EIN Lee - Actualité manga

Interview de l'auteur

Publiée le Lundi, 02 Novembre 2015

Interview 1



Dans le cadre de la sortie de Princesse Pivoine (éditions nobi nobi!), l'illustratrice et dessinatrice Ein Lee a accepté de répondre à quelques unes de nos questions. Portrait d'une artiste en vogue!
 

 
 
Manga-news: Comment es-tu arrivée dans le milieu artistique ? Étais-tu intéressée par ce milieu depuis longtemps?
J'ai toujours eu la « fibre artistique » depuis toute petite, parce que j'aimais regarder les cartoons et les anime (comme Sailor Moon) à la télévision. Cela m’inspirait de copier ce style graphique, parce que je trouvais les personnages en costumes marins très jolis !
Je dessinais toujours quand je m'ennuyais, et j’étais souvent complimentée par les adultes à propos de mes dessins (mes parents, et surtout ma mère, m'ont toujours encouragée), ce qui m’a beaucoup mise en confiance. Dessiner me rend heureuse et ça, ça ne changera jamais !
 

Tu t’es surtout fait connaître à travers le réseau social et artistique DeviantArt. Comment en es-tu venue à t'exprimer sur ce réseau, et quel rôle cela a-t-il eu sur ton évolution artistique?
Je connais DeviantArt depuis longtemps, peut-être depuis un an ou deux après sa création. Mes artistes préférés sur DeviantArt (certains d'entre eux sont mes amis maintenant !) et moi n’avions auparavant jamais trouvé une communauté aussi fortement vouée à l’art ! Et à partir de ce moment-là, je me suis dit qu'un jour, quand je serais assez expérimentée, je pourrais commencer à y publier mes dessins. Il y a un peu plus de deux ans, j'ai mis en ligne mes premiers travaux et, lentement mais sûrement, les gens ont commencé à me remarquer et à laisser des commentaires, ce qui m'a vraiment encouragée. Pour moi, c'est le plus grand rôle qu’a joué DeviantArt dans ma vie : avoir l’opportunité d’intéresser un public par mes illustrations, et leurs commentaires m'aident souvent  à regarder mes travaux et mes divers styles de dessin sous un angle différent.
Je pense que DeviantArt ne m’a pas permis de m’améliorer techniquement parlant (car j’affine plutôt mon trait moi-même, en dessinant sans cesse), mais on peut dire qu’il s’agit plus d’un soutien moral, un moyen de m’encourager.
 

 
 
J'ai entendu dire que, depuis ton enfance, tu as vécu dans plusieurs pays comme les États-Unis ou la Thaïlande. Dans quelle mesure la vie dans ces pays différents a-t-elle pu influencer ton travail?
Si je n'avais pas grandie aux États-Unis et en Thaïlande, je ne serais pas l’artiste que je suis aujourd'hui. Grandir aux États-Unis m’a confrontée à un univers artistique différent,  un univers qui met en avant les comics dans lesquels on montre souvent des hommes musclés et pas des petites filles aux pouvoirs magiques par exemple. Toute la société là-bas accorde une grande importance à l’expression personnelle et à la liberté (qui s'applique aussi à l'Art). Vivre en Thaïlande m'a également exposée à des possibilités artistiques merveilleuses quand j'y ai étudié, et tous les gens que j'ai pu y rencontrer (amis, enseignants…) ont vraiment changé ma vie et ma façon de voir le monde. J'en suis venue à apprécier le caractère unique des différentes cultures, et j’ai compris que chaque individu est un peu comme mon voisin dans ce petit monde !

Tu as notamment remporté le prestigieux royal Over-Seas League's Young Artist Competition qui t’a valu d'être exposée à Londres. Peux-tu nous en dire plus là-dessus?
Ce n’est pas exactement ça. Je n'ai pas été « la » gagnante du ROSL Young Artist Competition, mais j’ai reçu un trophée pour avoir été parmi les 12 finalistes, dont les travaux ont été exposés à la galerie Royal Over-Seas League de Londres.
A l’origine, il s'agissait en fait de l'idée de mon professeur d'art. C’est un concours national en Thaïlande, accessible à tout étudiant âgé entre13 et 19 ans. Elle aimait mon travail et a pensé que m’inscrire au concours serait une bonne expérience pour moi. Beaucoup de mes camarades de classe ont également participé, mais j'ai été la seule à passer le premier tour. J’avais proposé trois œuvres, et les trois ont été sélectionnées  parmi les 60 œuvres de présélection (sur plusieurs centaines). Elles ont ensuite été exposées dans une galerie locale. Enfin, une fois parmi les 12 finalistes, l’une de mes peintures a été choisie pour être exposée à Londres.
Ce concours était un moment sympathique (et la nourriture au vernissage était très bonne !).
 

   
 
Peux-tu nous raconter la genèse de la création de Princesse Pivoine pour nobi nobi?
nobi nobi ! m’a contactée après avoir remarqué mon travail sur DeviantArt. Après s’être présentés (ils m’ont d’ailleurs immédiatement paru sérieux et très sympathiques !), les créateurs de nobi nobi ! m'ont demandé si je voulais collaborer avec eux sur un projet de livre de conte pour enfants dessiné dans un style manga. Inutile de dire que je n’ai pas hésité une seconde avant d’accepter,  car c’était comme un rêve pour moi : illustrer un livre pour enfants, à partir d’un conte traditionnel japonais, dans un style manga, le tout publié en France… que demander de plus?
Après avoir cherché une histoire qui ferait un beau livre de conte,  je suis tombée sur la légende de Princesse Pivoine.  J’ai trouvé que c’était l’histoire parfaite car elle est à la fois simple et facile à suivre, mais aussi porteuse d’un message spirituel. J'ai fait part de mon idée à nobi nobi ! et ils ont accepté de me laisser illustrer cette histoire. Pour l’anecdote, j'adore les fleurs et les jardins japonais, et il y en a beaucoup dans Princesse Pivoine, ça tombait bien !
 

Sur Princesse Pivoine, le style poétique, envoûtant, aux nombreuses couleurs très nuancées ne manque pas de charmer. As-tu des influences particulières ? Des artistes qui t'ont marquée?
On me parle souvent de la façon dont je traite la couleur,  cela me fait plaisir. J'ai tendance à choisir des couleurs vives car j'aime les images expressives et pleines de vie. De plus, je trouve que les couleurs lumineuses sont particulièrement adaptées aux livres pour enfants. Bien sûr, les couleurs plus sombres et ternes peuvent également exprimer de nombreuses émotions, mais je suis une grande fan des associations de couleurs attrayantes, même dans la vie quotidienne (dans ma façon de m’habiller, par exemple). Je suis très influencée par la façon dont la lumière et l'ombre peuvent interagir entre elles, et j'aime les photos ou les œuvres d'art qui mettent en avant de tels contrastes. Quant aux artistes que j'apprécie… ils sont tout simplement trop nombreux ! J’admire tellement de merveilleux créateurs sur cette planète. Voici en vrac quelques noms auxquels je pense à l’instant : James Gurney, Aya Kato, Yoshiyuki Sadamoto, Vania, Norman Rockwell, Kazuaki, Barbara Canepa, Shaun Tan, Rackham, Fuyuko Matsui, Riichiro Inagaki, Makoto Shinkai , Josh Middleton, Rem, Brian Froud, Tatsuyuki Tanaka… Je pense que cela vous donne un ordre d’idée.
  

  
 
Dans Princesse Pivoine, tu illustres un conte japonais, et ton style en lui-même dégage de nombreuses influences en lien avec l'archipel nippon. Le Japon semble être un pays qui t'intéresse, qui t'attire. Dans quelles mesures ? La culture japonaise est-elle populaire à Taiwan, ton pays d'origine?
Même si j'ai toujours été intéressée par les anime, j’ai vraiment développé un intérêt tout particulier pour le Japon et sa culture quand je suis retournée vivre à Taiwan (j’avais environ 13 ans). À partir de ce moment-là, mon sens artistique s’est affiné davantage et j'ai commencé à apprécier la beauté du design japonais, la quantité de détails qu’on y retrouve et l'effort que les japonais mettent à leur ouvrage. L'Art japonais a une esthétique très particulière, c’est la raison pour laquelle il est si identifiable et fascine autant de personnes partout dans le monde.
Toute ma famille est attirée par la culture japonaise (mon père et mon grand-père parlent couramment japonais) et désormais, le Japon et sa culture font partie de ma vie quotidienne. J'adore les livres et magazines japonais, les vêtements japonais, la nourriture japonaise...
En raison des liens étroits entre Taiwan et le Japon, associé au fait que ces pays sont très proches géographiquement parlant, la culture japonaise est très populaire ici. Lire un manga est très courant à Taiwan, et les gens ici apprécient la mode et les produits de qualité qui viennent du Japon ! J’aime à penser que Taiwan est en quelques sortes un mélange entre le Japon et la Chine continentale.
 
 
Si oui quels sont les artistes japonais dont tu apprécies le travail?
En dehors des quelques artistes que j'ai déjà cités, j'aime aussi les œuvres de Yoji Shinkawa, Takato Yamamoto, Shirow Miwa, Kazuki Yone, Atsuko Nakajima, et celles du photographe Mika Ninagawa (mais il y en a plein d’autres, bien sûr).
 

Quels sont tes projets actuels?
Je travaille en ce moment sur deux projets de BD : un recueil qui sera publié en Angleterre appelé « Dream Logs » et un autre en collaboration avec Vera Greentea intitulé « Recettes pour les morts » qui sera distribué gratuitement au festival Comic Con de New York, en Octobre.
En ce qui concerne mes travaux de graphiste indépendant,  je travaille actuellement pour une société sur des applications pour iPhone.
 

 
 
Serais-tu prête à renouveler l’aventure avec nobi nobi?
Sans aucune hésitation ! Les créateurs de nobi nobi ! ont été si compréhensifs avec moi et m’ont aidé à  m’améliorer,  tout en faisant en sorte de réaliser un de mes plus grands rêves ! Il n'y a rien de plus gratifiant que de d’illustrer un livre que de nombreuses personnes pourront ensuite apprécier et lire ensemble en famille!
 
 
Remerciements à Ein Lee et aux éditions nobi nobi!

Mise en ligne en juin 2010.


Interview 2



Artiste-phare du catalogue des éditions nobi nobi!, Ein Lee a déjà signé dans nos contrées trois albums jeunesse au succès indéniable, dont un avec la scénariste française Samantha Bailly : La Princesse au bol enchanté.
C'est à l'occasion de Japan Expo que nous avons pu rencontrer ensemble ces deux jeunes artistes aussi charmantes que souriantes, très complices pendant l'entrevue, et qui sont revenues volontiers sur leur parcours et leur collaboration.
 
 

 
 
Manga-News : Bonjour Ein Lee, bonjour Samantha Bailly ! Nous allons d’abord commencer la série de questions avec Ein Lee, si vous le permettez.  La Princesse au bol enchanté est votre troisième livre illustré ainsi que votre troisième collaboration avec nobi nobi !. Quelle différence ressentez-vous entre la réalisation du premier livre; Princesse Pivoine; et ce troisième livre ?
Ein Lee : Tout d’abord, le premier livre était un vrai challenge, parce que je n’avais jamais rien fait de semblable auparavant, c’était la première fois que je réalisais un livre illustré. C’était quelque chose de vraiment expérimental pour moi, il a fallu apprendre à travailler avec nobi nobi ! via courriels et autres. En ce qui concerne le troisième livre, je pense avoir progressé au niveau du style et en technique, et le traitement des images est devenu plus aisé. De plus, travailler avec nobi nobi ! est maintenant quelque chose de naturel, parce que nous nous connaissons depuis un moment. Tout est devenu plus simple en ce qui concerne les conditions de travail, en somme.

 
 
Comptez-vous poursuivre cette collaboration avec nobi nobi ! ?
Ein Lee : Rien n’est complètement décidé pour l’instant. Mais il y a de très fortes chances, du moins je l’espère. (rires)


Vous avez travaillé jusqu’ici avec deux auteurs différents (Christelle Huet-Gomez pour Princesse Pivoine et Le Secret de la grue blanche et Samantha Bailly pour La Princesse au bol enchanté, ndlr). Y-avait-il des différences quant aux méthodes de travail ?
Ein Lee : En fait, je travaille directement avec mon éditeur, nobi nobi !. Je ne travaille pas avec l’auteur. C’est nobi nobi ! qui fait le lien entre les deux, qui me transmet le script de l’histoire complété, qui fixe le nombre de pages et qui me dit quel type d’illustration ils souhaitent. Je fais les croquis et esquisses, et puis je leur envoie pour approbation. C’est ainsi que nous avons fonctionné pour les trois livres.

