KISHIMOTO Yoshihisa - Actualité manga

KISHIMOTO Yoshihisa 岸本 良久

Interview de l'auteur

Invité à Japan Expo 13 par les Éditions Pix'n Love, Yoshihisa Kishimoto était venu faire la promotion de sa biographie écrite avec Florent Gorges, ainsi que rencontrer ses fans français pour la première fois de sa longue carrière de créateur de jeux vidéo. Nous l'avions rencontré pour lui poser quelques questions…


Bonjour Kishimoto-san ! Tout d'abord, est-ce que vous pouvez vous présenter pour les lecteurs de Manga-News ?




Bonjour, je m'appelle Yoshihisa Kishimoto et je suis réalisateur de jeux vidéo. Mes principales œuvres sont Kunio-kun -Renegade en Occident-, et la série des Double Dragon.




Comment s’est passée la rencontre avec Florent Gorges ?




En fait, cela fait quatre ou cinq ans que j'ai mon site Internet, avec une page de contact. Un jour, j'ai reçu le mail d'un Français qui écrivait en Japonais mais avec une très bonne maîtrise de la langue, et cela m'avait intrigué à l'époque. Il me demandait si je voulais bien le rencontrer pour faire une interview et j'ai accepté. Voilà comment nous nous sommes rencontrés, tout simplement. C'était pour un entretien paru dans le Pix'n Love numéro 7, dans lequel on avait prévu un grand nombre de pages -environ 16- en plus d'une couverture pour illustrer ma série. Nous sommes depuis restés en contact régulier.




Au départ, il paraît que vous avez cru à une blague lorsque Florent Gorges vous a demandé s’il pouvait faire votre biographie. Maintenant qu’elle est sortie et que vous avez pu la voir, qu’est-ce que cela vous fait ?




Je n'ai eu le livre en mains qu'à mon arrivée à Paris, c'est-à-dire il y a deux ou trois jours, donc très récemment. Jusqu'à ce que j'ai l'exemplaire réel entre les mains, j'ai vraiment cru que c'était une blague. Quand j'ai eu l'occasion de le prendre et de le feuilleter un petit peu, c'est là que j'ai compris que ce n'en était pas une. Je suis très fier d'avoir été le sujet d'un livre.




Dans la biographie, on voit à quel point le format LaserDisc pouvait être alors considéré comme un format d’avenir. Pourtant, en seulement trois années, il a été délaissé pour revenir a du hardware visuellement moins impressionnant. Pensez-vous que si la compagnie pour laquelle vous travailliez alors ne s’en était pas détourné, Data East, vous auriez pu tirer plus des jeux LaserDiscs ?




C'est vrai qu'à l'époque, le concept même de l'interactivité par le LaserDisc était très limitée, car ce n'était qu'un assemblage de vidéos avec une logique permettant de switcher entre les différentes pistes. Cela donnait l'illusion d'une interactivité, mais extrêmement rudimentaire. En termes de gameplay, cela ne représentait qu'un millième de ce que pouvait proposer un microprocesseur normal sur un ordinateur entièrement programmable. Aujourd'hui, avec la technologique du CD-ROM, on a évolué et les interactivités ont considérablement progressé grâce aux progrès techniques. Mais voilà, à l'époque, il n'y avait malheureusement pas grand chose de plus à faire. Le LaserDisc pouvait montrer des choses magnifiques comme de l'image de synthèse ou du dessin animé, mais c'est là tout ce qui était possible avec ce format.




Qu’auriez-vous imaginé si l’on vous avait laissé le temps et la liberté de faire VOTRE Double Dragon III ?




Le souci avec Double Dragon III, c'est que c'est un jeu qui n'a pas été développé en interne chez Technos Japan, mais par un studio externe. Et l'équipe n'était composée que par des débutants, et ils considéraient que le titre était une toile sur laquelle ils avaient tous l'occasion de s'entraîner. C'était une catastrophe : aucun d'entre eux n'avaient le niveau requis pour une telle licence. Si j'avais l'occasion de le refaire, la première chose que je ferais serait de réunir une équipe compétente et qui connaîtrait bien le travail. Après, il faut savoir que les jeux qui utilisent des sprites humains sont assez compliqués à réaliser puisque l'on n’est pas du tout dans l'abstrait. Il y a des lignes de conduite obligatoire à régler et on est assez limités en termes d'idées dans le genre du beat'em up.




La chute de Technos Japan est dûe, selon vous, à une incompréhension des attentes des joueurs au profit d’une recherche de la rentabilité de licences Kunio-kun et Double Dragon. Aujourd’hui, le jeu vidéo est devenu le premier marché mondial de divertissement, est-ce que cela veut dire que l’industrie se tourne de plus en plus vers un scénario similaire à celui que vous avez vécu ?




Le principal souci, en réalité, ce n'est pas le fait que ce soit une série mais plutôt comment on traite une série. Pour Kunio-kun, par exemple, c'est vrai qu'il y avait une trentaine, voire une quarantaine d'épisodes spin-off différents. Je n'ai travaillé que sur les épisodes principaux, le reste était perpétué par mes collègues. Et le souci, c'est qu'il n'y avait aucune ligne éditoriale logique et concrète derrière tout ça : on mettait du Kunio-kun partout sans penser à l'unité. Ce n'est pas ce qu'il faut faire. Si l'on prend Dragon Quest, par exemple, c'est une série qui dure depuis plus de vingt ans et qui n'a pas tant d'épisodes que ça même s'il y a des spin-offs. C'est parce que chaque œuvre est conçue uniquement pour être un million seller et que [Square Enix] ne fait pas n'importe quoi avec la licence. Tout est fait pour qu'elle continue dans le temps, avec le minimum de qualité requis. Dans notre cas, avec Kunio-kun, Technos Japan a juste tiré au maximum sur la ficelle et c'était justement ce qu'il ne fallait pas faire.




La réalité, aussi, c'est que l'on a essayé de sortir de nouvelles licences comme un jeu de beach volley ou d'autres titres qui n'utilisaient pas les noms de Double Dragon ou Kunio-kun. Mais, en regardant les résultats des ventes, on se rendait compte qu'il y avait un zéro de différence, et la direction également. À ce moment-là, on nous a demandé d'arrêter les trucs inconnus pour nous concentrer sur le connu, cela se vendait mieux.




Votre rencontre avec Muneki Ebinuma et sa grande connaissance de la série Double Dragon ont réussi à produire un épisode de grande qualité sur GBA. Pensez-vous que mis à part les créateurs tels que vous, aujourd’hui, seuls les fans sont capables de respecter les œuvres originales et de proposer des suites de qualité ?




Effectivement, Monsieur Ebinuma était mon principal partenaire de création sur Double Dragon, parce qu'il était l'un des plus grands fans et qu'il comprenait exactement là où je voulais en venir. Seulement, s'il était capable de produire d'excellents épisodes, le souci pour la direction c'était d'étendre la licence. C'est pour ça que le développement a été confié à des sociétés externes qui n'étaient malheureusement pas assez fans de la série Double Dragon. C'est un peu le côté pervers du business, mais tout le monde est responsable : quand on a une licence qui marche, on a envie de garder le contrôle pour un minimum de qualité. Seulement il y a plein de studios, de marketeux qui viennent nous voir pour nous demander de vendre les licences. Face à des possibilités de dizaines de millions de yens de bénéfices, forcément la direction craque mais je pense que n'importe qui craquerait.




Que pensez-vous des beat’em all modernes d’aujourd’hui, comme la série des God of War par exemple ?




Je n'ai jamais pu essayer la série des God of War mais, en tant que joueur, je peux dire que j'adore tout ce qui est jeu d'action à la troisième personne. Après, en tant que créateur, je pense que ce ne serait pas l'approche que je prendrai aujourd'hui pour les jeux d'action. Aujourd’hui, après trente ans de carrière, il me suffit de regarder un écran de jeu pour comprendre le game system utilisé et je me rends compte que l'on a beaucoup de mal à voir émerger de nouveaux genres sur les consoles actuelles. C'est beaucoup de redites et d'adaptations, mais il y a Yoshihisa Kishimotod'excellentes adaptations. Par exemple, j'ai visité l'autre jour le studio Arkedo et eux sont vraiment doués pour arranger des concepts existants et les remettre sur le devant de la scène, alors que l'on les pensait épuisés en tant que game systems.




Aujourd'hui, lorsque l'on voit les dizaines de milliers de jeux qui sortent sur toutes les plateformes confondues, et que l'on se rend compte qu'il n'y a pas tellement de nouveaux genres qui apparaissent, on se dit qu'il est peut-être impossible d'inventer encore un genre qui n'existe pas. La situation du jeu vidéo actuel, c'est ça : proposer de nouvelles features qui permettent de renouveler le genre tout en gardant les mêmes fondations. Là, j'ai la cinquantaine passée (rires), et mon but c'est vraiment de trouver un nouveau genre qui n'existe pas.




Pour l’adaptation cinématographique de Double Dragon, vous dites que vous aviez pensé à énormément de choses pour transposer votre bébé à l’écran mais qu’aucune n’a finalement été prise en compte. Quelles étaient ces idées ? Était-ce un scénario original, ou bien une amélioration de la trame du premier jeu ?




En fait, le Japon et les États-Unis ont une culture de l'image foncièrement différente, et dans mon esprit, Double Dragon reprend un univers proche de celui de Ken le Survivant, qui est assez dark, assez violent. Si l'on ajoute l'imagerie américaine pop, fun, cela fait quelque chose que je n'aurais jamais imaginé pour une adaptation en film. Quand on laisse faire les Américains à leur image, avec tous les gros sous et les éléments qui rentrent en compte derrière, voilà ce que cela donne. Mais aujourd'hui, il n'y a que très peu d'adaptations de jeux vidéo au cinéma qui ont été des succès commerciaux. Les seuls que l'on peut éventuellement citer sont Tomb Raider ou Biohazard [Resident Evil]. Et, contrairement à ce que l'on peut croire, Capcom a été impliqué dans le film. C'est sûrement pour cette raison que ça n'est pas aussi mauvais que Super Mario ou Double Dragon, où les créateurs et éditeurs n'ont pas été consultés.




Si vous aviez pu réaliser le film Double Dragon, comment l'auriez-vous fait ?




Lorsque j'ai commencé à développer Double Dragon, je voulais que son impact culturel soit équivalent au film de Bruce Lee "Opération Dragon" : je voulais que ce soit le meilleur jeu d'action du monde. Or, au cinéma, ce n'est pas vraiment le cas pour ma licence donc, si j'avais l'occasion d'être réalisateur de cinéma, je referais un Double Dragon mais à mon image.




Vos enfants ont aujourd’hui respectivement 20 et 18 ans. Quel regard ont-ils sur vos travaux dans le monde vidéoludique, jouent-ils encore à vos jeux et que diriez-vous s’ils suivaient votre « exemple » de jeunesse ?




Vous savez, il y a l'image que l'on veut donner et la réalité. Lorsqu'ils sont en face de moi, ils font comme s’ils s'en fichent mais lorsque je vois qu'aujourd'hui encore la série des Kunio-kun en social game dépasse les quatre millions de téléchargements, je suis certain qu'ils sont fiers de dire à leurs amis que je suis leur père. Mais voilà, je ne suis pas certain de ce qu'ils pensent de moi, ils ne montrent que leur image d'ado un peu rebelle. D'ailleurs ma fille semble prendre le même chemin que moi, et ça n'est pas terrible (rires).




Cela me fait penser que je l'ai utilisée en images digitalisées dans un jeu complètement fou qui s'appelle Cho-Aniki. On a pris des photos d'elle lorsqu'elle avait deux ans pour les utiliser dans les niveaux. Aujourd'hui, lorsqu'elle regarde ce jeu complètement barré, sa réaction c'est "mais t'étais complètement cinglé à l'époque ? Qu'est-ce qui t'es passé par la tête ?!". Pourtant, je suis certain qu'elle est contente d'avoir participé à un truc comme ça (rires).


A l’instar de Bruce Lee dans le cinéma d’action, vos immenses contributions au monde vidéoludique font de vous un acteur incontournable du jeu vidéo tel qu’on le connaît aujourd’hui. Pourtant, contrairement à un Miyamoto ou un Kojima, vous êtes resté pendant toutes ces années dans l’ombre à voir vos idées reprises sans réelle reconnaissance. Comment ressentez-vous cet oubli, n’êtes-vous pas un peu amer ?




C’est une question d'époque. Aujourd'hui, on met beaucoup plus les créateurs en avant et ils sont beaucoup plus médiatisés qu'autrefois alors qu'à l'époque, au Japon, c'était le studio ou l'éditeur qui passait en premier. Nous étions juste des employés qui faisaient leur boulot, il n'y avait pas reconnaissance particulière. Les médias ne s'intéressaient pas à nous mais cela dit, chez Technos Japan avec le succès de Kunio-kun et de Double Dragon, je recevais des bonus, des primes totalement impensables de 30 000 € tout comme les autres membres du staff. Alors, certes, il n'y avait pas de reconnaissance médiatique, mais on était tout de même très bien traités.




Je suis encore très reconnaissant aujourd'hui envers mon boss d'alors, Monsieur Kunio Taki de Technos Japan, pour tout ce qu'il a fait pour nous. C'était un patron tellement généreux qu'il nous emmenait à Hawaï pendant une semaine en nous donnant même de l'argent de poche, tellement la société en avait (rires) ! Le revers de la médaille, c'est qu'il utilisait un peu l'argent n'importe comment : il était du genre à dilapider en quelques semaines tout l'argent gagné en une année, ou encore à sponsoriser des écuries de F3000 au nom de Technos Japan, à construire des buildings pour que l'on travaille dedans… en somme il claquait tout (rires) ! Il faut dire aussi qu'il buvait pas mal, donc forcément après c'est sûrement une des raisons pour lesquelles Technos Japan a fini par sombrer.




Mais c'est dommage, car les équipes étaient vraiment talentueuses. Je pense que s'il y avait eu une meilleure gestion de l'argent, la boite serait encore là aujourd'hui. C'est vrai que cela peut être vu comme du gâchis, mais c'est rare d'avoir un patron aussi généreux. À titre personnel, je ne connais aucun employé qui ait critiqué Monsieur Taki une seule fois. Mais peut-être était-ce nous qui en avons trop profité ? (rires).




Merci beaucoup Kishimoto-san !




Merci à vous !