Promenons-nous dans l'espace Vol.1 : Critiques

Kimi to Uchuu wo Aruku Tame ni

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 19 Septembre 2025

Lauréate, entre autres, du Prix Manga Taishô 2024 et du prix Kono Manga ga Sugoi! 2025, à savoir deux des prix japonais les plus reconnus en matière de manga, la série Promenons-nous dans l'espace débarque en France aux éditions Glénat en cette période de rentrée en suscitant, au moins de notre côté, beaucoup d'attentes, tant sa réputation est très flatteuse. De son nom original "Kimi to Uchû wo Aruku Tame ni" (littéralement "Pour marcher dans l'espace avec toi" ), cette oeuvre est la première série professionnelle d'Inuhiko Doronoda, a été lancée au Japon en 2023 sur le site &Sofa des éditions Kôdansha, et compte quatre volumes à l'heure où ces lignes sont écrites, le cinquième tome étant prévu là-bas en octobre.

Se déroulant dans le Japon d'il y a une quinzaine d'années d'après la postface de Doronoda, cette histoire commence par nous immiscer auprès de Yamato Kobayashi, un lycéen de deuxième année qui semble en décrochage depuis longtemps, si bien qu'il a choisi, ces dernières années, de se donner des allures de bad boy décontracté, ne suivant quasiment pas en cours, se fichant des résultats, tuant le temps sans se prendre la tête avec son ami d'enfance Saku, et enchaînant les petits boulots alors que c'est normalement interdit par son lycée.

Les choses auraient pu rester ainsi si, un jour, un nouvel élève n'était pas transféré dans sa classe. Il s'appelle Keisuke Uno, et d'emblée il détonne: il parle fort, il sourit tout le temps, il se promène toujours avec un carnet griffonné de partout qu'il consulte à tout bout de champ, il parle tout seul... si bien qu'à l'arrivée, il passe un peu pour un illuminé ou pour un garçon à la ramasse aux yeux de la plupart de ses nouveaux camarades de classe. A première vue, Uno est le total opposé de Kobayashi... mais est-ce vraiment le cas ? Amené à passer un peu plus de temps avec Uno, Kobayashi a l'occasion de mieux cerner certaines choses sur lui: malgré son excellente mémoire il peine à faire plusieurs choses en même temps ou à improviser pour s'adapter aux circonstances, il panique vite quand il ne sait pas quoi répondre, il déteste les endroits remplis de gens qu'il ne connaît pas, il fuit face à certains bruits forts et quand des gens semblent en colère... Simplement, Uno peine à gérer la plupart des aspects qui semblent les plus "normaux" en matière de relations quotidiennes, et c'est bien pour ça qu'il se fie constamment à son carnet garni d'astuces qui lui permettent d'avancer au quotidien. Alors Kobayashi, loin de le considérer comme un illuminé, se met quelque part à l'admirer, à être impressionné par cette façon qu'a Uno d'avancer malgré les difficultés qui lui sont propres.

Lui qui avait, au contraire, toujours un peu fui les difficultés en jouant les mauvais garçons, se reconnaît finalement beaucoup en Uno, au point de vouloir devenir son ami et de découvrir plus en profondeur son univers. Et cet univers, il passe beaucoup par la passion débordante d'Uno pour l'espace, sur lequel il connaît énormément de choses et dont il pourrait parler des heures durant sans se lasser. C'est ce qui pousse alors Kobayashi à s'inscrire avec lui au club d'astronomie, quand bien même de son côté il ne connaît alors strictement rien à l'espace. Et à partir de là, l'univers de Kobayashi pourrait, lui aussi, finir par s'agrandir, en lui permettant petit à petit de changer.

En s'appuyant joliment sur la thématique de l'espace avec, d'ores et déjà, plusieurs métaphores narratives et visuelles très significatives, Inuhiko Doronoda nous livre avant tout, dans sa tranche de vie, le portrait de jeunes personnages qui, chacun à sa manière, n'entrent pas dans les normes sociétales, pour diverses raisons que l'on apprend à cerner et à découvrir au fil des pages: quand Uno doit vivre avec sa neurodivergence, Kobayashi, lui, doit composer avec ses difficultés scolaires qu'il fuit en se donnant une image et, surtout, par son sentiment de ne pas savoir pour quoi il peut être fait et où il peut trouvé sa place, sa situation n'étant a priori pas aidée par un contexte familial visiblement compliqué. Mais il ne faudrait pas oublier non plus un troisième personnage apparaissant un peu plus tard en la personne de Subaru Mikawa, manager et jusque-là unique membre du club d'astronomie, qui tend à faire fuir les gens à cause de sa façon de parler, mais qui, derrière les apparences, est juste un garçon qui ne sait absolument pas communiquer et qui en souffre.

"Ça fait quoi, d'être habitué à la solitude ?"

Sur cette base, un sujet devient rapidement au coeur du récit: celui de la solitude. Chacun de ces trois adolescents s'est, à sa manière, enfermé dans une forme de solitude, s'est habitué à être seul: Uno se fie constamment à son carnet et évite pas mal d'interactions, Kobayashi fuit depuis longtemps les difficultés et certaines autres réalités avec son image de faux mauvais garçon, Mikawa évite le plus possible d'être en contact avec les autres... mais dans le fond, sont-ils vraiment heureux dans cette situation ? C'est à travers l'espace et le club d'astronomie que ces trois-là, à force d'interactions certes pas toujours évidentes mais où ils s'efforcent de s'ouvrir, devraient petit à petit avancer.

Forcément, un tel propos inclusif a de quoi toucher et parler à beaucoup de monde, d'autant plus qu'Inuhiko Doronoda trouve vraiment le bon ton pour ça. Non seulement, ses dessins assez clairs, souvent légers et aux designs et expressions ultra communicatifs sont redoutablement efficaces en apportant une atmosphère adéquate pour pousser de l'avant les personnages. Mais en plus, lesdits personnages ont le mérite de ne jamais être caricaturaux, sont dépeints sans exagérations dans leur façon d'être, et sont joliment sondés dans leur ressenti intérieur pour se révéler plus complexes que ce que les premières apparences pourraient laisser penser.

Très juste dans l'abord de ses sujets, cette tranche de vie démarre alors de la meilleure des manières et ne trahit aucunement son excellente réputation. Quant à l'édition française, elle se révèle très satisfaisante: la jaquette reste assez fidèle à l'originale japonaise, les quatre premières pages en couleurs sont appréciables, le papier est suffisamment opaque malgré sa finesse, le lettrage de Jonathan Martins est soigné, et surtout la traduction de Karine Rupp-Stanko est très appliquée et naturelle, en faisant soigneusement ressortir sans exagération la façon d'être des personnages.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
17 20
Note de la rédaction