Samantha Bailly : En ce qui me concerne, je ne fais « que » le texte, avec en tête le nombre de pages demandé par nobi nobi !. Je ne participe pas aux story-boards de l’histoire, je laisse cela à ceux qui ont la fibre artistique. (rires) L’histoire de La Princesse au bol enchanté est très longue, et j’ai donc dû évidemment adapter le conte au format demandé, ce qui n’est pas toujours facile.

Ein Lee : À chacun son job ! (rires)


Vous êtes-vous beaucoup documentée avant de commencer à dessiner l’histoire ?
Ein Lee : Oui, évidemment, la création ne naît pas du néant, et cela réclame de l’inspiration. Après voir lu l’histoire, je me dis : « l’ambiance est glaciale, il neige, il fait froid ». Alors j’ai étudié des images et des photos de paysages enneigés, observé les couleurs et l’atmosphère générale, et j’ai essayé de retranscrire ça dans l’histoire. Tout en continuant à y réfléchir, en me disant que peut-être l’histoire devrait être dans un style plus traditionnel, pour qu’on ressente plus l’aspect crayonné, au niveau de la représentation du vent et autres. Je puise mon inspiration dans beaucoup d’autres recueils d’histoires, mais aussi différents types d’arts. Donc oui, je fais toujours des recherches poussées avant de me lancer.
 
 
 
Vous aimez beaucoup la culture japonaise. Avez-vous d’autres influences et préférences majeures au niveau artistique ?
Ein Lee : En fait, j’aime beaucoup de choses, tout ce qui est beau. J’aime tous les types d’art de tous les horizons, que ce soit l’art-déco, l’art nouveau, j’aime l’art de la Renaissance, la peinture ainsi que certains artistes contemporains. Bref, l’art quel qu’il soit est ma passion.


Et est-ce que vos études vous aident dans votre travail ?
Ein Lee : Je ne fais pas d’études d’art, j’étudie la littérature et les langues étrangères, mais cela m’aide tout de même dans mon travail d’artiste, parce que je suis confrontée à d’autres types d’influences pas seulement artistiques, comme la littérature, les textes anciens, ce qui représente une excellente source d’inspiration.


Donc artiste n’est pas votre profession pour l’instant. Souhaitez-vous passez professionnelle un jour ?
Ein Lee : Je le souhaite, un jour, oui. Dans le futur.
 
 
 
Vous vous êtes déjà bâti une certaine réputation à l’étranger en tout cas pour le devenir.
Ein Lee : (Un peu gênée) Je ne sais pas, je l’espère tout du moins.

Samantha Bailly : Je t’assure que si.

Ein Lee : Ok, si tu le dis ! (rires)


Quels outils utilisez-vous pour vos dessins ?
Ein Lee : J’utilise l’ordinateur, je travaille principalement de façon digitale, parce que c’est vraiment pratique, on ne doit pas utiliser du papier, on ne doit pas s’inquiéter des ratures, gommage et autres. Il est très simple de corriger tout et n’importe quoi. Les possibilités sont illimitées avec cet outil, et j’apprécie vraiment de travailler par ce média. J’utilise Easy PaintTool SAI la plupart du temps et Photoshop seulement pour les petits détails.
 

Combien de temps mettez-vous pour dessiner un livre illustré ?
Ein Lee : Il y a d’abord une étape de préparation, où je fais des croquis préparatoires pour chaque page, et qui doivent être validés ensuite. Cela prend environ trois mois. Tout compris, il faut environ six mois pour réaliser un album complet, même parfois un peu plus.


Et vous faîtes ça durant votre temps libre, donc.
Samantha Bailly : Non, durant les cours ! (Toutes les deux rient)


Avez-vous une date limite pour rendre vos travaux ?
Ein Lee : Pour La Princesse au bol enchanté, oui, parce que nobi nobi ! souhaitait le sortir au printemps, avant ma venue à Japan Expo. Et avec les délais d’impression et autres, il fallait que je rende mes illustrations aux alentours de mars. C’était un défi, mais je voulais vraiment y parvenir, pour pouvoir avancer.


Avez-vous reçu d’autres propositions d’autres éditeurs pour illustrer des livres ?
Ein Lee : Oui, je travaille sur un projet dont je ne peux pas parler maintenant, mais j’ai d’autres projets en cours en effet.
 
 
Est-ce la première fois que vous venez en France ?
Ein Lee : J’étais déjà venue en France une fois auparavant, mais je n’avais pas eu le temps d’en profiter. Cette fois-ci, je suis allée dans des endroits que je ne connaissais pas du tout, notamment dans les villes du Nord (Lille, Amiens), ou encore Lyon. Mon impression est que la France est toujours aussi magnifique que dans mon souvenir. Cette fois, j’ai vraiment eu l’occasion de goûter la cuisine française, de rencontrer les Français, d’échanger avec eux. C’était vraiment fantastique. J’ai vu et appris beaucoup de choses. J’ai même appris un peu le français. C’était vraiment amusant !!
 
 
 
Merci Ein Lee ! Nous allons maintenant nous tourner vers Samantha Bailly. Qu’est-ce qui vous a amené vers le livre jeunesse ?
Samantha Bailly : À la base, j’étais plutôt repérée pour mes romans de fantasy. J’ai publié un diptyque (Au-delà de l’Oraison, ndlr) qui a reçu le prix Imaginales des lycéens, et ensuite un roman épistolaire qui s’adressait aux adultes. J’ai rencontré nobi nobi ! lors d’un salon du livre jeunesse. On avait un peu discuté parce que j’avais trouvé leurs albums très beaux, et je voulais juste les féliciter. Et un an plus tard, ils avaient gardé mon contact et m’ont envoyé un courriel pour me proposer de faire une adaptation de La Princesse au bol enchanté. Du coup j’ai fait des essais, et on est parti là-dessus. Ils recherchaient des auteurs français pour écrire des adaptations de contes, et c’est comme ça que ça s’est fait.


Aimeriez-vous retenter un album de ce type ?
Samantha Bailly : Oui, oui, ce serait avec plaisir !


Avec Ein Lee ?
Samantha Bailly : Oui, si possible. (rires)


Dans La Princesse au bol enchanté, on peut constater une très belle gestion des moments forts de la princesse Haruka, de sa naissance jusqu’au mariage. Est-ce que c’était le principal défi de votre scénario ?
Samantha Bailly : En fait, le principal défi était d’avoir un texte traditionnel japonais qui était assez long. Déjà il fallait faire beaucoup de coupures. Tout en gardant l’essence et l’état d’esprit du conte. Et aussi « édulcorer » certains passages ou en tout cas d’essayer de les adapter au public jeunesse. Même si il y a certaines choses qui ne sont pas du tout passées sous silence, comme la tentative de suicide de Haruka, qui est un moment assez sombre. L’idée, c’était d’arriver malgré tout à passer par une sorte de poésie ou en tout cas de bien choisir ses mots pour ce passage-là. Donc c’était vraiment le défi majeur. L’autre défi était le bol en tant que tel. Qui est quand même une idée un peu incongrue quand on y pense. Il fallait donc retranscrire cela de manière poétique. Ce qui est très grandement aidé par les illustrations, parce que je me demandais vraiment comment Ein Lee allait graphiquement interpréter ce bol en fait, à quoi ressemblerait Haruka avec le bol sur la tête, est-ce que ça allait donner quelque chose de ridicule, ou bien non. Et je crois qu’elle est vraiment parvenue à trouver l’angle parfait pour arriver à quelque chose de très poétique.

Ein Lee : Oui, tout ce que j’avais à faire, c’était de lui donner l’air naturel. (rires)
 
 
 
Quel est pour vous le principal message de La Princesse au bol enchanté ? Est-ce la vertu de l’amour qui va au-delà des apparences ?
Samantha Bailly : Je ne suis pas sûre, parce que je me suis beaucoup interrogée sur le message de ce conte, dans le sens où elle est défigurée, et du coup elle est rejetée de tous. Le prince tombe certes amoureux d’elle et veut l’épouser mais elle est quand même rejetée de la société par son bol. Et c’est le fait qu’elle soit belle et riche qui fait qu’elle accède au bonheur, puisque c’est comme ça finalement qu’elle accède au mariage avec le prince. Donc en termes de message ça peut amener à une certaine réflexion. Mais ce que je trouve beaucoup plus intéressant c’est le bol lui-même et son rôle symbolique. La déesse Kanon lui offre une protection, qui est ce bol qui bien sûr cache une richesse, mais c’est aussi une malédiction. On est vraiment dans une ambivalence entre le bénéfique et le maléfique, par le biais du dernier souhait de la mère de Haruka sur son lit de mort. Du coup je trouve cela original d’avoir cette ambivalence parce que ce bol, c’est ce qui la protège, c’est sans doute ce qui lui permet d’accéder à un destin fabuleux, et en même temps c’est ce qui est source de souffrance. Et c’est l’idée qu’elle est tombée au fond de la rivière et qu’elle est finalement remontée grâce à ce bol, donc tout n’est pas noir ou blanc. Je trouve que c’est un conte qui est vraiment nuancé par cet aspect-là.

