Misérables (les) Vol.1 - Actualité manga
Misérables (les) Vol.1 - Manga

Misérables (les) Vol.1 : Critiques

les misérables

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 13 Mars 2015

Adapter les œuvres littéraires historiques est une tendance qui se multiplie de plus en plus dans le manga. En France, la tentative fut marquée par Soleil et son catalogue de classiques qui s’ouvrit avec l’adaptation du Capital de Karl Marx en deux volumes. Plus récemment, Nobi-Nobi a lancé sa collection « Les classiques en manga » avec des œuvres telles que Roméo et Juliette ou encore Sherlock Holmes. Sans étiquette de collection, d’autres parutions ont eu lieu, notamment le très sympathique Vicomte de Valmont - Les Liaisons Dangereuses, une adaptation du célèbre roman épistolaire de Laclos par la mangaka Chiho Saitô, avec un style visuel très shôjo.


Kurokawa s’adonne cette fois à l’exercice avec le dérivé manga d’une œuvre qui eut aussi droit à une adaptation dans le catalogue des classiques de Soleil Manga. Les Misérables est un récit littéraire qu’on ne présente plus, car écrit par l’une des plus illustres plumes françaises, Victor Hugo, pour une parution en 1862. Cette histoire a vu défilé bien des adaptations, notamment Japonaises avec pas moins de deux adaptations animées dont l’une datant de 2013. Mais cette fois, c’est de la récente série de Takahiro Arai dont nous parlons, un mangaka qui s’est fait connaître par l’adaptation des romans britanniques Darren Shan et qui nous était par la suite revenu avec Arago. Deux shônen pour deux réussites, mais la nouvelle tentative est bien différente… et le pari de l’auteur est plus qu’honoré !


En 1795, la Révolution Française s’est achevée et le fossé entre riches et pauvres s’est durement creusé. Jean Valjean est l’un de ces « Misérables », un jeune homme qui peine à gagner un salaire afin de permettre à sa famille de survivre. Mais les temps sont durs et l’individu perd son travail, condamnant les siens à se serrer la ceinture, poussant cet homme pourtant juste à voler un pain pour permettre de rassasier ses neveux. Pris sur le fait, Jean est condamné à cinq ans de bagne qui se prolongent en dix-neuf années d’enfer suite à ses multiples tentatives d’évasion. A sa sortie en 1815, Jean n’est plus que l’ombre de lui-même. Sa famille n’a sans doute pas survécu sans la rétribution de Jean et ce dernier, en tant que paria, est voué à être rejeté par la société. C’est pourtant sa rencontre avec l’évêque Myriel, Juste parmi les Justes, que ce héros va caresser de nouveau la lumière…


« Les Misérables » est un nom qui peut paraître barbant pour les plus jeunes, en raison de l’âge du récit et de la densité du texte écrit par Victor Hugo bien que ce classique soit une histoire riche et complexe marquée par un fort contexte historique. Ce manga s’adresse ainsi à ceux qui n’ont jamais lu le roman tout comme aux fervents adeptes de l’œuvre et si on pouvait redouter une adaptation par un auteur reconnu pour ses titres d’aventure et d’action, il s’en sort à merveille pour s’approprier le chef-d’œuvre de Hugo.


Ce premier volume s’annonce comme une mise en bouche en narrant les prémices de l’histoire. Cosette, Marius et Gavroche sont des noms bien connus de l’œuvre, mais pour l’heure, l’honneur revient au personnage de Jean Valjean qui est la vedette de ce premier tome malgré le rôle conséquent de monseigneur Myriel. Le volume prend le temps de présenter ce héros, ce qu’il était, mais aussi ce qu’il subit et la manière dont il va passer de la lumière aux ténèbres, puis des ténèbres à la lumière. Le personnage est d’abord présenté comme un jeune homme attachant, gagnant quelques sous à la sueur de son front pour subvenir aux besoins de sa famille, avant d’entamer une décente aux enfers qui le feront passer à l’état de monstre pur. A ce titre, toute la métaphore de la bête sauvage est dépeinte avec intelligence par Takahiro Arai qui fait de Valjean un véritable fauve, un être abandonné de tous et qui a perdu toute humanité. Puis vient la dernière partie de ce volet qui laisse place à une nouvelle évolution du personnage en maintenant toujours un certain suspens dans les différentes perspectives. Quand on ne connaît pas l’œuvre initiale, il est alors difficile de deviner si le héros s’enfoncera dans les ténèbres ou si, au contraire, il regagnera son âme d’humain. La mise en scène du mangaka ne fait ainsi jamais défaut et c’est sans jamais se détacher du volume que l’on se plaît à suivre la manière dont Jean Valjean évolue, un héros profondément meurtri pour lequel on compatit, ceci grâce à un portrait précis du personnage depuis la première page du tome.


A cela s’ajoute le contexte historique de l’œuvre marqué par une mise en avant de la misère de la classe populaire dont fait évidemment partie Jean. C’est bien sur les démunis que se concentre l’œuvre, marquant le fait que le pouvoir et la noblesse les délaissent complètement, donnant au récit son titre. La misère sociale vient ainsi justifier un peu plus le développement du protagoniste, mais aussi celui de l’évêque Myriel qui, contrairement aux autres hommes de Dieu, ne vit que du strict minimum pour donner ses ressources à ceux qui sont dépourvus de tous moyens contrairement à ses semblables qui jouissent sans vergogne de ce qui leur est donné. La critique de la société est alors précisée par ce personnage qui caractérise aussi l’éloge de la religion, un trait cependant rendu discret par le mangaka qui ne souhaitait pas en faire le propos premier de son adaptation et se contente de dresser un portrait objectif des religieux de l’époque.


Graphiquement, Takahiro Arai a toujours été très bon et il nous l’a prouvé aussi bien sur Darren Shan que sur Arago grâce à un style original et un grand sens du détail. Mais jamais il n’avait élevé son art autant que sur Les Misérables. Son trait prend ainsi beaucoup d’ampleur quand il s’agit de présenter l’évolution physique de Jean Valjean ou tout simplement jouer sur les expressions des personnages. La colère du protagoniste ou la quiétude du personnage de Myriel sont ainsi justement traduites et nous font comprendre les états d’esprit de ces deux figures sans avoir à trop en faire. Bien entendu, le propos est accentué sur Jean Valjean et la métaphore de la bestialité du personnage est retranscrite par le biais de planches le présentant à l’état de lion, des illustrations sur lesquelles Arai fait jouer l’omniprésence du noir, dessins sur lesquels on s’attarde sans problème plusieurs secondes afin d’en apprécier toutes les subtilités.


Kurokawa nous propose une édition de bonne qualité, marquée par une adaptation correcte qui cherche à correspondre au contexte d’époque le mieux possible bien qu’elle aurait pu encore mieux faire, par exemple en appuyant le statut de monseigneur Myriel à travers son titre. Mais à ce sujet, peut-être est-ce dû au texte japonais qui n’insistait pas sur ces éléments. Qu’à cela ne tienne, le texte proposé par l’éditeur français reste convaincant.


Le livre en lui-même est de qualité et le volume, épais, justifie le prix de l’ouvrage. Notons enfin l’impression honnête qui permet d’apprécier le talent graphique d’Arai.


Adapter le chef d’œuvre de Victor Hugo était un risque énorme pour Takahiro Arai qui avait, jusqu’ici développé des séries à l’attention d’un jeune lectorat. Mais le résultat va au-delà de nos espérances et grâce à sa fidélité au texte d’origine associée à un travail graphique minutieux et un sens habile de la mise en scène, ce premier volume est une franche réussite. A tous ceux qui ne connaîtraient pas encore ce monument de la littérature française ou à ceux qui n’ont jamais jeté un œil au travail de cet auteur talentueux, Les Misérables est une lecture plus qu’enrichissante.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Takato
17 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs