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Avec Toi : Critiques

Shiro ga Ite

Critique du volume manga

Publiée le Jeudi, 21 Novembre 2019

Chronique 2

Keiko Nishi a beau être une très grande dame du manga féminin au Japon, elle n'a pourtant quasiment jamais été publiée en France, comme beaucoup d'autres autrices ayant marqué le manga shôjo/josei malheureusement. C'est bien simple, il y a encore peu de temps, nous ne connaissions d'elle en France qu'Ane no kekkon, très bon manga stoppé en cours de route par Panini. Mais heureusement, et même si c'est uniquement par le biais de one-shot (pour le moment ?), les éditions Akata ont entrepris de faire découvrir un peu plus cette artiste dans notre langue, et après avoir proposé en janvier 2018 le très joli Voyage au bout de l'été, elles récidivent en nous amenant en cette fin 2019 Avec Toi. De son nom original Shiro ga Ite, ce récit en 7 chapitres et 190 pages a été publié en 2015-2016 dans le magazine Zôkan Flowers des éditions Shôgakukan.

Tout commence lorsque la famille Osawa emménage dans sa toute nouvelle maison en banlieue de Tôkyô, une vaste demeure que le père Takeshi, 37 ans, a faite construire en s'endettant sur quelques décennies. La mère Eriko, 33 ans, la fille Mami, 9 ans, et le fils Wataru, 5 ans, s'apprêtent tous à démarrer ensemble cette nouvelle vie de famille... mais très vite, un tout petit intrus fait son apparition: un chaton blanc, visiblement né il y a très peu de temps, et qu'Eriko, Mami et Wataru décident de garder en pensant que c'est Takeshi qui l'a ramené. La vérité est tout autre: Wataru garde secret le fait que c'est lui qui a rapporté ce petit chat abandonné dans un carton. Et tandis que son père, détestant ces bêtes, veut d'abord s'en débarrasser, le félin finira par s'installer durablement, pendant 17 années où il sera l'un des témoins privilégiés de nombreux événements familiaux...

Commençons par évoquer la patte de Keiko Nishi, irrésistible: tout en allant parfois à l'épure, l'autrice sait soigner ses décors, en particulier ceux de la maison où vivent ses personnages, et propose des personnages fins, avec quelques petites excentricités légères comme les yeux de Wataru, mais toujours avec une sensibilité diffuse, subtile et posée. Mais surtout, c'est par son sens du découpage, du cadrage, et plus encore de la narration étalée sur 17 ans que la mangaka brille et montre toute son expérience. plus particulièrement, cette narration est très maligne, en nous faisant suivre, au fil des 7 chapitres, 7 étapes essentielles de la vie de cette famille. Des étapes où, tandis que le chat Shiro grandit et vieillit (3 ans, 7 ans, 10 ans, 13 ans, 15 ans, 17 ans), ses 4 maîtres humains grandissent, évoluent et vieillissent eux aussi.

Au vu de la jaquette, on pourrait un peu croire que l'on va avoir affaire à un énième manga félin. Il n'en est rien. Car ici, pas de focus particulier sur le chat, sur comment s'en occuper, sur son comportement, etc... Tout au plus y a-t-il quelques bons petits gags autour de ce félin au sale caractère et vivant lui-même sa vie dans la maison ou bien au-delà, mais en revenant toujours auprès des siens en étant non seulement un réconfort pour eux quand ça ne va pas, mais aussi à plusieurs reprises une sorte de miroir de certains comportements de ses maîtres, par exemple quand il va voir ailleurs en évoquant alors un peu ce que Takeshi fait lui-même.