 
Remerciements à Ein Lee, à Samantha Bailly et aux éditions nobi nobi !

Mise en ligne en novembre 2012.


Interview 3



Pour fêter comme il se doit leurs cinq ans d'existence, les éditions nobi nobi! avaient l'honneur d'accueillir à nouveau à Japan Expo l'une de leurs artiste-phares : Ein Lee. L'occasion pour nous de partir une nouvelle fois à la rencontre de la talentueuse illustratrice, afin d'aborder son dernier album le Mot qui arrêta la guerre, mais également le Secret de la grue blanche, son rôle sur la création des personnages de l'anime RWBY, et ses autres domaines d'activités.




Quelle est la genèse du Mot qui arrêta la guerre ? Comment s'est déroulée la collaboration avec Audrey Alwett ?

Ein Lee : nobi nobi! cherchait une illustratrice pour mettre en image le scénario d'Audrey qui était déjà écrit. Etant donné que nobi nobi! fêtait ses 5 ans et que sa toute première sortie fut mon album Princesse Pivoine, il est apparu logique pour l'éditeur que je signe les illustrations de ce nouveau projet que je sois de nouveau invitée à Japan Expo pour marquer l'événement. Merci à eux !

A partir de là, le texte d'Audrey a été traduit dans ma langue pour que je puisse le comprendre et calquer mon travail dessus.


Par rapport à vos précédents albums, l'univers du Mot qui arrêta la guerre est plus masculin, peut-être aussi plus réaliste et moins féérique.

Les personnages sont exclusivement masculins, et rien que ça, ça apportait déjà une ambiance très différente. Et effectivement, le récit ne comporte aucun élément magique ou fantastique. Je dirais également que c'est une histoire qui a beaucoup plus de coeur et qui prend plus aux tripes, de par le message humain qu'elle veut faire passer.



Est-ce que ce changement de registre a eu une incidence sur vos illustrations ?

Le ton étant plus réaliste, j'ai dû choisir une palette de couleurs plus "froide". J'ai également dû apporter beaucoup plus de contrastes entre les couleurs, ce que je faisais beaucoup moins avant.


Contrairement à vos précédents albums qui s'inspiraient de contes japonais, ici il s'agissait d'une histoire totalement originale, et pour la création des personnages vous n'aviez donc pas de base. Sur ce plan-là, avec-vous reçu des consignes de la part d'Audrey ou de nobi nobi! ?

A ma grande surprise, je n'ai reçu aucune consigne et ai eu carte blanche, parce que je pense que désormais l'éditeur me fait confiance au vu de mes précédents albums. C'était à la fois un peu stressant et très gratifiant (rires). J'ai pu donner libre cours à mon imagination.



Du coup, comment vous y êtes-vous prise pour les créer ? Quels traits de leur caractère souhaitiez-vous le plus faire ressortir ?

Leur personnalité ressort sur la façon dont ils sont habillés. Je ne voulais surtout pas me limiter à travailler leur physique, et souhaitais que leurs vêtements reflètent ce qu'ils renferment en eux. C'est sur cette idée maîtresse que je les ai dessinés.


Justement, entre les vêtements des daimyô, les kimonos ou les bâtiments, beaucoup d'éléments ont une forte connotation historique. Avez-vous eu des sources d'inspiration particulières pour retranscrire ces éléments ?

Pour mon précédent album, j'avais déjà fait beaucoup de recherches sur les genres de kimonos qui étaient portés selon les périodes historiques. Cette fois-ci, l'histoire d'Audrey étant intemporelle, je me suis dit qu'il était mieux de partir sur des créations de vêtements complètements différentes et imaginées, afin justement de ne pas fausser les lecteurs. L'objectif était que le lecteurs ne situent l'histoire à aucune période précise.



Dans l'album, la calligraphie a un rôle primordial. Avez-vous dû effectuer un travail particulier pour retranscrire ces scènes de la façon la plus juste possible ?

Absolument. Je n'ai pas de base en calligraphie, mais je possède chez moi des livres sur le sujet qui ont été une bonne source d'inspiration. Il ne s'agit pas uniquement de peindre des mots, mais aussi de les peindre de façon très esthétique. Ca m'a demandé beaucoup de travail, car au départ je privilégiait beaucoup trop l'esthétique sur la lisibilité, et j'ai dû recommencer de nombreuses fois. C'est là qu'on se rend compte que les calligraphes font un travail époustouflant !


Combien de temps vous a-t-il fallu pour boucler l'album ?

J'ai été contactée par nobi nobi! en septembre 2014, pour une remise des planches en février 2015.



Revenons désormais sur votre deuxième album, le Secret de la grue blanche. Pour cet album-ci, comment s'est déroulée la collaboration ?

Le déroulement fut sensiblement le même que pour Le mot qui arrêta la guerre ! Cela dit, c'est le livre sur lequel j'ai rencontré le plus de difficultés, parce que j'étais toujours en période d'apprentissage et que l'histoire était un peu plus sombre, donc la palette de couleur était très différente de ce que je fais habituellement. Nobi nobi! m'a donc guidée beaucoup plus sur cet album que sur les autres.


Avez-vous connu d'autres difficultés pour la conception de cet album ?

C'était mon deuxième livre, donc je n'étais pas encore au point sur toutes les techniques. Ce fut une expérience très éprouvante, mais en même temps ce fut l'une des plus formatrices pour moi.



Depuis quelques années, en quoi diriez-vous que votre style et votre expérience ont évolué ?

La période où j'ai le plus évolué est celle entre Princesse Pivoine et le Secret de la grue blanche. Cela dit, pour la Princesse au bol enchanté et le Mot qui arrêta la guerre le format des albums a changé : c'est une plus grande échelle, qui m'a demandé un plus gros travail de composition et où j'ai pu mettre plus de détails.


Vous êtes également connue pour avoir créé le design des personnages de la série animée RWBY. Comment avez-vous abordé ce projet ?

Monty Oum, le regretté producteur de la série qui a malheureusement disparu cette année, a vu mon travail sur DeviantArt, l'a apprécié et m'a contacté pour savoir si ça me plairait de créer le design de ses personnages. J'ai tout de suite accepté car c'était pour moi une expérience totalement différente.


Justement, étant donné que c'était pour vous une toute nouvelle expérience, avez-vous dû revoir votre façon de travailler ?

Le processus de création ne m'a pas demandé de modifier ma façon de travailler. Nous avons travaillé de façon très rapprochée pour définir à la fois le physique des personnages, leur vêtements et leur mental. C'est le mental qui est d'abord né puis qui a influencé la création des vêtements, et je procédais déjà ainsi sur mes albums créés pour nobi nobi!. En plus, cette fois-ci je n'avais pas à me soucier de l'histoire : je devais juste créer les personnages.



Vous avez également illustré des jeux de cartes, des jeux de société... Comment abordez-vous ces projets-là ?

Quand je dois dessiner des personnages animés le travail ne diffère en rien. Par contre, je dois parfois créer des petits monstres, et ça change complètement de mon style habituel ! Ca me permet d'apprendre beaucoup et de m'essayer à d'autres styles.


Pouvez-vous nous parler de la conception de vos artbooks ?

J'ai créé mon premier artbook en 2011 après avoir été contactée par la boutique japonaise Toranoana qui cherchait des artistes étrangers, et c'est donc à cette période que j'ai commencé à participer à des conventions. C'est grâce à leur implication et à la sortie de mon premier livre que j'ai pu découvrir le milieu des salons.


Pour finir, avez-vous déjà des nouveaux projets ?

Je vais me remettre au chara design, pour un jeu vidéo taïwanais en cours de développement. Ce sera encore une nouvelle expérience pour moi !


Un grand merci aux éditions nobi nobi!, à Sarah Marcadé en qualité d'interprète, et à Ein Lee. Vous pouvez retrouver Ein Lee sur sa page DeviantArt, sur sa page Facebook, et sur son site Fishbone !
  
Mise en ligne le 02/11/2015.