Ecole impudique (l') Vol.1 - Actualité manga

Ecole impudique (l') Vol.1 : Critiques

Harenchi Gakuen

Critique du volume manga

Publiée le Mardi, 21 Mars 2017

En juillet 1968, la maison d'édition japonaise Shûeisha arriva avec un nouveau magazine, un certain Shônen Jump, magazine qui révolutionna le système de publication nippon pendant les décennies suivantes, s'imposant au fil du temps comme le magazine numéro 1 du pays avec nombre de grands succès.
Au lancement de ce magazine il y a bientôt 50 ans, un auteur encore jeune, du nom de Gô Nagai, futur papa de Devilman, Cutie Honey, Mazinger ou Grendizer/Goldorak, trouve vite sa place en offrant au Shônen Jump son tout premier succès historique : Harenchi Gakuen, comédie qui a marqué de son empreinte l'histoire du média.
En effet, dans cette série, Nagai prend le parti d'aborder sous un angle jusque là jamais vu la curiosité des adolescents pour le sexe opposé, et les histoires sentimentales entre ces jeunes gens. Un sujet inédit, à une époque qui le considère encore comme particulièrement tabou et où l'émancipation de la société nippone ne fait que commencer. En abordant cette thématique sans tabou avec son lot d'enfants et de professeurs obsédés et plus encore, Nagai, influencé ici par des œuvres venues de l'Occident (par exemple, le cinéma, mais aussi la revue Playboy qu'il avoue avoir souvent bouquiné) s'attire un fort engouement de la jeune génération et contribue fortement à imposer le Shônen Jump. Mais l'oeuvre, à son époque, choqua les parents, et la PTA (association des parents d'élèves) s'empara rapidement de l'affaire, en jugeant le manga indécent et en affirmant qu'il est impensable de représenter de telles choses en manga. Cela suffit-il à arrêter Gô Nagai ? Certainement pas ! Au contraire, l'oeuvre s'est poursuivie, a même connu des adaptations live en 1970-1971, et s'acheva finalement en 1972 par une ultime provocation envers les « bien-pensants », via une conclusion restée dans les esprits et qu'on évitera de dévoiler ici.

Au vu de son ancienneté, de son dessin forcément old school, de son sujet et de sa relative longueur (13 tomes lors de sa première édition), inutile de dire que l'on n'espérait pas vraiment pouvoir lire un jour en langue française ce qui est réellement un monument de l'Histoire du manga, surtout dans le contexte actuel. C'était mal connaître les éditions Black Box, qui, fortes du succès de leur collection Gô Nagai, ont pris le pari de nous faire découvrir l'oeuvre près d'un demi-siècle après sa naissance, par le biais de 6 gros volumes de plus de 400 pages inspirés de l'édition italienne faite par J-Pop. Ces pavés, pour un prix de 15,90€ pièce, s'avèrent conséquents avec un grand format, une traduction de Jérôme Penet soignée, des choix de lettrage convaincants, un papier correct restant souple et assez léger (les tomes sont faciles à prendre en main), des jaquettes inédites délicieuses et un logo-titre bien dans le ton. Tout est donc réuni pour nous permettre de découvrir dans de bonnes conditions cette série qui reste encore aujourd'hui assez unique en son genre.

Tout commence par l'arrivée du jeune Yasohachi Yamagishi dans son nouvel établissement scolaire, tout simplement nomme L'école impudique... à juste titre ! Car dès les premières pages, la dégaine et le comportement des profs à de quoi laisser pantois ! Dans ce nouveau contexte, le petit garçon au fort caractère, qui maltraite l'un des profs dès le départ, va pouvoir grandir en toute... liberté, avec son meilleur ami un peu plus peureux Kôji Fukuro (surnommé Ikidomari), et en s'intéressant déjà de près aux filles dont la plus jolie de toutes, Mitsuko Yagyû, descendante d'une lignée de ninjas. Du temps passe, voici nos jeunes élèves arrivés en CM1, et ils semblent s'être parfaitement habitués à cette école complètement... atypique, allons-nous dire.

