Ayako - Edition Prestige - Actualité manga

Critique du volume manga

Publiée le Lundi, 12 Avril 2021

Décédé en 1989, le légendaire Osamu Tezuka a une carrière particulièrement riche, l'artiste ayant énormément apporté au manga ainsi qu'à l'animation japonaise. Son œuvre (au sens large) est saisissante de nuances, le mangaka ayant été capable de dessiner le candide Tetsuwan Atom / Astro Boy comme l'intense L'Histoire des 3 Adolf. Dans chaque cas, Tezuka n'excluait jamais le discours de son récit.

Ayako fait partie des œuvres qu'il a dessiné dans la seconde partie de sa carrière lancée dans les années 50. Publié entre 1972 et 1973 dans la revue Big Comic des éditions Shôgakukan, le titre totalisera trois volumes, parvenus chez nous aux éditions Delcourt dans les années 2000. Via la collection lancée en 2018, célébrant les 90 ans de l'artiste, Ayako trouve une nouvelle vie dans nos contrées, via une belle intégrale de plus de 700 pages qui regroupe la fin initiale de la prépublication, mais aussi celle revue par l'auteur pour la parution en tomes reliés.

L'intrigue marque tout particulièrement le style de Tezuka. Derrière un scénario qui peut paraître linéaire de prime abord, il développe bien des sujets qui l'ont concerné lui ou sa patrie, lors de son vivant. Après la Seconde Guerre Mondiale, le Japon est sous occupation américaine. Prisonnier de guerre, Jiro Tenge revient au pays en assumant le poste d'espion, et devra composer avec un double quotidien : Son poste de l'ombre, et ses retrouvailles houleuses avec sa famille, marquée par le prestige du temps et dont le pouvoir sur la province qu'elle occupe diminue au fil des années. Jiro découvre notamment sa dernière sœur, Ayako, mais va rapidement se rendre compte d'un terrible secret la concernant. Pour les Tenge et la petite fille, le retour de Jiro sera le début d'une spirale infernale qui pourrait mener à la chute de leur lignée.

Ayako est un perpétuel jeu de tableaux de la part d'Osamu Tezuka. Le synopsis sus narré cristallise toutes les intentions de l'épais ouvrage qui va dépeindre aussi bien la chute du clan Tenge que l'évolution d'un Japon occupé, sans cesse marqué par ses relations avec l'international et une situation de guerre froide qui concernera Jiro à chaque fois un peu plus. D'abord centrée sur le drame familial, l’œuvre évolue davantage vers le thriller politique, notamment dans sa dernière partie dans laquelle Ayako perd de l'importance au profit de son grand-frère, enchainé par son passé et les relations qu'il a tissé. Deux dimensions qui trouvent toutefois un écho fort et qu'Osamu Tezuka parvient à lier avec brio, notamment via une phase finale qui ne laisse pas vraiment le temps de respirer. Par celle-ci et ses révélations, la vision du mangaka sur la situation japonaise, son discours anti conflit et son point de vue sur certaines mœurs anciennes s'imbriquent de manière juste, l'ensemble se payant le luxe de deux conclusions possibles, même s'il convient de retenir avant tout celle que l'artiste a retouché. Un point final plus sombre et nébuleux, qui donne peut-être plus de sens à la figure d'Ayako.

Alors, la première part de l’œuvre, celle très centrée sur la famille Tenge et ses conflits interne, propose une autre ambiance. Tezuka aborde ici le patriarcat toxique et excessif et une nécessité de bouleverser la société japonaise pour lui donner davantage d'humanité. Les oppositions entre personnages sont le parfait reflet de ces idées, les hommes sont souvent montrés comme les bourreaux, et les femmes font les frais de leurs élans égoïstes, pervers et possessifs. Le tout incarné essentiellement par une innocente Ayako qu'on voit grandir et subit les affres des siens, donnant lieu à des séquences volontairement dur. La nudité, bien que glamour, n'est jamais voyeuriste, aussi l'artiste sait quand il doit utiliser des métaphores visuelles avant d'aller trop loin, là où les scènes de nudité brillent d'une contradiction entre beauté et immoralité.

Récit dense s'il en est, Ayako demande un investissement pour comprendre le contexte d'époque et ainsi saisir l'ensemble des intentions de l'auteur. La préface de Patrick Honnoré s'avère alors intéressante pour comprendre d'avance quelques nuances de l'histoire, tandis que l'oeuvre en elle même sait expliquer les grands mouvements sociaux et politiques qui concerne son scénario.

Côté édition, le travail offert par Delcourt/Tonkam est aussi qualitatif que les rééditions des autres titres d'Osamu Tezuka. Un beau papier, des couvertures rigides, et une charte artistique cohérente qui permet d'établir une véritable collection Tezuka sur le long terme. Le plus complexe vient finalement de l'épaisseur du titre, un pavé de plus de 700 pages n'étant pas maniable dans toutes les situations. Mais c'est un ouvrage de prestige, aussi son tarif de 29,99€ est loin d'être crapuleux, au contraire.
  

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Takato
16.5 20
Note de la rédaction