Graffiti - Actualité manga

Critique du volume manga

Publiée le Lundi, 21 Juin 2021

En une carrière malheureusement courte (même s'il avait quand même pu sortir en 2001 un ouvrage dessiné en numérique après quasiment une décennie d'absence), puisqu'il fut touché par sa longue maladie à partir de la première moitié des années 1990, Izumi Matsumoto a pourtant su marquer durablement nombre de lecteurs et de fans d'animation à travers le monde en ayant créé ce qui fut la comédie romantique phare du Shônen Jump pendant les années 80: Kimagure Orange Road (Max et compagnie en français), une oeuvre qui, autant dans sa version manga que dans son adaptation animée, a brillé et brille encore pour son atmosphère typique de cette décennie ainsi que pour le charme indémodable de ses deux héroïnes, en tête desquelles Madoka Ayukawa. Malheureusement, l'artiste est finalement décédé en octobre dernier, ce qui a poussé Black Box à avoir l'idée largement bienvenue d'un hommage, prenant la forme d'une collection qui lui est dédiée et qui accueille les autres titres de l'auteur inédits en France jusque-là: d'un côté Sesame Street, manga en 4 volumes qui fut prépublié de 1988 (donc immédiatement après Orange Road) à 1992 dans le magazine Super Jump de Shûeisha et qui a ensuite connu une réédition deluxe en 3 tomes, et de l'autre côté l'oeuvre qui nous intéresse ici: son recueil d'histoires courtes Graffiti.

Ce recueil, assez épais avec ses environ 230 pages et sorti au Japon en novembre 1989, nous invite à découvrir les histoires courtes que Matsumoto a dessinées au fil de sa carrières dans les années 80, entre 1981 et 1988. Au total, huit récits dont six furent prépubliés dans des magazines de l'écurie Jump de Shûeisha, et dont les deux autres étaient inédit avant la sortie au Japon du livre.

Un jeune japonais avide de cinéma qui, alors qu'il veut faire route vers Hollywood pour y tenter sa chance, se retrouve pris dans une sombre affaire aux côtés d'une sublime jeune femme en Chine. Un garçon poussé à se travestir pour participer au rêve d'un groupe de rock féminin qu'il adore. Une petite romance adolescente impliquant deux frères qui ne se ressemblent pas du tout. Un professeur vraiment pas comme les autres qui se retrouve dans une classe difficile. Une mère beaucoup trop protectrice envers son petit garçon au point de s'incruster dans sa classe. Une succession de trois petites scénettes farfelues. Un groupe de rock qui part en vrille. Un aventure extraterrestre un brin foldingue.

Voici, dans les très grandes lignes, ce qui nous attend à la lecture de ce recueil. Et ce qui marque en premier lieu,c 'est peut-être la diversité des récits proposés par Matsumoto. Selon les récits, le regretté auteur est autant capable de donner dans l'humour que dans la romance, l'aventure un peu plus dure, le surnaturel... Et même dans chacun de ces cas-là, il y a des ambiances qui peuvent être assez diversifiées. Ainsi, côté romance, on peut avoir des choses assez matures et douces-amères (comme dans la première histoire), d'autres plus légères voire humoristiques. Et en terme d'humour, le mangaka pouvait faire tour à tour dans le simple comique de situation ou de caractère, dans la loufoquerie à de nombreuses reprises (ne serait-ce que le côté protecteur poussé à l'extrême de la mère dans "Milk Report" qui donne lieu à quelques situations très rigolotes), voire dans le grotesque ou l'absurde, à l'image des trois pastilles de "Short Short" ou du professeur Atomic Bonten. Et tout ce melting pot nous offre alors un bon exemple de toute la variété que l'on pouvait aussi trouver dans Orange Road, puisque la comédie romantique culte de l'auteur était elle aussi capable de pas mal varier ses ambiances dans ces registres. Soulignons aussi certaines thématiques récurrentes chez le mangaka comme la musique/le rock (tout aussi présent dans Orange Road et Sesame Street). Sans oublier certaines héroïnes qui ont un charme indéniable,à l'image de celle de la première histoire dont l'allure et la dégaine légèrement sexy peut même rappeler un peu Madoka d'Orange Road.

Bien sûr, qui dit histoires courtes assez variées et s'étirant pas mal dans le temps, dit possibilité de ne pas accrocher à toutes les histoires, ce qui est toujours l'un des risques d'un recueil. Mais concrètement, même si certaines histoires donnent l'impression de se boucler beaucoup trop vite, chacune d'elles est efficacement narrée, avec toujours une grande clarté. Visuellement, le fait que les récits aient été dessinés sur plusieurs années (dont les toutes premières années de carrière de l'auteur, puisqu'on a même ici les toutes premières publications professionnelles de Matsumoto) permet d'apprécier au mieux l'évolution du trait du mangaka, la façon dont celui-ci s'est forgé au fil de ses quelques années carrière. Selon les histoires, on a tantôt un dessin très léger et expressif assez typique des comédies loufoques du Jump dans ces années-là, tantôt des choses un peu plus poussées voire un peu pop qui ne manquent pas de faire penser notamment à Hisashi Eguchi, l'un des principaux maîtres de Matsumoto.

Enfin, l'ouvrage vaut également le coup pour les nombreux mots de Matsumoto. Ainsi, chaque histoire est ponctuée d'une postface écrite par l'auteur à l'époque de la publication japonaise du recueil, et bien souvent c'est très intéressant, que ce soit pour les infos sur la conception des récits, pour le recul que le mangaka montre dessus parfois, ou même pour certaines anecdotes sympathiques, comme quand on apprend que les trois pastilles de "Short Short" on dû être faites à la va-vite pour combler un retard que Hisashi Eguchi avait dans son rendu d'un chapitre de Stop!! Hibari-kun!. Et n'oublions pas les 3 pages bonus à la toute fin, où Matsumoto en dit encore un peu plus et nous laisse profiter de quelques croquis.

Au bout du compte, on a alors droit à un recueil très plaisant dans l'ensemble. Malgré la rapidité de certaines histoires, Graffiti est un ouvrage généreux et diversifié, permettant de profiter de plus belle du style d'Izumi Matsumoto et de ses gimmicks. Impossible de ne pas prendre du plaisir à la lecture quand on est fan du mangaka.

Côté édition française, on a affaire à un travail honnête. On appréciera que la couverture reste assez proche de l'originale japonaise. Et à l'intérieur, le papier et l'impression sont de bonne facture, le lettrage de Cindy Bertet est suffisamment soigné, et la traduction de Vincent Zouzoulkowsky est claire.
  

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
15 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs