Critique du volume manga
Publiée le Jeudi, 08 Février 2024
Chronique 2 :
Auteur ayant acquis une très solide base de fans en un peu plus de trente années de carrière, Akihito Yoshitomi reste pourtant un artiste assez rare en France: jusqu'en ce début d'année 2024, on le connaissait surtout dans notre pays dans les registres de la science-fiction et de la fantasy à travers trois oeuvres. Tout d'abord, Loan Knight, la première série longue de sa carrière, un manga de fantasy datant du tout début des années 1990, ayant été publié dans notre langue par Black Box en 2018-2019, et qui se révélait un peu vain dans son récit malgré un certain charme old-school. Ensuite, deux oeuvres de science-fiction ayant leur réputation, à savoir Eat-Man et Ray, sortis en France chez feu les éditons Asuka dans les années 2000. une expérience guère concluante puisque Ray, malgré ses inspirations tirées du Black jack d'Osamu Tezuka, ne rencontra pas le succès, tandis qu'Eat-Man fut carrément stoppé en cours de route dans notre Langue.
Bref, l'expérience Yoshitomi ne semble jamais avoir trop pris dans notre pays jusqu'à présent, mais cela pourrait peut-être changer dans les mois à venir. Tout d'abord, parce que les éditions Mangetsu ont récemment annoncé leur désir de mettre en avant l'auteur via plusieurs publications dans les années à venir, la première de ces publications étant le one-shot C'est une belle journée pour un labyrinthe, prévu dès le mois d'avril. Ensuite, parce qu'en attendant cette parution, ce sont les éditions Noeve Grafx qui ont décidé de se pencher sur l'artiste en publiant, il y a quelques jours, le premier volume d'Aujourd'hui, le futur, en guise de troisième oeuvre au sein de leur récente collection Y², une collection dédiée à des mangas estampillées LBGTQIA+ et dont les deux premiers représentants furent Monotone Blue de Nagabe et Les noces de Lala de Tamekou.
En effet, il faut savoir que si la carrière de Yoshitomi est notamment marquée par la science-fiction, l'un de ses autres péchés mignons est d'introduire des relations ambigües ou pleinement homosexuelles entre jeunes filles dans ses oeuvres, que ce soit en tant qu'éléments secondaires ou en tant qu'enjeux principaux. Et c'est la deuxième option qui devrait l'emporter avec Aujourd'hui, le futur, manga bouclé en 4 tomes, et série parmi les plus récentes de l'auteur puisqu'elle fut initialement prépubliée au Japon entre 2019 et début 2023, sous le titre Kyô Kara Mirai (littéralement "D'aujourd'hui à demain"), dans le magazine Flat Heros de Hero's Inc., magazine orienté seinen dont sont aussi tirés, entre autres, les séries Blank Space (Casterman) et Double (Le Lézard Noir).
Dans le récit d'Aujourd'hui le futur qui nous plonge au sein d'un lycée pour filles, tout commence par une déclaration: celle de Miku à son amie d'enfance Kyôko: la jeune fille avoue à sa précieuse compagne qu'elle l'aime depuis toujours, mais elle ne compte pas pour autant lui demander une réponse tout de suite. Simplement, Miku pose une espèce d'ultimatum à son amie: elle écoutera tout ce que Kyôko dira, et fera tout ce qu'elle demandera, y compris les choses les plus intimes si elle le souhaite, jusqu'à ce qu'elles obtiennent leur diplôme. Mais si Kyôko ne donne pas de réponse d'ici l'obtention du diplôme, ce sera la séparation à tout jamais, car Miku ne veut pas rester éternellement coincée dans un amour qui lui apparaîtrait alors vain. Kyôko, qui est une adolescente très sérieuse, n'aurait jamais imaginé une telle déclaration de la part de son amie d'enfance. Alors, comment évoluera la situation entre elles deux jusqu'à la fin du lycée ?
Ce début d'oeuvre part d'une idée assez intéressante, que les titres japonais et français de la série cristallisent très bien, chacun à leur manière, en soulignant bien l'unicité du personnage de Miku; sincèrement amoureuse de son amie d'enfance, elle dégage néanmoins un côté très libre et pas trop prise de tête, car visiblement elle n'a aucune envie de rester coincée à tout jamais dans cet amour si jamais il s'avérait qu'il n'y a aucune chance de le concrétiser. Simplement, derrière son allure insouciante, on sent qu'elle réfléchit à sa possible relation avec sa bien-aimée dès à présent, car elle envisage le futur dès aujourd'hui. C'est bien pour ça que Miku va commencer à tendre des petites perches à Kyôko, peut-être pour la jauger et la tester, peut-être pour réellement essayer de la faire craquer. Des choses face auxquelles Kyôko va devoir réfléchir, elle qui est si sérieuse et qui n'aurait jamais envisagé, avant la déclaration de Miku, une éventuelle relation avec elle.
L'idée de départ a, alors, de quoi séduire, mais est-elle bien abordée dès ce premier tome ? Eh bien, pas vraiment, malheureusement, car tout ce que raconte Yoshitomi, au fil de ces premiers chapitres relativement indépendants, se révèle un petit peu fade. En effet, les premiers moments partagés par Miku et Kyôko après la déclaration d'amour alterne de façon plutôt mal équilibrée entre deux aspects. D'un côté, il y a des moments où l'on se contente de suivre une Kyôko mal à l'aise face à son amie et à ses sous-entendus qui semblent tantôt volontaires tantôt innocents (est-ce, alors, Kyôko qui interprète trop certaines choses ?). De l'autre côté, il y a des scènes plus intimes entre les deux jeunes filles, au fil desquelles certains choses semblent évoluer bien trop rapidement, comme si le mangaka voulait se précipiter dans son concept tout trouvé autour de fan-service concernant ses jeunes héroïnes. Le mangaka étant connu pour son goût pour croquer des adolescentes pleines de charme (on l'a encore vu via les couvertures de la nouvelle édition de Loan Knight sortie en France, qu'il a redessinées en mettant beaucoup plus en valeur les gamines partiellement dénudées de l'oeuvre), on ne va pas se leurrer sur l'un des objectif principaux, si bien qu'une part du lectorat pourra éventuellement ressentir un certain malaise. mais pour les personne que ça ne choquera pas, avouons-le: si l'on excepte une grosse faute de goût avec un téton apparent sur une page, Yoshitomi évite la putasserie, et met plutôt la grande finesse de son trait au service d'une chose: le charme de la jeunesse que dégagent naturellement ses héroïnes, avec des vues ne se privant pas pour souligner leur beauté tout en évitant quasiment toujours d'être voyeuriste. Espérons juste que, par la suite, il ne dépassera pas trop cet aspect.
Au bout de ce premier tome, le constat est sans appel: dans ces débuts, Aujourd'hui, le futur, c'est plutôt mignon, mais c'est également plutôt vide côté histoire. Sur une base dont le concept est prometteur, pour le moment Akihito Yoshitomi ne va pas chercher plus loin que la mise en scène de deux jolies adolescentes se tournant autour de façon un peu lisse. Après ces premiers chapitres assez agréables à parcourir mais soit vains soit maladroits soit fantasmés dans les lentes évolutions sentimentales, on espère forcément que le scénario gagnera plus en consistance. Et cela pourrait arriver dès le deuxième tome, au vu des dernières pages marquant l'entrée en scène d'une troisième figure qui pourrait bien bousculer le petit monde trop sérieux de Kyôko.
Côté édition, comme toujours, Noeve Grafx a eu à coeur de concevoir un bel objet-livre, avec un très beau rendu extérieur où la jaquette, en plus de rester très fidèle à l'originale japonaise jusque dans la typo de son logo-titre, bénéficie de vernis sélectif et de quelques éléments en léger relief. Et à l'intérieur, on trouve une bonne qualité d'impression sur un papier à la fois souple et bien opaque, un lettrage très convaincant d'Emma Poirrier, et une traduction très claire de la part de Christophe Maertens.
Chronique 1 :
Malgré une carrière prolifique, Akihito Yoshitomi est assez peu présent dans nos librairies. Après une parution de Ray et Eat-Man aux éditions Asuka, le mangaka fut proposé chez Black Box avec sa série d'aventure et de fantasy Loan Knight en 2018. Une série charmante, certes, mais qui manque cruellement de finalité. En cette année 2024, c'est Noeve qui décide de remettre l'artiste en avant. Et en attendant le one-shot "C'est une belle journée pour un labyrinthe", c'est l'un de ses titres les plus récents qui nous est proposé en tant que premier yuri de la collection Y² de l'éditeur.
Publié au Japon entre 2019 et l'année dernière sur le site Flat Hero's des éditions Shôgakukan, pour un total de 4 volumes, "Kyô kara Mirai" nous est proposé sous le titre francophone "Aujourd'hui, le futur", un intitulé intrigant qui traduit bien les intentions d'Akihito Yoshitomi qui, derrière une comédie romantique autour de deux jeunes filles, parvient à aborder des thèmes qui relèvent du social et de la philosophie.
Kyôko et Miku sont amies d'enfances. La première est plus sérieuse que la seconde, tant Miku est beaucoup plus excentrique et joviale. Mais Kyôko ne s'attendait pas à ce que sa meilleure amie lui déclare des sentiments amoureux. Une déclaration qui s'accompagne d'un marché surprenant : jusqu'à la fin de leurs années en tant que lycéennes, Miku se pliera aux désirs de Kyôko, qui pourra faire ce qu'elle veut de son amie. Mais si d'ici là elle ne répond pas à ses sentiments, alors le deal prendra fin, et Kyôko aura perdu une éventuelle chance de rencontrer l'amour...
Vraie tranche de vie sentimentale, "Aujourd'hui, le futur" nous emballe rapidement par son rythme posé, où chaque duo de chapitres constitue une péripétie précise. Akihito Yoshitomi se sert alors de la relation bien singulière entre ses deux héroïnes pour croquer leur étrange alchimie, nourrir plusieurs échanges croustillants dans un contexte précis, et faire évoluer tout doucement l'appréciation de Kyôko de toute cette situation. Sur ce premier volume, la série se présente comme une boîte de chocolats : on peut la déguster d'une traite, ou y revenir ponctuellement pour en savourer un nouveau morceau.
Une formule réussie grâce à ses quelques ingrédients, notamment le duo de personnages aux caractères complémentaires. Si Miku paraît plus rêveuse et libérée, Kyôko a un tempérament sans fioritures et vit le quotidien tel qu'il se présente à elle. Et face à une amie qui aimerait que les choses aillent plus loin entre elles, l'héroïne aura de quoi être désarçonnée à de nombreuses reprises, l'avantage étant que ses interactions avec Miku ne sont jamais vraiment les mêmes d'un épisode à l'autre. Si les premiers chapitres croquent leur relation avec humour et légèreté, un ton un poil plus mélancolique s'installe vers la fin de l'ouvrage, tandis que le récit semble promettre une suite qui bousculera la zone de confort de Kyôko. Une recette qui doit aussi sa saveur au trait du mangaka et à sa narration. Réputé par ses jolies filles, Akihito Yoshitomi a pour lui son sens du rythme, de manière à ne jamais rendre un chapitre trop long, et permet ainsi aux différentes émotions de ne jamais tomber à plat. Aussi, son trait fin et charmant permet quelques notes glamour et sensuelles, mais sans jamais aller au-delà. Il y a donc une forme de pudeur dans les échanges entre les deux protagonistes, même quand il s'agit de partir dans de l'intime.
Mais si ce premier tome nous titille autant durant la lecture, c'est bien pour le sous-texte qu'incorpore l'auteur dans les concepts de ses histoires et dans les échanges entre ses personnages. Si Kyôko est ancrée dans le présent, Miku représente l'électron libre capable d'anticiper le futur et d'envisager sa vie comme une grande aventure. Par cette différence de vision qui les oppose, "Aujourd'hui, le futur" devient un vrai conte philosophique qui nous questionne sur l'importance des choix à l'étape charnière de l'adolescence. Des réflexions qui prennent parfois des allures assez anodines, avec une pâtisserie en guise de métaphore, mais dont on attend beaucoup dans sa connexion avec le fil rouge de l'œuvre. Rien que pour cet aspect, le manga d'Akihito Yoshitomi mérite qu'on s'y intéresse.
Belle surprise donc que ce premier volume, qui permet de retrouver un auteur au style qui n'a en aucun cas perdu de son charme, et qui joue avec les codes de la comédie romantique tout en apportant une touche personnelle. Puisque le manga ne compte que quatre tomes, on se penchera avec curiosité sur la suite de cette jolie histoire.
Côté édition, Noeve reste fidèle à sa volonté d'apporter un ouvrage aux bonnes finitions. Outre un papier de belle facture, on retiendra la couverture d'un bel effet grâce à ses divers vernis sélectifs pour donner du relief aux éléments de la couverture. Une recette assez classique de l'éditeur, mais qui aboutit toujours à de jolis tomes.
Saluons aussi le lettrage solide d'Emma Poirrier et la traduction de Christophe Maertens qui rend honneur aux petites subtilités de ce début de série.