Au gré du quotidien à l'école et d'événements comme un séjour au ski, la visite médicale, une randonnée, le ménage, ou la rentrée en classe de CM2 qui occupera quelques chapitres allant très loin, Gô Nagai impose très vite un univers loufoque et où tout semble possible. Ainsi, les élèves n'hésitent pas à faire des farces parfois très cruelles à leurs enseignants, les garçons ne manquent pas d'être un brin obsédés par les filles en cherchant à les mater, les filles elles-mêmes ne sont pas franchement pudiques et se font un plaisir de taquiner elles aussi les garçons... Mais les adultes eux-mêmes sont complètement frappés ! Entre un enseignant nu habillé uniquement d'un pagne avec un espace pub à louer, un homme aux allures de cro magnon surnommé "Godzilla à barbe", un professeur-parasol, un autre pirate, ou plus tard une sorte de pistolero italien, Nagai livre une palette improbable de profs inadaptés, qui se font avoir par leurs élèves et font eux-mêmes des farces. Même le gardien de l'école est capable de jouer de bien mauvais tours, et certains parents vont dans le même sens.

Qu'on se le dise donc, L'école impudique est bien un titre qui s'amuse à défier toute morale et toute normalité, en allant souvent loin dans ses délires.
Il ne faudra donc pas s'étonner de découvrir chez nos héros un entourage qui ne les aide pas à être dans le moule. Les parents de notre héros Yasohachi sont plutôt indignes en cherchant des prétextes pour se battre avec lui, et même sa petite soeur Mami s'y met en le chauffant. Entre un petit frère vicieux, un père martyrisé, un grand-père tyrannique et une mère monstrueuse, Mitsuko n'est pas en reste. Quant à la famille et au peuple du prof Sayuri Yoshinaga (le fameux "Godzilla à barbe"), on vous laisse les découvrir...
Tout au long de la lecture, ce qui marque le plus est peut-être le comportement des enseignants complètement inadaptés. Au-delà des mauvais tours qu'ils peuvent faire et de leur incapacité à enseigner, ils sont capables d'un peu tout : l'un vole une personne âgée, l'autre tue accidentellement sa mère sans regret, puis capture des jeunes filles au camping du coin pour les donner en offrande au dieu de sa tribu... Surtout, ils ont bien souvent un comportement particulièrement lubrique envers leurs jeunes élèves féminines, et l'un d'eux ira même jusqu'à séquestrer pendant plusieurs jours toutes les filles de l'école.
D'ailleurs, ce passage en particulier est sans doute l'un des meilleurs exemples de toute l'irrévérence de la série, entre ce prof qui séquestre des fillettes, les jeunes filles en question qui ne s'en plaignent pas parce qu'elles mangent bien et passent à la télé, les parents qui ont pour certains des réactions à côté de la plaque... Quand on vous dit que Nagai se permet tout !

Quand on pense à l'époque où la série est arrivée, en 1968, à une heure où le Japon conservait de forts tabous et où la jeunesse japonaise cherchait à s'émanciper et à se rebeller, on imagine aisément l'impact qu'a pu avoir L'école impudique et ce que la série pouvait représenter. Par moments, le comportement de rébellion des élèves envers les adultes a des allures de "révolte étudiante", et on peut même se demande s'il ne faut pas voir un message de l'auteur lors de certains moments, notamment quand la police s'en mêle pour mater tout ce qui leur semble rebelle.

La magie de cette oeuvre est qu'absolument tout a des allures bon enfant : qu'il soit potache, cruel, irrévérencieux ou immoral, Gô Nagai tourne absolument tout en dérision et brise toute bien-pensance. Pour cela, son dessin assez caricatural fait des merveilles, tout comme les moments où il met en scène son alter ego dans le manga, Hiyayako Entenka, personnage extérieur omniscient qui apparaît régulièrement pour faire des commentaires. Plutôt académique avec des cases bien délimitées et rectangulaires, son découpage se permet de temps à autre de petites fantaisies bienvenues, quand il joue avec les bords des cases (notamment pour faire intervenir son alter ego).

En résulte une comédie farfelue où tout semble permis et qui a étonnamment très bien vieilli, en conservant encore aujourd'hui un ton irrévérencieux et constamment dérisoire peu habituel. Si vous vous intéressez à l'Histoire du manga ou souhaitez simplement vous amuser devant une bonne comédie sans tabous, ne ratez pas ce titre sacrément culotté (ou déculotté).


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16.5 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs