Nuits d'Aksehir (les) Vol.1 - Actualité manga
Nuits d'Aksehir (les) Vol.1 - Manga

Nuits d'Aksehir (les) Vol.1 : Critiques

Shiroi machi no yorutachi

Critique du volume manga

Publiée le Jeudi, 13 Avril 2017

Tout commence par ce qui semble être une séquestration. Se retrouvant dans un lieu sombre qu'elle ne connaît pas après avoir été entraînée par un inconnu étranger, l'étudiante Ayako s'imagine déjà le pire... avant d'apercevoir de la lumière, celle d'un restaurant turcs tenu par celui qui l'a emmenée, Hodja, un immigré turc qui lui propose de travailler pour lui en tant que serveuse. La raison ? Une amulette-pendentif que la jeune femme a autour du coup, et qui vient de son pays d'origine, la Turquie. Dès lors, l'homme, déjà d'âge mûr, s'est persuadé qu'Ayako aime la Turquie... alors qu'elle n'en connaît rien du tout. La demoiselle, incapable de dire que le poste de serveuse ne l'intéresse pas, commence pourtant à travailler dans ce restaurant, découvrant petit à petit en Hodja un homme à la fois secret et appliqué, et en sa nouvelle collègue Zakuro une femme de caractère qui est avant tout une sublime danseuse. Et qui sait, peut-être qu'au contact de cette dernière qui pratique la danse orientale, elle trouvera enfin l'inspiration dans ses études de mode où elle est démotivée...

Après l'homosexualité via Le mari de mon frère et le handicap à travers Perfect World, les éditions Akata s'attaquent à une nouvelle thématique sociétale délicate dont elles sont désireuses de briser les préjugés : l'Islam. Pour cela, la nouvelle série en trois tomes choisie se nomme Les nuits d'Akşehir. Derrière ce titre se cache Shiroi Machi no Yorutachi, une série qui fut publiée de 2013 à 2015 dans le magazine Comic Beam d'Enterbrain aux côtés de Bloody Delinquent Girl Chainsaw ou encore Deathco. Soit un magazine surtout porté par des artistes ayant une forte identité, ce qui nous donne donc bien envie de découvrir ici Raku Ichikawa, une mangaka qui a débuté en 2010, qui signe là sa première série de plus d'un volume, et qui est passionnée de culture turque.

Après des premières pages en couleurs sublimes et posant le ton oriental, la mangaka nous offre un début où le lecteur, à l'instar de l'héroïne, est plongé dans l'inconnu. Voici Ayako d'abord en proie à l'inquiétude face à ce qu'elle ne connaît pas, face à cet homme qui l'a entraînée avec elle et sur qui elle s'imagine déjà des choses (qu'il va peut-être la tuer, entre autres). Puis une fois Hodja découvert, l'inconnu, elle va être amenée à le découvrir. Elle qui ne connaît rien à la Turquie, est même incapable de se représenter ce pays, va en découvrir certaines facette au contact de cet homme immigré et surtout de Zakuro.
Dans l'abord de la culture turque, l'une des grandes qualités évidentes dès le premier volume est le ton choisi par Raku Ichikawa, un ton où elle présente simplement des éléments d'un pays qu'elle adore, la Turquie, et dès lors ce qu'elle propose s'écoule avec naturel, sur un ton apaisé, et en évitant tout cliché dans le ton. Pourtant, concrètement, ce que l'artiste présente pour le moment reste essentiellement sur quelques axes classiques : la gastronomie à travers le restaurant, la danse orientale, certaines décorations... mais le tout est bénéfique dans la volonté d'aborder tout cela avec une certaine richesse et sous plusieurs angles (les différents types de danse orientale, les costumes, des anecdotes méconnues comme l'origine turque de certains aliments, certaines superstitions/divinations...), et, surtout, parce qu'Ayako est une héroïne très appréciable en ceci qu'elle découvre tout cela sans préjugé, sans parti pris, avec un certain désir naturel d'en apprendre plus sur cette culture. Avec une ouverture jamais forcée, tout simplement.
Mais plus encore, l'aspect bénéfique vient avant tout de l'impact que cette découverte d'une autre culture va avoir sur Ayako. Au fil de la lecture, on découvre une étudiante peu motivée dans ses études de mode, où elle peine à trouver l'inspiration et semble presque éteinte. L'inspiration qui lui manque pourrait alors bien venir de ce qu'elle découvre aux côtés de Hodja et de Zakuro, à commencer par la danse orientale et ses costumes. L'inspiration qu'Ayako trouve dans la danse orientale pour son design de costume symbolise la richesse que l'on peut retirer de la croisée des cultures (c'est aussi le cas de certains aspects de la danse orientale pratiquée par Zakuro, parfois empreinte d'éléments plus occidentaux), et au fil des pages on voit alors notre héroïne devenir un peu plus lumineuse, car que son entourage dans les études ne manque pas de remarquer aussi. Il y a alors un message naturel, non-forcé et très positif et ouvert autour de l'intégration d'une culture étrangère au sein d'une société contemporaine. Ici la culture turque et musulmane, mais ce message est évidemment bien plus universel.

