choses dans ce sens. Après, quand on crée des choses, on se dit qu'on en a un peu besoin aussi, que c'est un peu pour soi qu'on le fait. Ca répond aussi à mes envies, quelque part.


Cela fait en quelque sorte office d'exutoire ?

Oui, dit comme ça c'est bien résumé.


Vos réalisations marquent forcément par leur style visuel très original et symbolique, et à ce titre on retrouve sur Utena, Penguindrum et Yurikuma Arashi la même assistante de direction artistique puis directrice artistique,  Chieko Nakamura. Quel est son impact dans vos œuvres ? Comment s’est bâtie votre relation de confiance avec elle ?

Je la connais depuis un certain temps. Après Utena on s'est dit qu'on pourrait continuer à travailler ensemble, et il s'avère qu'à chacun de mes travaux elle était disponible.


Est-ce qu'il lui arrive de vous donner des conseils par exemple ? Travaillez-vous de façon très rapprochée ?

Pour le moment, je pense que je reste toujours aux commandes, surtout concernant la symbolique. Mais c'est vrai qu'elle a une très grosse influence sur le design et sur la réalisation des œuvres.



On a récemment appris que vous seriez en train de travailler sur un nouvel animé pour le studio Mappa. Que pouvez-vous nous dire là-dessus à l’heure actuelle ?

Tout ce que je peux vous dire pour l'instant, c'est que je fais de mon mieux pour travailler.


On parle parfois de vous comme d’un David Lynch japonais. Qu’en pensez-vous ?

Franchement, c'est plutôt flatteur, étant donné que je suis très fan de lui. J'en suis un inconditionnel, j'adore tout de lui.


Interview réalisée par Koiwai et Takato. Remerciements à Kunihiko Ikuhara, à son agent Emmanuel Bochew, à son interprète Ryôma Takeuchi, et au staff de Paris Manga.