Ningyo - Actualité manga

Critique du volume manga

Publiée le Mercredi, 01 Juin 2022

Après avoir su nous séduire en profondeur en octobre 2020 avec leur première collaboration Jizo, l'auteur français Mr TAN (ou Antoine Dole, bien connu pour son grand succès Mortelle Adèle et pour différents romans entre autres) et la dessinatrice japonaise MATO (également autrice de la série jeunesse Mes amis les Popumomos) ont fait leur retour en mai aux éditions Glénat avec Ningyo, un nouvel ouvrage qui, sur environ 200 pages, va nous immiscer dans un nouveau récit oscillant entre le drame humain, le surnaturel et le conte philosophique.


Tout commence par un événement on ne peut plus tragique: le jour de ses 28 ans, Daichi, un jeune père de famille à qui tout semble réussir, vient s'enfoncer dans la forêt d'Aokigahara pour s'y donner la mort par pendaisons. Derrière lui, il laisse une épouse qui était pourtant radieuse, une petite fille à peine née, des parents dévastés... mais aussi un petit frère en recherche de réponses. Kai, puisque c'est son nom, ne comprend pas comment son grand frère a pu en arriver là alors qu'il semblait tout avoir pour être heureux, au contraire de lui-même qui a moins de réussite, ne sait pas trop ce qu'il veut faire de sa vie et se prend même des remarques assez dures de son père. Finalement, Kai est rongé par le sentiment qu'il ne connaissait pas si bien que ça Daichi, si bien que, malgré l'opposition de sa mère, il décide de se rendre jusqu'à la fameuse forêt pour essayer d'y trouver des réponses. Mais au fur et à mesure qu'il va s'enfoncer dans cette mer d'arbres, sa quête de vérité sur le suicide de son frère va prendre une direction qu'il ne pouvait aucunement soupçonner...


L'amour de Mr TAN pour la culture japonaise sous différentes formes n'est plus un secret: il y a bien sûr eu Jizo où l'auteur exploitait intelligemment ces fameuses statues de pierre à la signification si particulière, mais n'oublions pas le plus maladroit 4LIFE où il se réappropriait notamment certains aspects de la culture otaku, plus récemment son adaptation en manga des Lapins Crétins, ou encore son très bel album jeunesse Les Jours Heureux, son livre de photos Nendo Stories mettant en scène des figurines Nendoroid, et certains de ses romans comme Ueno Park. Avec Ningyo, le scénariste récidive en explorant, cette fois-ci, le cadre si particulier de la forêt d'Aokigahara, une forêt qui existe bel et bien, qui s'étend à la base du mont Fuji, qui est si dense qu'elle est souvent surnommée "la mer d'arbres" (Jukai en japonais)... mais qui porte aussi le nom plus funeste de "forêt des suicidés" puisque, chaque année, elle est le lieu privilégié de la plupart des suicides par pendaison de la région. L'endroit est donc propice aux mythes, notamment des histoires de lieu hanté et de fantômes, et c'est donc au tour de l'auteur français de se l'approprier à sa manière... et une manière pour le moins assez originale. Mr TAN cherche effectivement à évoquer avec un certain réalisme de cet endroit souvent vu comme sinistre, en abordant les curiosités naturelles qui s'y trouvent comme le lac Saiko ou les grottes de glace, et c'est précisément en jouant sur ces lieux à dominance aquatique que l'auteur va pouvoir immiscer, sans que cela choque, un tout autre élément que l'on ne s'attendait pas forcément avoir ici... si tant est, bien sûr, que l'on ne sache pas que "Ningyo", le titre de l'oeuvre, signifie "Sirène" en japonais.


Car dans ce récit se situant en pleine forêt, il est pourtant question de sirènes, caution surnaturelle du récit. Mais attention, pas question ici de retrouver des sirènes telles que la culture occidentale moderne nous la fait paraître (coucou Ariel): à la manière de Rumiko Takahashi dans son chef d'oeuvre Mermaid Forest, Mr TAN livre une vision de ces créatures assez proche des mythes japonais, jusque dans le rendu visuel qui est offert par MATO: torse humain, dents et queue de poisson, voix particulièrement envoûtante... sans oublier l'immortalité. Et c'est en grande partie en exploitant cette notion d'immortalité que l'auteur va pouvoir, petit à petit, donner une signification à la mort de Daichi, et à partir de là dépeindre une certaine mythologie propice à la réflexion. Mr TAN, via les révélations faites par la sirène Ningyo à Kai sur leur vie multi-millénaire et sur leur rapport aux humains qu'elles ont vu naître, aura ainsi l'occasion d'imaginer la façon dont elles se sont installées dans nos croyances et dans notre imaginaire au fil des millénaires. Mais il s'offre surtout la possibilité, en partant de l'impact que l'arrivée des humains a pu avoir sur les sirènes, d'évoquer plus ou moins brièvement nombre de choses sur nous-mêmes: la fragilité humaine, la manière dont notre civilisation a pris le dessus sur tout le reste au point de l'étouffer et de nous étouffer nous-mêmes... Mais loin de se contenter d'un simple portrait critique négatif, Mr TAN, à travers le "sacrifice" de Daichi, ce qu'il a laissé à son petit frère, l'histoire commune de Kai et de Ningyo, et l'unicité de cette dernière parmi ses congénères, sait surtout rebondir pour mieux y opposer des valeurs humaines plus positives. Car face à la colère, à la peine, au désespoir, il y a aussi l'amour, la joie, les rêves, les espoirs... soit tout ce qui fait un humain. Qui plus est, l'écriture, ponctuée notamment de jolies petites métaphores aquatiques, apporte quelque chose d'assez poétique.


Si le fond du récit, à l'instar de Jizo, a quelque chose d'assez dur voire triste en abordant des sujets difficiles, il n'est pourtant pas question de proposer un récit inutilement ou exagérément pesant, d'autant plus que l'issue est pleine d'espoir dans cette histoire qui a clairement tout d'une quête initiatique pour que Kai fasse son deuil, réfléchisse sur la vie et fasse son deuil. Et cette atmosphère doit également beaucoup au dessin de MATO, dont on retrouve notamment avec plaisir les designs assez ronds, les décors suffisamment profonds (surtout dans le cadre d'un forêt dense comme Aokigahara) et les jeux sur le noir grâce à un bon travail d'encrage et de tramage. Enfin, soulignons en particulier le beau travail effectué dans la première partie de l'ouvrage pour installer efficacement la part mystérieuse, surnaturelle et un brin inquiétante du parcours de Kai dans la forêt, grâce à divers petits détails étranges, comme quand il traverse une sorte de mur d'eau sans s'en rendre compte, ou quand une main palmée et écailleuse se montre derrière un arbre.


Enfin, concernant l'édition, c'est un sans faute: Glénat a eu l'excellente idée de proposer un grand format similaire à celui de Jizo pour ne pas dépareiller, et de proposer une jaquette bien dans le ton et ponctuée d'un fin et discret vernis sélectif. Enfin, à l'intérieur, on a droit à un papier blanc et bien épais, qui permet une qualité d'impression tout à fait satisfaisante.



Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs