Critique du volume manga
Publiée le Jeudi, 03 Juillet 2025
Lancé en France la semaine de Japan Expo, Doomsday War semble être l'un des gros espoirs des éditions Doki-Doki côté nouveautés cette année. De son nom original "Rekkyô Sensen" (littéralement "Le Front des Grandes Puissances"), cette oeuvre d'action et d'anticipation est la toute première publication française de Natsuko Uruma, mangaka qui officie au Japon depuis une dizaine d'années. Elle est prépubliée là-bas depuis 2023 dans le magazine Comic Zenon de l'éditeur Coamix, en marquant ainsi la première collaboration de Doki-Doki avec cet éditeur japonais que l'on connaît notamment pour les séries Valkyrie Apocalypse, Tengen Hero Wars, Arte ou encore Mobuko no Koi.
Doomsday War nous plonge en 2206, dans un futur largement dystopique et qui, par nombre d'aspects, n'est pas forcément si éloigné que ça de notre réalité. Notamment à cause de l'activité humaine, le climat s'est plus que jamais déréglé, et la Terre est devenue l'incessant théâtre des pires catastrophes climatiques, surtout à cause de la montée de la température et, par la même occasion, des eaux. Dans ce contexte quasiment apocalyptique, une grande partie des animaux s'est déjà éteinte, la très grande majorité des nations se sont effondrées puisqu'il n'en reste plus que 16, l'espèce humaine telle qu'on la connaît ne peut plus vivre sans masques pour respirer... et le pire reste inévitablement à venir puisque Gaïa, l’intelligence artificielle aux prédictions incontestées, a récemment déclaré que dans cent ans la surpopulation entraînera définitivement la fin de l’humanité si rien n'est fait.
C'est en prenant connaissance de tout ça que les dirigeants des 16 nations restantes comprennent une chose terrible: pour donner un espoir de survie à l'espèce humaine, il faut précisément éliminer une partie des humains... Mais comment faire ? Comment décider des personnes devant mourir ? C'est pour remédier à cette question que, dans une arène installée au sein des glaces de l'Antarctique, un tournoi doit avoir lieu sous l'égide de Gaïa elle-même: sous la forme de duels, 16 représentants, un par nation, devront se battre jusqu'à ce que l'un d'eux abandonne, ne soit plus en état de combattre ou meure. Au bout de ce tournoi, le héros délégué qui l'emportera pourra choisir la nation qui devra disparaître avec tous ses habitants, le commun des mortels n'étant évidemment pas du tout au courant de ce qui se joue. Et les héros délégués ne sont bien sur pas choisis au hasard: chacun d'eux, censé être l'être le plus fort de sa nation, fait partie d'une nouvelle branche d'êtres humains apparue ces dernières années en tant que nouvelle évolution apte à s'adapter aux nouvelles conditions de la Terre. Ainsi, chacun d'eux est un mutant porteur de "cellules de Thésée", un nouveau type de cellules conférant à son hôte un pouvoir spécifique lié à une chose: végétaux, brume... et sans doute bien d'autres que l'on pourra découvrir au fil des affrontement.
Bien que la mode des mangas de survival et de battle royale soit globalement passée depuis plusieurs années, certaines oeuvres tâchent de faire de la résistance avec réussite, à l'image de Valkyrie Apocalypse dont le succès reste certain, ou encore, pour citer une autre oeuvre du catalogue de Doki-Doki, Battle Game in 5 Seconds, une série qui a su se développer très correctement sur la longueur. Dans le cas de Doomsday War, l'auteur a la bonne idée d'ancrer son histoire dans un cadre très anxiogène, à savoir un futur fait de catastrophes climatiques et de survie de plus en plus complexe... L'Apocalypse ne semble clairement pas loin pour l'espèce humaine ici, et si le principe (faire un tournoi pour décider du sort des vivants) peut d'abord sembler débile, il n'en reste pas moins que Natsuko Uruma affiche un certain cynisme en renvoyant l'espèce humaine à ce qu'elle semble malheureusement faire le mieux: la guerre, qui plus est une guerre qui n'est même plus sous son contrôle mais sous celle d'une IA. Absolument terrifiant dans son parfum d'anticipation...
"La Terre... Encore la guerre, encore et encore... On devrait l'appeler la planète de la guerre."
Après un long chapitre de mise en place, la premier duel peut ensuite commencer entre le Japon (forcément), représenté par Hasuichi Nishizono le fils du Premier ministre en personne, et le Royaume-Uni, représenté par le jeune criminel Albie Hiddleston surnommé "Jabberwocky" (oui, on a vu plus original. Et ce premier duel, il faut bien avouer que dans un premier temps il ne captive pas totalement, la faute à deux éléments. Tout d'abord, le dessin: le mangaka a beau offrir un trait assez pêchu et brutal, pour le moment il ne montre rien de particulier côté mise en scène et cadrages, si bien qu'on a tout compte fait un rendu certes assez fluide mais basique. Ensuite, l'exploitation trop secondaire des spécificités des combattants: non seulement Uruma laisse passer un certain temps avant d'expliquer un peu plus ses concepts de "cellules de Thésée" et de "résonance", si bien qu'au départ on s'en fiche presque, mais en plus l'utilisation des pouvoirs propres à chaque combattant (à savoir, dans ce premier tome, les végétaux et la brume) reste largement en surface, sans amener de stratégie particulière, et avec peu de représentations graphiques vraiment impactantes.
En somme, ça reste assez divertissant, mais on est en droit d'en attendre n peu plus au vu des idées de base... et heureusement, les choses semblent aller dans le bon sens au fur et à mesure que l'on avance dans le volume, car Natsuko Uruma sait peu à peu amener des choses supplémentaires, comme une intrigante condition supplémentaire imposée par Gaia dans ce tournoi, et la promesse de petits développements un peu plus humains autour des combattants. Sur ce dernier point, l'abord du britannique Albie reste somme toute sommaire, mais dans le cas du japonais Hasuichi on est déjà un peu plus intrigués par son passé, la douleur liée à la perte de sa mère, son rapport avec son très pragmatique père, et ses rêves.
A l'arrivée, Doomsday War va vite devoir confirmer et affirmer ses spécificités si Natsuko Uruma veut espérer faire sortir son manga du lot, mais en attendant de voir si ce sera le cas ou non on a droit à un premier tome somme toute suffisamment efficace, surtout grâce à à sa part de science-fiction apocalyptique assez anxiogène et à sa petite part de cynisme autour de la façon qu'ont les hommes à s'en remettre encore et toujours à la guerre... quitte à ne même plus contrôler eux-mêmes cette guerre.
Côté édition, enfin, comme toujours Doki-Doki livre une copie à la hauteur: la jaquette reste fidèle à l'originale nippone tout en s'offrant un logo-titre bien travaillé, le papier est souple, épais et dans l'ensemble assez opaque, l'impression est de très bonne qualité, la traduction de Frédéric Malet est très efficace et vivante, et le lettrage assuré par Jean-François Leyssène est très appliqué jusque dans les détails (à l'image de la fin de la lettre de la mère de Hasuichi, où les mots sont tracés de façon plus hésitante).