Extreme orient - Actualité manga

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 20 Juin 2014

En 1995, Les Humanoïde Associés ont contacté des auteurs japonais dans le but de réaliser un recueil d'histoires courtes érotiques. Ces courts récits ont été créés à destination du lectorat français, spécialement pour ce volume, et dans le sens de lecture occidentale. Il en résulte un ouvrage d'un peu plus de quatre-vingts pages (parution en 1996), contenant six récits de six auteurs différents dont le but est de proposer un panorama de « la manga » érotique. Il était en effet courant à l'époque (et encore un peu aujourd’hui) d'entendre parler de « la manga », terme élitiste et ridicule censé désigner les mangas d'auteurs, supposément de meilleure qualité, en opposition à la production « classique ».


Le premier récit, intitulé « Conte de la pleine lune avant la neige », nous vient d'une certaine Komachi Hanakôji, inconnue en France en dehors de sa participation à Extrême Orient. En l'espace de treize pages, l'auteure nous narre le drame d'un couple de paysans vivant dans les montagnes. Le récit prend la forme d'une légende qui n'a absolument RIEN à voir avec le sexe l'érotisme, ou ne serait-ce que la sensualité (de près ou de loin), et n'as pas grand intérêt scénaristiquement. C'est très court, assez linéaire, bref, pas terrible. On s'attardera en revanche sur les graphismes, très fins et réalistes, fourmillant de détails. En un mot : somptueux.


Beau, mais chiant, et surtout complètement hors sujet.


Le second récit, « 13m2 », réalisé par See-O (également inconnu dans nos contrées), met en scène les ébats d'un jeune couple dans un minuscule appartement. Si les scènes de sexe occupent une place non négligeable dans la nouvelle, elles sont toutefois assez peu intéressantes et plutôt soft (à noter que d'une façon générale, je trouve les scènes de sexe assez peu intéressantes, mes propos sont donc à relativiser de ce côté-là en particulier), malgré le talent certain de l'auteur pour représenter le plaisir sur les faciès féminins. L'intérêt du récit réside à mon sens davantage dans les réflexions des personnages sur le sexe, mais aussi sur la vie de couple en général, la lassitude, les petites attentions, etc. Graphiquement, le trait de l'auteur est imparfait, mais agréable, assez relâché, loin d'être dénué d'un certain charme.


Sans être transcendante, une lecture plaisante.


Shôko Haneda (là encore, c'est sa seule œuvre publiée chez nous) signe la troisième histoire : « Libido ». On suit ici une jeune femme sur le point d'avoir son premier rapport sexuel, avec l'homme de ses fantasmes qui plus est. Seulement, elle va vite s'apercevoir que la réalité n'est pas à la hauteur de ses rêves érotiques. La place du sexe dans cette nouvelle est moindre, très soft, et en bonne partie dissimulée. Ce sont les réflexions de l'héroïne qui constituent le principal intérêt du récit, et en particulier la comparaison qu'elle effectue entre fantasme et réalité. Les dessins sont assez sommaires, mais croquent le visage de l'héroïne avec beaucoup de charme.


Comme pour « 13m◊ », une lecture intéressante et distrayante.


Takako Yahago (énième inconnue pour le lectorat français) livre quant à elle « Bon à rien », la quatrième nouvelle du recueil. C'est une courte chronique sociale mettant en scène un jeune couple composé d'une cuisinière et d'un livreur au comportement à la fois désinvolte et excessivement innocent. Le tout est ponctué de quelques scènes de sexe plus crues que pour les autres récits, plus propices à l'excitation. En toile de fond, l'auteur distille quelques interrogations sur la fidélité, et les graphismes sont assez réalistes et détaillés, plutôt beaux, relativement maîtrisés (une description tout en nuance, j'ai du mal à les définir).


L'une des nouvelles les plus intéressantes du manga pour ses scènes érotiques, moins pour son scénario.


On continue avec « La stratégie du plaisir », de Sono Nagata, lui aussi anonyme aux yeux du peuple de l'hexagone. On y suit une certaine Yôko, sorte de femme fatale qui enchaîne les conquêtes sans lendemain, et qui refuse de s'engager. Si l'histoire ne propose pas grand-chose d'intéressant côté scénario, elle est la plus réussie du volume au niveau des scènes érotiques. Celles-ci sont assez longues (comparées aux autres), et s'inscrivent dans la veine la plus classique des hentai : un scénario quasi inexistant prétexte à des scènes de sexe. Les dessins sont assez « classiques », ni vraiment beaux, ni particulièrement laids, pas toujours maîtrisés, mais efficaces quand il s'agit de faire parler les corps.


L'histoire la plus à même de satisfaire le public habituel de manga érotiques.


Le meilleur pour la fin, avec « Programme de santé publique » d'un auteur dont c'est la première apparition en France (il faudra attendre 2010 pour qu'il y soit à nouveau publié), j'ai nommé Shintarô Kago ! On devine aujourd'hui que l'auteur a participé au projet, car cela lui donnait l'occasion de se faire connaître et de produire le genre de récit dont il est coutumier sous couvert d'histoire érotique (ce qu'il a beaucoup fait pour pouvoir être publié). On lit d'ailleurs dans sa présentation en fin de volume la phrase suivante : « ce qui l'intéresse, au fond, c'est surtout de « détruire les structures traditionnelles de la manga » ». On a ici affaire à une histoire de SF, dans un monde futuriste où de nombreuses réalités coexistent et où on peut louer les services d'une partie du corps de l'un de nos avatars d'un autre monde, notamment pour assouvir ses pulsions sexuelles. Il y a donc bien des scènes sexuelles, et même sans doute plus que dans les autres récits, mais elles n'ont rien d'excitant (enfin, tous les goûts sont dans la nature, mais a priori...), elles sont simplement prétexte à des situations complètement folles comme sait si bien les créer l'auteur. C'est drôle, fun, original, ça tranche avec tout le reste du recueil, et c'est tant mieux.


Les amateurs d'érotisme ne trouveront sûrement pas leur compte dans cette ultime nouvelle, mais les adeptes d'ero-guro ne peuvent qu'adorer.


L'édition est de bonne facture, au format classique franco-belge, à la couverture cartonnée et au papier glacé, on reste légèrement dubitatif face au choix de traduction des onomatopées (traduites dans les marges, et explicitées de façon assez ridicule), même si l'éditeur affirme que c'est la meilleure solution.


En conclusion, que retenir d'Extrême-Orient ? On peut affirmer qu'il a réussi son objectif puisqu'il propose en effet un panel varié de nouvelles portant sur le sexe (si on excepte l'incompréhension de la première histoire), différentes les unes des autres, bien que d'intérêt variable. Pour le fanatique de Shintarô Kago, c'est l'occasion de découvrir sa première publication française à travers une histoire géniale, pour l'amateur d'érotisme, c'est beaucoup moins intéressant, quoique cela dépende de ses attentes vis-à-vis de l'ouvrage (si l'intérêt est purement cérébral, alors ça devrait lui plaire. Sinon...). Un ouvrage somme toute intéressant, même si l’on devine que le succès n'a pas été au rendez-vous, le petit « 1 » sur la couverture laissant présager d'une suite qui ne vit jamais le jour.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Luciole21
15 20
Note de la rédaction