Critique du volume manga
Publiée le Jeudi, 19 Décembre 2024
Sorti aux éditions Nazca il y a deux ans, au mois de décembre 2022, Funeral Concerto est un one-shot au format manga qui compte un peu plus de 220 pages et qui nous vient de Taïwan. Première publication française de l'autrice Rimui Yumin, cette oeuvre a vu ses six chapitres être publiés dans "CCC Creative Comics Collection", avant que ceux-ci soient regroupés en un volume broché sorti à Taïwan en 2020 chez Gaea Books. Ce récit peut se targuer de posséder une belle réputation puisqu'il remporta la médaille d'or au 14e Japan international Manga Award.
L'histoire commence très vite, puisque dès la première page on découvre notre jeune héroïne, Lin Chu-sheng, en train d'insister pour se faire embaucher dans une entreprise de pompes funèbres après avoir lâché ses études. Le patron Yang-qing a beau accepter de lui laisser sa chance, le fait est que la naïve jeune fille n'a aucune idée de ce qu'implique le travail d'agent funéraire, et s'imagine déjà devoir juste servir le thé à des clients. Alors, saura-t-elle s'adapter à ce travail si particulier et beaucoup plus exigeant qu'elle l'imaginait ?
Les mangas prenant pour sujet principal les pompes funèbres, un sujet qui reste généralement un peu tabou, sont rares (on peut toutefois citer la série en deux tomes Toutes nos condoléances!!, sortie aux éditions Black Box il y a plus de dix ans), si bien qu'il y a de quoi accueillir avec curiosité ce one-shot, avec l'espoir qu'il traite correctement et en profondeur ce délicat sujet. Et une fois la dernière page refermée, on peut assurément dire que la réussite est au rendez-vous.
Cela est dû en premier lieu, bien sûr, à l'abord assez détaille des différentes tâches du travail d 'agent funéraire, qui plus est avec certaines particularités propres à Taïwan. Comme l'apprendra Chu-cheng, le travail est très loin de se limite à l'accueil de la famille des défunts, et l'autrice va alors nous en présenter de nombreux aspects soigneusement documentés: détails du protocole funéraire, nettoyage des lieux où sont retrouvés les cadavres, toilette mortuaire, observation de certains à-côté (comme le livor mortis, la chimio ou les soins palliatifs), informations sur des cas particuliers comme le déroulement des obsèques sans corps, découverte de différents métiers liés à la mort parfois mal connus (fossoyeur, architecte funéraire, ou même le travail très asiatique de pleureuse)...
Mais là où l'oeuvre brille le plus, c'est sans doute dans la façon dont Rimui Yumin aborde le rapport à la mort, en passant ici par deux aspects très humains.
D'un côté, le cas des victimes, qu'elles soient déjà décédées de différentes manières (suicide, disparition, mort soudaine ou plus naturelle...), ou qu'elles se préparent à leur future mort face à la maladie ou à la vieillesse, ce qui les pousse généralement organiser à l'avance tout ce qu'il faut pour leurs futures obsèques. On suit alors, à plus d'une reprise, l'accompagnement par Chu-sheng auprès de ces personnes qui tâchent de se préparer à leur future disparition, de l'accepter en essayant d'avoir le moins de regrets possible, ce qui permet notamment à l'autrice d'insister sur la solitude qui peut peser sur certaines de ces personnes en fin de vie.
Et de l'autre côté, le cas des personnes qui restent: famille et autres proches doivent tour à tour se préparer à l'inévitable et faire face à chaque étape psychologique du deuil, ce qui peut s'exprimer de manières très différentes selon les gens, avec certains cas particulièrement difficile à gérer émotionnellement. Quoi de plus terrible que de voir des parents devoir accepter la disparition de leur enfant injustement condamné par la maladie ?
Ce facteur humain, à la fois dans le traitement des morts, dans celui des personnes en fin de vie et dans celui des vivants endeuillés, amène naturellement son lot d'émotion tout en mettant en exergue la dignité et le respect de chaque cas, et pourtant Rimui Yumin parvient à éviter tout pathos, tant elle sait trouver le bon équilibre et évite de s'éterniser sur des événements qui touchent naturellement, tant ils peuvent tous nous concerner. L'autrice sait jauger et contenir le ressenti de ses personnages. Mieux encore, elle parvient généralement à "dédramatiser" cette inévitable étape, en particulier grâce à deux points.
Tout d'abord, la personnalité de Chu-cheng: souvent guidée par ses émotions dans un métier qui exige généralement de les contrôler et de les contenir, elle pourrait parfois faire pire que mieux et commettra inévitablement dès petites erreurs de débutante, mais sa manière de toujours vouloir accompagner les gens dans leur douleur, leur apporter un peu de bonheur ou effacer leurs possibles regrets a quelque chose de lumineux et d'apaisant. Ensuite, le traitement effectué au fil du tome sur les évolutions de notre héroïne mais aussi d'un Yang-Qing qui, derrière son travail, a ses propres soucis personnels via tout ce qu'implique la fin de vie de son propre père. Se ressemblant un peu à travers leurs rêves de jeunesse musicaux tourmentés, les deux personnages principaux de l'oeuvre avancent au gré des pages et de leurs expériences. Et on peut même dire que, dans le cas de Chu-sheng, sa découverte du travail d'agent funéraire lui fera prendre conscience de beaucoup de choses, soulignant que l'inévitable et douloureuse étape de la mort peut aussi permettre aux vivants d'avancer dans leur existence.
Ajoutons à ça un travail visuel très propre et en retenue quand il le faut, et on obtient un très bel ouvrage. Loin d'être trop pesante, la lecture sait à la fois mettre à l'honneur un travail souvent mal connu et pourtant essentiel, émouvoir sans avoir besoin d'en faire trop, et faire ressortir avec humanité les différents aspects de son délicat sujet. Une excellente trouvaille, qui plus est servie dans une édition française suffisamment soignée: la jaquette est très belle avec son vernis sélectif et son logo-titre bien pensé par Damien Mercier, le lettrage de Romain Pregnolato est assez propre, la traduction de Hsu Ming-Chu et Thomas Lahousse est très claire, le papier et l'impression sont de qualité convaincante, et les quelques pages de suppléments (informations annexes, court chapitre bonus et postface de l'autrice) ajoutent une petite plus-value.