YUKI Kaori - Actualité manga

YUKI Kaori 由貴香織里

Interview de l'auteur

Publiée le Lundi, 09 Juin 2014

A l'occasion du dernier Salon du Livre en mars dernier, les éditions Pika avaient l'honneur d'accueillir l'une des auteurs de shôjo les plus populaires de notre pays : Kaori Yuki, la reine du shôjo gothique, a qui l'on doit des séries cultes comme Angel Sanctuary, Comte Caïn ou Ludwig Revolution, et qui venait présenter sa dernière série, Devil's Lost Soul. Entre sa conférence publique et ses séances de dédicaces, l'artiste s'adressa également à différents médias. De notre côté, c'est le dimanche soir, aux côtés du Journal du Japon, de Planètebd, de Krinein et de Jeuxvidéo.fr, que vous avons pu poser nos questions à la mangaka au fil d'une table ronde riche en enseignements, qui a notamment permis d'approfondir la conférence publique donnée la veille, et sur laquelle nous reviendrons bientôt.

  
  
  
Angel Sanctuary possède un scénario très riche et complexe qui se dévoile tout au long de sa vingtaine de tomes. Avez-vous écrit le scénario au fur et à mesure des volumes, ou aviez-vous dès le départ une idée précise de celui-ci ?

Kaori Yuki : Le cas d'Angel Sanctuary est particulier, parce que la série est vraiment partie des personnages et de leurs relations. C'est ce qui m'a donné une image générale de l'histoire.
Egalement, j'avais envie d'écrire une histoire sur les anges. La première chose que j'ai faite fut donc d'aller me renseigner sur les différents types d'anges, sur leur rôle, sur leurs particularités... puis j'ai fait un schéma sur les différents anges avec des explications. Au fur et à mesure que le schéma avançait, tout m'est apparu de façon très logique, et je n'ai pas eu besoin de réfléchir longtemps avant d'entrevoir le cadre de mon histoire.
En ce qui concerne les personnages principaux, ça m'est venu petit à petit, par étapes. Le fait qu'ils soient frère et soeur, qu'ils s'aiment, puis forcément que leurs parents s'y opposent... Tout cela est venu au fur et à mesure que je réfléchissais aux relations entre les personnages. J'ai commencé par les principaux personnages du début, puis j'ai vu vers quoi l'histoire allait les amener, le déroulement s'est poursuivi autour des autres personnages que j'avais déjà imaginés.


Et vous aviez la fin en tête dès le départ ?

Oui, dès le premier chapitre j'avais une idée assez précise de comment allait se terminer l'histoire, mais il y a aussi des éléments qui sont venus s'ajouter au fil des chapitres.


Depuis Angel Sanctuary il s'est écoulé deux décennies. Où puisez-vous votre constante imagination et votre motivation dans votre travail depuis ces 20 longues années ? Et que représente le manga dans votre vie ?

Ce n'est même pas une question de motivation : depuis toujours je suis mangaka, donc j'écris et dessine des mangas (rires). C'est un peu l'histoire de la poule et l'oeuf. Et je ne vois pas ce que j'aurais pu faire d'autre : ma vie est indissociable du manga.

  
  
Dans la postface du tome 1 de Devil's Lost Soul, vous dites vous être beaucoup appliquée sur les détails et particularités de l'ère Taishô pour retranscrire cette époque. Quels sont les détails qui vous ont demandé le plus de travail et posé le plus de difficultés ?

Ca m'a demandé beaucoup de recherches. J'ai dû lire plusieurs ouvrages, demander à mon éditeur de rassembler des données sur cette époque qui avait une culture particulière.
La principale difficulté venait du fait qu'il n'existe pas beaucoup de données d'ordre visuel sur cette époque. Même s'il y a des dessins et des films, cela a été arrangé au goût de l'époque, et on ne pouvait pas toujours tout prendre comme la réalité de l'époque. Finalement, j'ai donc forcément dû y mettre ma propre sauce.


Et y a-t-il d'autres grands périodes de l'Histoire que vous aimeriez évoquer dans vos futurs mangas ?

Pour l'instant ce n'est pas un projet sur lequel j'ai absolument envie de me lancer, mais la Venise ancienne m'intéresse assez.


  
  
Vos personnages féminins sont souvent des femmes assez vénéneuses, séductrices ou très fortes... là où habituellement dans beaucoup de shôjo ils sont plutôt mignons. Est-ce votre vision du personnage féminin du shôjo idéal, et qu'est-ce qui vous plaît dans la création de ce genre de personnages ?

J'aime ces personnages féminins forts, voire plus forts que les personnages masculins, et je pense que cette force vient du fait qu'elles ne sont pas liées à quoi que ce soit, qu'elles ne sont retenues par rien.
Mais pour moi, il y a beaucoup de sortes de personnages féminins attrayants : les femmes sexy et charmeuses, celles avec une grosse poitrine (rires), les petites filles qui ton besoin d'être protégées mais ont une grande gueule, les filles énergiques qui ont l'air de garçons manqués...


Tous ces stéréotypes de personnages féminins que vous venez d'évoquer, on les retrouve dans Ludwig Revolution.

C'est vrai, c'était l'un des petits challenges de la série. Dans les personnages de cette série, j'aime particulièrement Dorothea et sa superbe poitrine (rires).

  
  
Vous explorez souvent des thèmes très sensibles, voire parfois tabous, comme la religion, l'inceste ou le meurtre. N'avez-vous jamais été censurée par votre éditeur ? Est-il déjà arrivé qu'il vous demande d'aller moins loin ?

Les thèmes du meurtre ou de l'inceste ne sont pas du tout un problème pour les magazines où je suis publiée, ils sont même parmi les thèmes préférés des lectrices.
Par contre, c'est la façon de les représenter qui peut être problématique. Si je me mets à dessiner une scène de meurtre particulièrement horrible, il arrive qu'on me dise stop.
Et les limites fixées pour chaque magazine peuvent être très différentes, et il faut s'adapter à chacun.
Je me suis également toujours demandé où était la limite pour les scènes sexy dans les shôjo. Personnellement je n'en dessine pas trop pour éviter les problèmes, mais je me suis toujours demandé où se situait la limite pour la description de scènes de sexe.


On parlait tout à l'heure des femmes fortes de vos mangas, et hier en conférence vous avez évoqué un projet qui est encore dans les cartons autour de Jeanne d'Arc. Pourquoi Jeanne d'Arc ? A quoi ressemblera la version Kaori Yuki, étant donné que vous aimez souvent détourner les figures populaires ?

Je vais sûrement dessiner ce projet un jour, donc pour l'instant je ne veux pas vous en dire plus pour ne pas gâcher la surprise. Mais ce qui est sûr, c'est que ce ne sera certainement pas la Jeanne d'Arc habituelle (rires).

  
  
Vous qui dessinez toujours des choses sombres, aimeriez-vous un jour vous essayer à une oeuvre plus légère ?

Je n'en serais pas capable, ce n'est pas mon style.


Maintenant que vous avez plus de 20 ans de carrière au compteur, quelles évolutions dans le milieu du shôjo avez-vous pu voir au fil de ces années ?

Il est difficile pour moi de répondre à cette question, parce qu'en réalité je ne lis quasiment pas de shôjo manga. Je ne lis quasiment que du seinen. Par exemple j'adore Berserk, et des shônen très sombres comme Claymore et L'Attaque des Titans. Actuellement c'est ce dernier qui m'intéresse le plus. Et puis il y a Bimbogami ga! qui m'amuse beaucoup. Bref, pas de shôjo (rires).


Justement, vu que vous parliez des limites du shôjo et que vous aimez lire du seinen, aimeriez-vous un jour dessiner du seinen, ne serait-ce que pour pouvoir repousser ces limites ?

Oh que oui !

  
  
Y a-t-il une oeuvre en particulier qui, dans votre enfance, vous a donné envie de devenir mangaka ?

Glass no Kamen m'a beaucoup marquée, mais c'est un recueil de la même auteure sorti encore avant qui m'a vraiment donné envie de devenir mangaka.


N'a-t-il pas été difficile, en plus en temps que femme auteure, d'imposer à vos débuts votre style si particulier ? Comment avez-vous fait pour développer autant votre univers et conserver le même succès avec celui-ci pendant 20 ans ?

C'est vrai qu'à mes débuts, certains collègues mangakas me disaient qu'avec mon style graphique je n'arriverais jamais à bien vendre. A l'époque ça m'a fait un choc, alors j'ai essayé de me lancer dans la comédie amoureuse en proposant des histoires à différents magazines, mais ça ne décollait pas.
Puis le jour où on m'a enfin proposé de faire une petite série sur plusieurs numéros de magazine, le premier épisode n'a pas vraiment été apprécié, le deuxième un petit peu plus, et lors du troisième on a enfin senti une meilleure réaction des lecteurs. Il se trouve que cette mini-série était dans un genre plutôt horrifique, et mon éditeur de l'époque m'a dit que c'était plutôt ce genre que je devrais faire.
L'idée suivante que j'ai présentée fut donc celle de Comte Caïn, et ça a bien marché.
C'est à cette époque que je me suis rendue compte que c'était vraiment dans ce genre d'univers que je m'épanouirais, et que c'était à ce type d'histoire assez sombre que mon style graphique collait le mieux. Au fur et à mesure, j'ai continué dans cette voie sans chercher à en changer, je ressentais que ça collait bien.
Après, je pense que le succès est aussi venu du fait qu'à l'époque, dans le magazine dans lequel j'étais publiée (le Hana to Yume, ndlr) il y avait beaucoup de sortes d'oeuvres différentes, ce qui est un peu l'esprit du magazine, mais il n'y avait pas vraiment d'horreur, de récits sombres comme je les fais. Alors quand je suis arrivée avec mes oeuvres sombres, c'est sûrement ce qui a attiré l'oeil.
C'est comme ça que j'en suis arrivée là, mais je ne sais toujours pas si c'est une bonne ou une mauvaise chose que je me sois autant spécialisée dans un style sombre et gothique.

  
  
Remerciements à Mme Kaori Yuki, à Kim Bédenne et Laure Peduzzi des éditions Pika, ainsi qu'aux autres médias présents pendant la table ronde.

Mise en ligne en juin 2014.