Ce premier tome pourrait toutefois un peu lasser certains lecteurs sur la longueur pour différentes raisons, à commencer par la focalisation pour l'instant très forte sur la gastronomie et la danse, ce qui tend à largement reléguer au second plan d'autres axes culturels pour l'instant à peine évoqués, à commencer par la religion (mais à ce titre, l'éditeur nous promet que la suite de la série abordera plus cet aspect).
Egalement, il y a quelque chose d'un peu lisse dans l'abord des personnages, que l'on ne découvre que par bribes par-ci par-là, via des éléments sur lesquels la mangaka revient très peu pour le moment. Bien que sublime quand elle danse, et plaisante dans son caractère assez fort, Zakuro manque pour l'instant d'un minimum de background. On découvre en Hodja un homme attachant : une bonne bouille un peu ronde, ses efforts dans la maîtrise de sa langue d'adoption même si ce n'est pas encore impeccable, son sérieux dans la gestion de son restaurant (il se demande s'il doit aussi ouvrir le midi, fait habituellement toute la cuisine tout seul...), quelques détails (comme l'état actuel de sa relation avec son épouse Kumiko)... mais on peut trouver qu'il reste étonnamment discret. Quant à l'entourage d'Ayako, il manque peut-être un brin de présence ou d'évocation avant de gagner un peu plus en importance. On pense notamment à Matsuo, et surtout à une figure du passé d'Ayako qui est trop brièvement évoquée avant de gagner en importance dans le dernier chapitre.

Ce premier tome peut également compter sur une patte visuelle qui a de quoi ravir les yeux. Dès le début, Raku Ichikawa offre de superbes contrastes de noir, des jeux d'ombre et des effets crayonnés qui reviendront régulièrement. Elle s'offre de jolis angles de vue, comme la vue de la rue depuis l'escalier, ou des vues coupées du dessus dans les pièces qui font ressortir le lieu qu'est le restaurant. L'artiste propose aussi quelques petites excentricités (les cheveux-serpents de Zakuro quand elle s'énerve), et sait rendre envoûtante Zakuro quand elle danse, mais c'est bien dans le soin apporté aux décorations, aux objets, aux motifs ou aux plats qu'elle bluffe le plus en recherchant le détail.

Abordant les différences de culture pour mieux les rapprocher et les mêler de façon bénéfique et sans préjugés, Raku Ichikawa, dont on ressent l'amour pour la Turquie, offre un premier volume qui est autant une invitation à la découverte qu'un joli message d'ouverture. Seul le fond des personnages pêche un peu pour l'instant, mais gageons que la suite saura rectifier cela. L'artiste a toute notre confiance.

En ce qui concerne l'édition, Akata nous offre un travail aux petits oignons. La traduction de Yuki Kakiichi est impeccable, le travail d'adaptation d'Eléonore Cribelier et de lettrage d'Erwan Charlès l'est tout autant. Mention spéciale, comme souvent chez l'éditeur, au travail effectué sur les onomatopées, mais aussi aux nombreuses notes (sur la Turquie, le Japon...) qui viennent approfondir quelque peu les choses. Le papier souple et épais ainsi que l'impression soignée en Italie chez Lego font honneur au travail de l'artiste, tout comme les superbes premières pages en couleurs et le page de sommaire sur un papier transparent du plus bel effet. Fidèle à la japonaise concernant l'illustration, la jaquette française bénéficie en plus d'un cadre à motifs bien dans le ton, et d'un logo-titre bien trouvé. Sous la jaquette, d'autres motifs colorés viennent parfaire ce très bel objet.

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
14.5 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs