Critique du volume manga
Publiée le Vendredi, 17 Juillet 2009
On connaît Arina Tanemura pour son très beau « Full moon », shojo qui a le mérite de savoir capter l’attention des jeunes comme des moins jeunes, par la douce union d’un graphisme enfantin mais très esthétique et soigné et d’une histoire réfléchie, souvent bien plus dure qu’elle n’y parait. Ici, avec The Gentlemen’s Alliance Cross, on sent bien que la mangaka a voulu partir sur des bases un peu plus faciles, avec moins de sérieux et de drame. L’héroïne, Hainé, a certes vécu une enfance difficile, mais c’est sa vie actuelle et déjantée qui est racontée. Là où Full Moon ancre les obstacles de la vie dans la narration, abordant la mort, le suicide et l’amour sous un jour plus profond et cruel que d’ordinaire, le nouveau titre de Tanemura se sert de la souffrance comme d’une base, puisqu’elle est passée. L’histoire se situe alors dans une école, ce qui a tendance à faire grincer des dents tant le contexte écolier est prévisible. Pourtant, il ne faut pas s’arrêter aux premières pages. Tout commence, comme d’habitude, par une histoire d’amour impossible : Hainé, de grade « bronze » (le plus faible niveau de reconnaissance de sa prestigieuse école) est amoureuse de l’Empereur, le seul représentant du grade « or », l’élite de l’élite. Mais elle, c’est différent. Elle le connait déjà ! C’est lui qui l’a sauvée de la délinquance, et depuis sa plus tendre enfance elle admire ce jeune héritier d’une famille renommée. Ne souhaitant que se rapprocher de celui qui l’ignore et semble la détester, Hainé parvient à entrer dans le groupe restreint du conseil des élèves.
Les bases sont là, banales et sans réel intérêt. Un lycée, un conseil des élèves, un amour impossible, une héroïne un peu cruche et des situations cocasses … Hainé n’a pas la réflexion de Mitsuki, l’héroïne de Full Moon : elle est bien plus impulsive, simple et limite idiote. Naïve, elle prend à cœur tout ce qui lui arrive et seule sa détermination la rend attachante. Son passé n’est pas assez clair et complexe pour que l’on s’y retrouve, et ses pleurs déçoivent un peu, la rendant encore plus classique. Pourtant, Tanemura nous offre un éventail merveilleux de personnages secondaires. Le comique, et même les émotions, sont portés par tout ce petit monde : Ushio, Toya, Maora, Maguri et son amour homosexuel dont Shizun ne fait que se servir comme d’une couverture, Kusame, le facteur et le gardien, et même Senri … Tous participent à la bonne humeur perpétuelle qui se dégage de la narration, légère mais à la fois prenante et entrainante. On n’attend que d’en savoir plus sur Dame Ajisai ou sur Maora, personnages phares du plaisir de la lecture. Si l’histoire ne paye pas de mine, on sent que des portes s’ouvrent et l’on espère que la mangaka saura les exploiter, comme elle l’avait fait pour sa précédente œuvre. Heureusement qu’on connaît Tanemura, qui ne nous a pas déçu jusqu’ici.
Les graphismes sont … singuliers. Il faut savoir surmonter le plus pur style shojo pour remarquer les expressions cachées dans les grands yeux scintillants des personnages. Ne convenant pas à tout le monde, un lectorat masculin pourrait par exemple vite se lasser. Pourtant, le jeu des nuances, les arrières plans maîtrisés et le cadrage dynamique (parfois un peu trop) a un pouvoir galvanisant sur la lecture. On est loin des dessins sans caractère, des pages vides et de la redondance graphique. Ici, les détails sont légions, notamment à travers les habits et leur texture ou les cheveux, le passage d’une page surchargée de SD et de mouvement à une autre, très calme et sentimentale ne parvient pas à choquer, et seuls les traits un peu pointus et acérés peuvent contrarier le plaisir des yeux. En effet, les nez sont aiguisés, tout comme les mentons, les yeux prennent la moitié du visage et le tout est loin d’être réaliste. On assiste ici à l’union d’un graphisme simpliste mais au final soigné et nuancé, et d’une histoire en apparence banale. Pour apprécier ce premier volume, il faudra aller au-delà des apparences et se concentrer sur les petites choses plus que prometteuses. Un condensé d’humour un peu facile, de sentiments déjà vu, au milieu d’une valse de personnalités passionnantes.
Kana nous livre ici une édition d’une qualité certaine : les pages ne sont pas trop fines, le jeu des nuances de l’auteur est très bien retranscrit, la couverture alléchante et les bonus en fin de tome appréciables. Pourtant, la lecture est très rapide vu l’épaisseur du volume, détail justifié par un « prix chouchou » de 4,5 €. De plus, la sortie simultanée des deux premiers tomes est une excellente chose, ce qui compense la frustration d’un nombre si restreint de pages. Enfin, on espère que le prix restera ou que la taille du manga augmentera. Mais pour l’instant, c’est une belle acquisition. Esthétique, reposante, amusante et tout de même un peu mystérieuse.