Shiro est ainsi, avant tout, par sa présence constante pendant 17 ans, un témoin de ce que vit sa famille. Une famille apparaissant d'abord presque comme un idéal traditionnel au début, avant que la réalité ne rattrape petit à petit tout le monde... Et c'est là qu'est sûrement le principal intérêt du récit: des épreuves, la famille Osawa va en connaître un bon paquet, comme il peut y en avoir dans bon nombre de familles. Il y a bien sûr les enfants qui grandissent en prenant parfois des voies différentes que ce que voulaient les parents. Reste que quand elle n'est pas en crise d'ado, la jolie Mami est une fille semblant d'abord suivre les traces de son père: douée en musique, bonne en études, suivant gentiment l'université pour obtenir un bon job, se faisant déjà tout un plan de vie avec son petit ami avant qu'une cruelle réalité ne la rattrape... Wataru, lui, est un peu le contraire: peu doué et peu motivé à l'école, critiqué par un père qui ne le met aucunement en confiance, il finira par prendre une voie bien différente. Et dans cette famille qui semble idéale sur le papier (deux parents, deux enfants, un animal, une grande maison), c'est bien par le prisme de Takeshi que les choses sont les plus critiquables. On le comprend très vite au vu des humeurs massacrantes du paternel et de la façon dont il parle à son épouse si patiente et serviable (il lui ordonne de lui verser sa bière, dit l'avoir épouser car il lui fallait une femme "moyenne" comme elle pour se sentir supérieur) tentant de se raccrocher à son idéal de vie de famille: on a là une famille très patriarcale, enfoncée dans une traditionalisme peut-être dépassé. Supériorité sur sa femme, pression mise sur ses enfants pour qu'ils suivent la voie qu'il veut leur dicter (il pense plus à leur réussite et à leur image qu'à leur bonheur), adultère... Il n'est pas exagéré de dire que ce père, pendant la majorité du volume, est une pourriture détestable, rappelant pourtant des réalités quotidiennes encore présentes dans les moeurs.

Ainsi, après Ane no Kekkon où elle remettait habilement en cause le concept de mariage, et même dans Voyage au bout de l'été où se glissaient des sujets modernes, Keiko Nishi continue brillamment, sur un ton enlevé et crédible, de bousculer un peu son monde en offrant un portrait critique de la famille traditionnelle parfois trop idéalisée. mais fort heureusement, il y aura des remises en questions délicates mais présentes, et Shiro sera là jusqu'au bout pour réconforter et renouer les liens, soulignant tout les bienfaits que peuvent apporter nos chers animaux.

En un peu moins de 200 pages, Avec Toi est une véritable réussite, bien menée, subtile, intelligente et moderne, donnant d'autant plus envie de continuer à découvrir en France cette importante mangaka qu'est Keiko Nishi. Du côté de l'édition, c'est du tout bon: le petit format souple habituel d'Akata est de qualité, l'impression est bonne, la traduction de Sébastien Ludmann impeccable, et la jaquette bénéficie d'un très beau travail avec une illustration recadrée par rapport à la japonaise ainsi qu'un logo-titre bien étudié.


Chronique 1

Mangaka à la carrière foisonnante, Keiko Nishi n'est que très peu présente dans l'offre française du manga. Outre Ane no Kekkon qui fut lâchement abandonné par Panini après trois tomes, les éditions Akata nous ont fait redécouvrir l'autrice avec le très bon Voyage au bout de l'été début 2018. Désireux de nous présenter davantage les travaux de l'artiste, l'éditeur réitère en cette fin 2019 avec un autre de ses one-shot. Proposé chez nous sous le titre Avec Toi, Shiro ga Ite est un récit en sept chapitres qui fut proposé en 2015 dans le magazine Zôkan Flowers de l'éditeur Shôgakukan. Un énième titre félin, pourrait-on naïvement se dire de prime abord, sauf que l’œuvre est loin de jouer sur la simple fibre tendre de l'humain sur nos charmants compagnons à moustaches...

Mami, Eriko, Takeshi et Wataru forment une petite famille qui vient d’aménager dans une maison fraîchement construite dans la banlieue tokyoïte. Un foyer comme il y en a tant, qui voit un cinquième membre arrivé en son sein : Shiro, un chaton au fort caractère que le petit Wataru a retrouvé abandonné. Si Takeshi, le père, s'oppose d'abord formellement à l'adoption du félin, Shiro finira par trouver sa place dans la famille, tandis que celle-ci subira les aléas du temps au fil des années...

Parler de chat dans un manga, c'est bien, mais la manœuvre est désormais si courante qu'il est difficile de trouver un titre qui sorte du lot. Il faut dire que l'adorable Chi de Konami Kanata a mis la barre haute, si bien que les auteurs qui veulent jouer sur la figure du matou doivent désormais faire preuve d'imagination. Et c'est ce que fait Keiko Nishi dans Avec Toi qui utilise le chat non pas pour émouvoir gratuitement son lectorat mais pour aborder véritablement la question de l'animal au sein de la famille, et en profite pour nous livrer une tranche de vie dramatique sur l'impact du temps sur un foyer a priori parfait, chacun de ses membres étant mené à subir les années de manière différente.

Alors, Shiro n'est pas nécessairement la figure centrale du récit, à tel point que le one-shot se confirme au fil des pages non pas comme un manga félin mais comme une simple chronique familiale comptant un matou en son sein. Le propos principal, c'est celui de la famille de Mami, une petite fille vivant avec son frère Wataru, très sensible, une mère un peu invisible, Eriko, et un père particulièrement sévère en tant que figure classique du salarié modèle, Takeshi. L'autrice nous livre, à sa façon, une vision de ce type de foyer en abordant intelligemment les effets du temps sur chacun de ses membres. Le récit se déroulant sur une longue période, qui va finalement correspondre à la durée de vie de Shiro plus ou moins, les chamboulements vécus par la famille nous seront montrés. Les répercussions de l'adolescence, la voie qu'emprunteront Mami et Wataru, le rôle de « chef de famille » de Takeshi qui s'effritera en même temps que l'honneur du personnage, la manière qu'aura Eriko, mère au foyer banale, d'encaisser les événements... Tout en nous apprenant à connaître les membres de ce foyer, le récit nous fait vivre comment celui-ci s'épanouira ou, au contraire, sera à deux doigts de basculer. Outre le fait que l'autrice suscite chez nous la curiosité de découvrir le destin de ce cocon familial, elle aborde en filigrane ce qu'implique cette notion de famille, modèle en apparence mais soumise comme tout un chacun aux aléas du temps, et tout simplement comment nos choix peuvent faire basculer notre destinée et celle de notre entourage. Il en résultat une fable familial développée parfois avec noirceur, sans pour autant vriller dans le mélodramatique facile.

Dans tout ça, Shiro vient surtout guider le récit par sa petite présence et sa vie, logiquement plus réduite, qui finira par prendre une solide importance au sein du foyer. L'originalité du one-shot vient de sa représentation du félin : Shiro n'est pas un chat tout mignon qui donne l'envie de le caresser, mais une tête de mule qui aime sa famille à sa manière, c'est à titre à coups de griffes fréquents. Keiko Nishi, s'inspirant très certainement du félin qu'elle a elle-même adopté, ne nous présente pas un Shiro aux mines attendrissantes mais un chat au museau renfrogné, grincheux en permanence, mais qui sera aussi rendu attachant d'une certaine manière. Et si l'intrigue autour du chat semble parfois éloignée de celle de la famille de Mami et Wataru, le point final proposé, soulevant une vraie interrogation chez les familles qui accueillent un animal, se révèle à sa manière poignant, et surtout évocatrice du message autour du temps que nous livre la mangaka. C'est touchant et sérieux sans en faire trop, ce qui fait d'Avec Toi un très bon exemple du manga félin qui ne se contente pas de la présence d'un chat pour donner de l'intérêt au récit.

Aussi, on apprécie retrouver le style très fin mais aussi particulièrement expressif de Keiko Nishi. Paru quelques années après Voyage au bout de l'été, Avec Toi montre que le style de l'artiste n'a rien perdu de sa superbe, celle-ci cherchant davantage ici à faire transparaître les émotions sur ses personnages. Évidemment, on aimerait aujourd'hui découvrir la mangaka sur un format plus long, même si le simple fait d'avoir eu accès à deux de ses one-shot en moins de deux ans est une belle avancée.

Au bout du compte, Avec Toi piègera ceux qui s'attendent à un banal manga félin, pour proposer une vraie réflexion sur le cliché de la famille modèle et sur les lourdes répercussions du temps sur chacun de nous. La présence de Shiro constitue alors une vraie allégorie, mais qui fera tout de même sourire les familles qui ont un ou plusieurs matous en leur sein. Une œuvre tantôt amusante, tantôt dramatique, au final émouvant, et qui livre un portait parfois pessimiste mais intéressant d'une typique famille nippone.
   

Critique 2 : L'avis du chroniqueur
Koiwai

17 20
Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Takato
16.5 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs