Critique du volume manga
Publiée le Jeudi, 27 Juillet 2023
Manga de Yoshikazu Yasuhiko, Arion a beaucoup fait parler de lui ces derniers mois. D'abord annoncé chez Black Box, qui annula la sortie suite à "de nombreux conflits avec les deux agents de Yasuhiko et un autre éditeur", c'est finalement chez naBan que le titre a attérit, avec salutation du maître en personne qui célébra cette acquisition française par un message illustré réalisé pour l'occasion. Initialement prévu pour avril, le premier tome a finalement atteint nos librairies en ce mois de juillet. Un opus colossal dans ses dimensions, et qui a demandé un travail de titan à l'éditeur. Car actuellement, Arion n'est plus un titre édité au Japon, aussi l'ayant droit francophone a dû scanner et travailler ses propres ouvrages pour restaurer son contenu, et donner naissance à une version digne de l'oeuvre du mangaka, une édition véritablement complète en termes de contenu, et dans un écrin de grande qualité. À ce jour, Arion est le plus bel ouvrage proposé par les éditions naBan. À voir si Venus Wars, autre manga de l'artiste qui paraîtra chez nous ultérieurement, parviendra à le détrôner.
Mais avant de parler d'Arion, il convient de présenter son auteur, Yoshikazu Yasuhiko, une pointure de l'animation et du manga, reste malheureusement trop méconnu chez nous. Lorsqu'il débute sa carrière d'artiste dans les années 70, il rêve d'être mangaka, mais travaillera d'abord dans l'animation, aux postes de character-designer et de directeur de l'animation. En 1979, il œuvre sur la première série Gundam, série aujourd'hui mythique, mais dans la production lui a provoqué un surmenage qui lui a fait frôler la mort. C'est pourtant à cette période, pendant la production de Gundam, qu'il lance son premier manga, l'oeuvre qui nous intéresse ici : Arion.
Publiée dans le Comic Ryu des éditions Tokuma Shoten, elle prendra fin en 1985, avec son cinquième volume. En 1986, il dirige lui-même l'adaptation en film d'animation au sein du studio Sunrise, assurant aussi le character-design et la direction de l'animation. Cette expérience désigne parfaitement Yasuhiko, un artiste complet qui n'hésite pas à adapter ses propres travaux, qui deviennent ainsi des œuvres d'auteur. Il réitère en 1989 avec Venus Wars, puis en 2015 avec Mobile Suit Gundam: The Origin.
En France, c'est d'abord par ses œuvres d'animation que le maître se fait connaître. Dès 2002, Tonkam propose deux de ses mangas, Jeanne et Jésus, deux adaptations de figures historiques et religieuses qui ne feront pas date chez nous. Il faudra ensuite attendre 2006 pour voir arriver son exceptionnel Mobile Suit Gundam: The Origin chez Pika, mais la série connaîtra un succès tout aussi timide, suivant les deux oeuvres précédentes dans la valse des arrêts de commercialisation. Si Yoshikazu Yasuhiko a regagné une estime grâce à la montée en succès de Gundam chez nous, son dernier film qu'est Cucuruz Doan's Island ayant même eu droit à une sortie cinéma, c'est en cette année 2023 que le Yasuhiko mangaka est de retour dans nos librairies. Espérons alors que la marche entamée par Arian et Venus Wars chez naBan se poursuivra avec ses autres récits. Les rumeurs d'une réédition de Mobile Suit Gundam: The Origin, dans son écrin deluxe, sont tenaces, mais ne révèlent rien de concret pour le moment, bien malheureusement.
La digression sur le mangaka fut longue, mais elle semble nécessaire pour contextualiser Arion et soulever le poids de "Yas" en tant qu'artiste. Notons enfin que cette édition française du manga se base sur la deuxième version japonaise, la plus complète.
Arion, fils de Déméter, a pour lui son agilité étonnante et l'amour de sa mère. Enlevé par son oncle Hadès, le garçon est envoyé par le maître des enfers pour tuer Zeus, prétextant là une solution qui permettrait à sa mère de recouvrer la vue. Ainsi débute un véritable voyage initiatique pour Arion qui, en traversant les domaines des dieux, sera amené à comprendre les tensions qui règnent, ainsi que son rôle dans les guerres à venir.
Épais de plus de 400 pages, ce premier volet d'Arion constitue le premier segment d'une trilogie épique qui ne laisse pas le temps de souffler. Sur son premier manga, Yoshikazu Yasuhiko dépeint une aventure non avare en rythme, qui ne se pose jamais bien longtemps, et qui réinterprète la mythologie grecque sous des aspects romancés et dramatiques, avec une touche de noirceur assumée par le mangaka. Ainsi, pas question pour l'œuvre d'être dans l'ombre d'un Saint Seiya, tant les deux récits n'ont rien à voir, d'autant plus que l'oeuvre de Kurumada est contemporaine à celle de "Yas".
Fruit d'une écriture inspirée par le moment, par un artiste qui se laisse aller au gré des envies, Arion se dote d'un premier volume particulièrement saisissant par ses richesses, d'univers notamment. En repensant la mythologie grecque, le mangaka donne vie à un monde d'une grande richesse, mais particulièrement habile pour démontrer les structures et les enjeux de cet environnement voué à devenir le champ de bataille d'une guerre divine. Si on sent que le maître est passé sur des oeuvres telles que Gundam, son premier manga démontre une unicité forte, tout en concrétisant la patte esthétique que les amoureux de ses œuvres d'animation connaissent bien. Ainsi, si Arion est une réinvention hautement dramatique des mythes de la Grèce, le récit a pour lui ses rondeurs visuelles, partiellement héritées de Tezuka, et ses quelques moments d'humour graphique presque cartoonesques.
Et c'est bien cette touche, constituée d'oppositions entre l'épique et le léger, qui donne un charme si particulier aux mangas de Yasuhiko. Les amateurs de Gundam: The Origin ne seront pas perdus, tant l'artiste a montré une identité graphique et un sens de la narration fort dès le premier chapitre de sa première oeuvre. Dans sa manière de conter l'action, le mangaka joue presque les storyboarder, rendant les péripéties fluides et les combats haletants, l'absence de dialogues nous permettant de nous focaliser par ce fil souple qui relie les cases entre elles. Alors, on ne voit pas les 400 pages défiler, tant le manga s'apparente à un film épique au rythme habile, posant les bases d'un conflit dont on attend déjà de voir les développements dans les deux volumes suivants.
Et si on se focalise ici par la narration et la justesse de la construction de l'univers, il y aurait encore beaucoup à dire sur Arion, sur le charme de son héros, sur la relation touchante qu'il développe avec la frêle Lesphina, sur l'ambigüité sur la charismatique Athéna, sur la manière qu'a l'artiste de représenter les dieux à sa sauce quitte à casser les codes... Ce premier tome est d'une richesse indéniable, ce qui est d'autant plus extraordinaire quand il sait qu'il s'agit du premier manga professionnellement publié de ce conteur hors pair. En termes de patrimoine, Yoshikazu Yasuhiko devait revenir dans nos librairies.
Un retour ainsi permit par naBan, qui n'a pas hésité à choyer l'ouvrage. Dans un format imposant, les 400 pages profitent du papier épais propre à l'éditeur, et d'une impression de belle facture, le matériel utilisé absorbant bien l'encre qui ne reste pas sur les mains. Un tel rendu était nécessaire pour rendre justice au style de Yasuhiko. À ceci s'ajoutent une galerie de 8 pages couleur en ouverture d'ouvrage, et les bonus tirés de l'édition deluxe japonaise, incluant des ébauches de personnages ainsi qu'une interview de l'auteur, sur laquelle nous nous sommes appuyées pour exprimer cet avis. Signée Jean-Philippe Dubrulle, un spécialiste de l'auteur, la traduction est particulièrement solide, tant pour coller aux ambiances mythologiques du récit que pour retranscrire les différentes mimiques verbales propres aux personnages de l'auteur.