Mibu Gishi Den Vol.1 - Actualité manga
Mibu Gishi Den Vol.1 - Manga

Mibu Gishi Den Vol.1 : Critiques

Mibu Gishiden

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 03 Février 2023

En près de deux années d'existence, les éditions Mangetsu ont accordé une place de choix, dans leur catalogue, aux mangas puisant leur inspirations dans l'Histoire du Japon, que ce soit via des oeuvres assez réalistes, des titres plus fantaisistes/romancés, ou même des séries B. Chiruran, Le Mandala de Feu, Keiji, Ikusa no Ko ou encore Buttlerfly Beast en sont autant d'exemples. Mais en ce tout début du moi de février, c'est une véritable pièce de choix du manga historique réaliste que l'éditeur accueille avec Mibu Gishi Den.

Initialement lancée au Japon en 2007, cette série a connu plusieurs éditeurs au Japon, avant d'être récupérée par Shûeisha. Elle compte actuellement 12 tomes. Côté auteurs, on retrouve un mangaka vétéran et pourtant peu publié en France à ce jour, à savoir Takumi Nagayasu, un auteur dont la carrière dure depuis presque 60 ans (il a commencé professionnellement en 1964, à seulement 15 ans, alors qu'il était assistant pour Kenji Namba) et qui est surtout connu chez nus pour avoir mis en image Mother Sarah sur une histoire du grand Katsuhiro Otomo. Ici, Nagayasu adapte le roman éponyme de Jiro Asada, ce dernier supervisant également lui-même le scénario du manga. Ce n'est pas la première fois que Nagayasu s'intéresse aux écrits d'Asada puisque, par le passé, il avait déjà dessiné le manga Le Cheminot (autrefois édité en France par Panini). Notons aussi que le roman d'origine a connu dès 2003 un film live, traduit en anglais sous le titre When the Last Sword is Drawn.

A l'instar de bien d'autres mangas, Mibu Gishi Den commence par nous plonger à une époque charnière du Japon, à savoir la fin de l'ère Edo, et plus précisément du côté du célèbre bataillon Shinsen-gumi qui a déjà inspiré tant et tant d'oeuvres. Mais alors que les oeuvres s'intéressant à ce bataillon tendent souvent à mettre au premier plan les figures restées le plus fortement ancrées dans l'Histoire comme Hijikata, Okita, Nagakura ou Kondo, Jiro Asada et Takumi Nagayasu décident ici de se focaliser sur un homme qui a lui aussi bel et bien existé mais dont on entend moins souvent parler: Kan'ichirô Yoshimura.

Toute la première moitié de cet épais volume de plus de 220 pages commence par nous narrer ce qui est tut bonnement la fin de vie de Yoshimura. Après avoir connu un cuisante défaite cruciale avec ses compagnons d'armes, face aux troupe impériales, lors de la bataille de Toba-Fushimi en janvier 1868, notre homme, bien loin de suivre l'exemple des siens, a tout bonnement fui. Il ne veut pas mourir. Peut-être par pure lâcheté, u eut-être dans l'espoir de continuer à subvenir aux besoins de son épouse et de ses enfants vers qui toutes ses pensées semblent tournées. Blessé, avec en mains un sabre en acier complètement déformé par les combats, le déserteur finit par se retrouver devant le fief de nanbu dirigé par Jiroemon Ono (ou Mikogami Tenzen), un homme qui fut autrefois son seigneur et son ami d'enfance avant, ici aussi, il ne lui tourne le dos six années auparavant. Suppliant la pitié de la part de Jiroemon, Yoshimura ne peut recevoir qu'une profonde pitié mêlée de dégoût, ainsi que des critiques véhémentes, jusqu'à se voir ordonner de laver son honneur en se faisant seppuku. Nourri par les souvenirs de son amitié avec Jiroemon à qui il ne veut attirer aucun problèmes, Yoshimura s'apprête à s'exécuter, ais non sans ressasser nombre de choses sur son parcours. D'un côté, il peut être considéré comme la honte des guerriers et comme un homme humilié, déshonoré, lâche, plus bas que tout. Et à l'heure du bilan, lui-même son considère comme un couard depuis toujours. Et d'un autre côté, en filigranes, on sent que cet homme issu de la campagne a bien souvent voulu refuser la mort et continuer à avancer pour sa famille, pour les gens qu'il chérit plus que tout, ce qui le rend forcément humain. Alors, dans le fond, comment a-t-il pu tomber si bas aux yeux de nombre de ses contemporains au point d'être partiellement tombé dans l'oubli (par rapport aux autres figures-pares du Shinsen-gumi, s'entend), lui qui fut autrefois un brillant instructeur, un excellent bretteur ayant fauché d'innombrables vies, un homme qui faisait la fierté de tout une branche de ses pairs ?

C'est là toute la question que Jiro Asada et Takumi Nagayasu vont, sans l'ombre d'un doute, décortiquer, afin de lever le voile sur toutes les facettes de Yoshimura. Et à ce titre, toute cette introduction de plus 110 pages s'avère excellente, car commencer les choses depuis le point de vue Yoshimura au crépuscule de sa vie, alors qu'il fait son propre bilan, permet d'avoir d'emblée un aperçu riche, fort, humain et dramatique de toutes ses contradictions, dans le bon comme dans le moins bon. Et ces interrogations devraient également animer l'homme qui, dès la deuxième moitié du tome, semble s'installer comme l'autre personnage principal, à savoir un "enquêteur" au nom inconnu qui entreprend, en 1914, de recueillir des témoignages de personnes ayant autrefois fréquenté Yoshimura. Sa première rencontre le place devant un vieil aubergiste qui fut lui-même membre du Shinsen-gumi à l'époque, pour un premier témoignage nous laissant entrevoir toute l'intransigeance du célèbre bataillon, la place que ses figures-phares y occupaient, et dans tout ceci le rôle de Yoshimura qui était alors lettré, très doué au sabre, mais également vénal (on devine bien que c'était pour sa famille et pour ne pas retomber dans ses origines modestes) et renvoyant l'image d'un homme peureux.

L'histoire racontée par Jiro Asada est d'une rigueur et d'une richesse exemplaires, en cherchant bien sûr à décortiquer les nuances du Yoshimura, mais aussi en se voulant pointue dans toutes les références historiques, celles-ci étant par ailleurs assez souvent ponctuées de notes de traduction utiles quand c'est vraiment nécessaire. Ainsi, des néophytes sur cette période tumultueuse de l'Histoire nippone ne devraient pas se sentir trop perdus dans les grandes lignes. Quant à Nagayasu, il met impeccablement en images ce récit grâce à son dessin très réaliste, comparable à celui de bien d'autres auteurs spécialistes de ce style eux aussi, comme Jiro Taniguchi pour citer le plus célèbre par chez nous. Véritable artisan du dessin, Nagayasu est habitué à travailler sans assistant, à tout dessiner seul, ce qui peut expliquer le rythme assez lent de sa série (environ un tome par an au Japon). Et quand on sait ça, on est d'autant plus impressionné par son souci du détail autant dans les tenues et looks d'époque que dans ses décors très présent et précis autant dans les choses historiques que dans les cadres plus naturels. En somme, c'est rigoureux, précis, posé, et donc impeccable pour une histoire de ce genre.

Enfin, on peut également dire que l'édition française qu'elle est très satisfaisante, mais le contraire aurait été un comble pour un manga vendu 9,95€. A l'extérieur, le logo bleu de Mangetsu ne jure pas trop sur la jaquette, par ailleurs agrémentée d'un joli embossage sur son logo-titre imaginé par Tom "spAde" Bertrand. A l'intérieur, on trouve tout d'abord huit premières pages en couleur sur papier glacé, puis un papier souple et sans transparence permettant une excellente qualité d'impression, celle-ci ayant été effectuée en France chez Aubin. Soulignons aussi le lettrage propre de la part de Catherine Bouvier de Black Studio, ainsi que l'excellente traduction de Kevin Stocker, toujours propre, fidèle à l'esprit historique du récit, ponctuée d'assez nombreuses notes comme déjà dit précédemment, et agrémentée d'une petite postface expliquant en toute transparence certains choix vis-à-vis des dialectes de l'époque (le choix ayant été fait de ne pas les conserver afin de ne pas rendre certains moments trop "ridicules" via des accents). Enfin, ce premier tome peut aussi se targuer de posséder un petit mot de l'immense Tetsuya Chiba, l'un des auteurs ayant donné envie à Nagayasu, il y a déjà plus de 60 ans, de devenir mangaka.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16.75 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs