Critique du volume manga
Publiée le Jeudi, 15 Décembre 2022
Sui Ishida a su imposer son nom avec Tokyo Ghoul, diptyque de deux séries qui a connu un franc succès dans le monde, notamment par le biais de son adaptation animée populaire, bien que n'elle ne fasse qu'effleurer le potentiel de l’œuvre de base. Après la fin de la seconde partie de son histoire, Tokyo Ghoul Re, le mangaka a dû se ressourcer et varier ses activités, avant de revenir au manga. Il a ainsi œuvré sur le jeu-vidéo Jeack Jeanne qui brille de son esthétique, avant de lancer une nouvelle série en 2021, dans le magazine numérique Tonari no Young Jump. Ce titre, qui aura mis un peu plus d'une petite année à nous parvenir, n'est autre que Choujin X.
Lancé en mai 2021 au Japon c'est à l'automne 2022 que l’œuvre est lancée chez Glénat, qui reste donc sur une politique d'auteur avec Sui Ishida. Un luxe dont la maison aurait tort de se priver, tant Tokyo Ghoul fut l'un de ses grands succès de la dernière décennie. Et si le titre trouve légitimement sa place au sein de la maison grenobloise, c'est aussi pour ses patterns communs avec le précédent récit de l'artiste. Cette fois, pas de goules, mais des « Choujin », des mutants possédant des pouvoirs, et se confrontant au sein du commun des mortels. Non dotés de ces talents, Tokio Kurohara et Azuma Higashi jouent les justiciers, le premier agissant comme manager, tandis que le second assume le rôle de héros en utilisant ses talents en arts martiaux. Après un crash d'avion, le duo d'amis décide de se rendre sur place, mais se trouve aux prises avec un malfrat qu'ils ont vaincu quelques heures plus tôt, aujourd'hui transformé en Choujin. Et pour se sortir de ce mauvais pas, Tokio et Azuma n'auront d'autre choix que de s'injecter une substance transformant un humain en l'un de ces mutants. C'est alors que la vie de Tokio s'apprête à changer.
Ces bases rappellent sur certains points l'aventure de Ken Kaneki, notamment parce que Tokio partage quelques traits de caractère avec le héros de Tokyo Ghoul. Bien plus couard, vivant dans l'ombre de son ami Azuma, le protagoniste va connaître un basculement affectant son quotidien. Il n'est pas question de devenir une bête avide de chair humaine, mais un mutant dont les changements sont d'ordre physique, sa force comme son apparence. La comparaison avec la précédente œuvre d'Ishida s'arrête pourtant ici, tant ce premier volume pose des bases qui lui sont propres, parfois au point de totalement nous perturber.
Pourtant, une bonne dose de classicisme imprègne ce début d'histoire, à commencer par le récit d'un héros qui doit trouver ses repères, et un moyen d'exister au sein du commun des mortels, dont sa famille à qui il cache sa nouvelle apparence. Dans cet univers, encore bien mystérieux, existe une faction utilisant les Choujin à des fins malsaines. C'est assez convenu, mais plutôt efficace dans ce contexte où les mutants demeurent un phénomène étrange et pas forcément naturel. Pourquoi existent-ils ? Un bien grand mystère que la suite développera, ou non, en même temps que les péripéties de Tokio qui sera amené à côtoyer des alliés.
Là où ce classicisme gagne en force, c'est certainement dans le style de Sui Ishida, son esthétique comme sa narration qui utilisent astucieusement les teintes noires pour s'enrichir de superbes nuances, par des planches qui fourmillent d'idées. Le mangaka n'a pas perdu de sa superbe dans sa manière de conter une histoire par des procédés troublants, aussi bien dans des atmosphères ténébreuses que par des notes d'absurde totalement narratives. Ainsi, le mangaka semble se libérer d'un poids, celui de l'auteur aux tons « dark » pour créer du burlesque quand on s'y attend le moins. Un chapitre tout particulier, centré sur un autre personnage, enrichit cette démesure du n'importe quoi, en s'insérant entre plusieurs séquences plus graves. C'est assez déstabilisant, aussi il sera normal que la sauce ne prenne pas forcément chez chaque lecteur. Pourtant, l'amateur curieux aura envie de voir jusqu'où l'artiste ira, comment il développera ces excès narratifs et les nuances de son actuel style. Entre ceci et les promesses d'une histoire qui a de quoi s'étoffer, Sui Ishida a de quoi nous régaler avec Choujin X, sur le long terme.
Côté édition, Glénat livre ici une bonne copie : Présence des pages couleur d'origine, utilisation d'un papier fin de qualité pour un ouvrage souple, bien qu'épais... Pas de fausses notes, y compris sur la traduction de Hana Kanehisa qui semble retranscrire les diverses nuances du récit.
Côté bonus, on saluera la générosité des pages supplémentaires traitant les personnages et l'univers, ce qui laisse penser que le mangaka a de la suite dans les idées.