Notre Paradis - Actualité manga

Critique du volume manga

Publiée le Mardi, 12 Octobre 2021

Mangaka active au Japon depuis 2015, d'abord exclusivement dans le yaoi (où elle a déjà signé plusieurs oeuvres) avant de lancer très récemment le shôjo Mirai to Kare to Papa Jijou (centré sur une jeune fille dont le père se remarie avec un homme et qui se retrouve alors soudainement avec un frère), Ari Uehara était jusqu'à récemment inédite en France, mais a fini par arriver dans notre langue fin septembre avec la publication, aux éditions Taifu Comics, de Notre Paradis.

Derrière ce one-shot de plus de 220 pages et ponctué de courts bonus se cache Rakuen (littéralement "Paradis"), une oeuvre en six chapitres que l'autrice dessina en 2016-2017 au Japon pour le compte des éditions Takeshobo et de leur magazine de prépublication Qpa, un magazine que l'on connaît pour un petit paquet d'oeuvres publiées en France telles que Happy Shitty Life, Our House Love Trouble ou No Doubt Lilac.

Le récit nous immisce dans une demeure bien particulière, auprès de deux hommes qui se retrouvent à cohabiter sans le vouloir, et dont on ne découvrira les vrais noms que plus tard puisque, au départ, ils sont surnommés "Wing" et "Pig". Wing, 22 ans, est un gigolo extraverti et sociable, n'hésitant pas à offrir ses services aux personnes (femmes comme hommes, mais surtout femmes) qui le payent. Quant à Pig, 25 ans, il s'agit d'un hikikomori qui a été soudainement extirpé du cybercafé où il avait élu domicile. Le point commun de ces deux que pourtant tout semble opposer ? Eh bien, ils sont à présents entretenus par Nahoko, la propriétaire de la demeure, qui leur offre tout ce dont ils ont besoin en échange du réconfort charnel dont elle a besoin. L'entente entre Wing et Pig est d'abord désastreuse, tant ils sont différents, et d'autant plus que Wing a l'impression que Pig, qu'il trouve un peu misérable, marche sur son territoire car il était là avant. Néanmoins, à force d'épauler à leur manière leur "maîtresse" en lui permettant de se détendre après des jours de travail éreintants, ils finissent petit à petit par réduire la distance entre eux. Mais c'est précisément quand ils commencent à s'entendre de mieux en mieux que Nahoko, de son côté, apparaît de moins en moins souvent dans la demeure, au point d'être absente des semaines sans donner de nouvelles. La jeune femme a déniché un bon parti, semble proche de se marier, ce qui signifie que Wing et Pig ne pourront bientôt plus profiter éternellement de cet endroit qu'ils voient comme un petit paradis... Alors, comment s'en sortiront-ils ?

L'idée de base, en plaçant les deux personnages principaux en tant qu'hommes de réconfort d'une femme, a quelque chose de résolument intrigant, voire même d'assez original, en nous poussant forcément à nous demander comment la mangaka va utiliser et approfondir cette situation... Eh bien, en réalité, c'est précisément sur ce point que l'oeuvre déçoit le plus puisque, rapidement, l'originalité de départ finit par ne pas montrer grand chose. Alors qu'il offre son nom au livre, l'appartement luxueux et paradisiaque n'est jamais réellement mis en avant, dans la mesure où Ari Uehara ne nous laisse pas beaucoup profiter de ce cadre, que Nahoko n'est qu'une silhouette, que les avancées relationnelles des deux hommes sont réglées en deux temps trois mouvements... tant et si bien qu'en fait, Ari Uehara aurait pu raconter exactement la même histoire sans forcément passer par cette idée de base.

Et justement, parlons à présent de l'histoire... qui se limite à trois fois rien: deux êtres que tout oppose se rapprochent puis, dès lors que leur "paradis" s'effrite, essaient de rebondir ensemble, mais non sans aléas puisque chacun d'eux à des parts compliquées dans son passé, en particulier dans le cas de Pig dont on comprend alors mieux la façon d'être, entre côté très solitaire et sombre et façon de se plonger dans le sexe. Le récit est, dans l'ensemble, cousu de fil blanc, et pourtant il y a des choses intéressantes.

Et ces choses intéressantes, elles sont sans doute à chercher du côté de certains partis pris de la mangaka, deux pour être précis. D'un côté, un certain désir de rester dans le non-dit concernant certaines situations, en particulier dans la première partie du volume avant que l'on ne découvre pourquoi Pig est tel qu'il est. Et de l'autre côté, un désir de faire dans l'ellipse, qui va plutôt de pair avec le none-dit. Du début jusqu'à la fin, Uehara se contente de quelques grandes étapes, en occultant volontiers quelques semaines, quelques mois. Mais ces arts du non-dit et de l'ellipse, encore faut-il les maîtriser parfaitement pour qu'ils fonctionnent, et là... eh bien, ce sera un peu selon la sensibilité de chacun(e). Pour ma part, je dirais que, même si on comprend tout dans les grandes lignes, la façon qu'a Ari Uehara de mener les choses m'a toujours semblé trop détachée, trop lisse pour me laisser ressentir la moindre petite émotion quant à ce qui arrive aux personnages. Et ça vaut aussi pour les scènes de sexe, bien présentes et assez explicites, mais qui m'ont quasiment toujours semblé sortir de nulle part (ça finit par s'expliquer concernant celles du début au vu du passé de Pig, mais moins par la suite).

Enfin, sur le plan visuel, le dessin de l'autrice est agréable, sans avoir beaucoup de personnalité. Fins et élancés, les corps masculins séduiront possiblement le public visé, mais les expressions y sont peu variées et l'ensemble reste régulièrement trop lisse. Les décors (généralement tirés de photos) sont peu en vue (y compris ceux de l'appartement) et ne contribuent donc pas beaucoup à l'immersion, tandis que le découpage et la mise en scène sont certes propres mais ne dégagent rien de spécial.

Alors, notre Paradis se présente comme un one-shot globalement pas désagréable, mais anecdotique. Il y a quelques bonnes idées, mais soit elles sont sous-exploitées, soit elles diviseront. Et dans tous les cas, le récit semble avoir peu de chances de vraiment toucher, tant tout y est abordé de façon lisse.

Concernant l'édition française, le seul réel reproche viendra de certaines tournures de phrases un peu bizarres, au point que certains dialogues ne semblent quasiment pas se répondre. Margot Maillac est pourtant une traductrice attentive habituellement, et il est rare qu'on ait quelque chose à lui reprocher, mais là, certaines discussions sonnent faux (à mes yeux, en tout cas, je ne prétends pas avoir la science infuse là-dessus). A part ça, on appréciera la première page en couleurs, le papier souple et sans transparence permettant une bonne qualité d'impression, et la jaquette bénéficiant d'un joli rendu.
  

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
11.5 20
Note de la rédaction