Carnage - Manga

Carnage : Critiques

Junji Itô Collections

Critique du volume manga

Publiée le Mardi, 13 Février 2024

L'exploration de la riche bibliographie du grand Junji Ito se poursuit aux éditions Mangetsu avec, en guise de première publication de 2024, l'arrivée d'un ouvrage important dans la carrière du maître: Carnage. Derrière ce titre, il y a, à l'origine, deux recueils sortis respectivement au Japon en 2003 et 2006: "Yami no Koe" et "Shin Yami no Koe: Kaidan", regroupant chacun sept histoires initialement parues entre 2002 et 2006 dans le magazine shôjo Nemuki+ des éditions Asahi Shimbun. C'est ensuite en 2013 que l'éditeur japonais décide d'offrir une nouvelle éditions à ces histoires, en les regroupant en un seul pavé intitulée "Junji Ito Masterpiece Collection Kaidan". C'est cette édition que nous propose en France Mangetsu... ou presque. En effet, dans un souci de cohérence et pour éviter trop de doublons, l'éditeur français a pu supprimer de ce recueil les trois histoires tardives de Soichi, qui furent déjà proposées en France dans l'intégrale de l'oeuvre éponyme. En échange, Mangetsu nous propose de découvrir, en exclusivité pour cette édition française, Stratophobie, une histoire datant de 2017 et refermant cet épais ouvrage de presque 400 pages. Toutefois, notons aussi la conservation, ici, de Lipidémie, excellente histoire qui avait déjà été proposée dans notre pays par Mangetsu dans le premier volume de l'anthologie "Les Chefs d'oeuvre de Junji Ito".

Au final, ce sont douze histoires qui nous attendent dans Carnage, avec à chaque fois des points de départ tour à tour insolites, étranges ou carrément angoissants, comme le mangaka sait si bien les faire. Une jeune femme atteinte de troubles alimentaires après une rupture douloureuse la poussant à vouloir perdre du poids, le décès d'un humoriste inconnu retrouvé mort dans la rue avec sur le visage un invraisemblable et large rictus, une rivière dont le fort courant apparaît et disparaît en semblant entraîner avec lui des âmes, un restaurant de grillades si mal aéré qu'il laisse constamment d'importantes vapeurs de graisse envahir le bâtiment, des gens prenant le même type de postures bizarre à tous les recoins du pays comme s'ils étaient ligotés par des liens invisibles, un meurtrier revenant jour après jour sonner chez ses victimes pour s'excuser, un petit groupe visitant un hameau situé dans des gorges escarpées très sombres et ayant d'étranges débris de miroirs, une rencontre en bordure de forêt avec une sublime jeune femme dont le visage est toutefois ensanglanté, un époux obsédé par la gigantesque bibliothèque léguée par ses parents, une chanson sinistre qui reste beaucoup trop en tête, un homme revenant de voyage dans un village isolé avec une jarre contenant un surprenant nectar, des strates insolites découvertes dans des vestiges par des géologues...

Inutile d'en dire plus sur chacune de ces histoires, car comme toujours avec Junji Ito, l'intérêt est de voir comment, à partir de ces idées de base diverses et variées, il va réussir à nous retourner. Et cela, il le fait particulièrement bien au fil de ces récits qui regroupent nombre des facettes horrifiques dont est capable le mangaka. Rien que sur le plan visuel, certains récits tirent leur angoisse d'éléments invisibles ou se contentant d'être là de manière quasiment inexplicable, d'autres jouent délicieusement sur le cracra (coucou "Lipidémie", décidément l'un des récits chouchous de votre serviteur dans la carrière d'Ito), d'autres encore font volontiers dans le gore/sanglant à l'image de "Je ne veux pas devenir un spectre" et "Pulvérisés", et certaines cases de "Stratophobie" ont même des airs de body horror absurde à la Shintaro Kago. Mais là où l'artiste régale le plus, c'est quand il ne se contente pas de jouer sur des situations de départ inquiétantes où ses personnages sont des victimes: dans plusieurs récits, tout comme le mangaka a déjà pu le faire dans bien d'autres de ses travaux, l'horreur vient aussi de l'humain lui-même, des actes odieux qu'il peut commettre, de la culpabilité pouvant en ressortir (en cela, "Les Damnés" et "Sonnette Finale" sont deux histoires très représentatives), de ses lubies confinant à la folie (le régime dans la première histoire, l'obsession pour les livres et le rangement de l'immense bibliothèque dans le récit éponyme).

Autant dire, alors, que l'on ne ressort pas totalement indemne de cette épais recueil particulièrement bon, tant il condense un peu toutes les facettes scénaristiques et visuelles de Junji Ito. Le mieux étant que, plus d'une fois, l'auteur nous amène vraiment, à partir de ses points de départ, sur des sentiers inattendus, où il semble même précisément jouer avec les attentes de ses lecteurs les plus fidèles/connaisseurs. Ce qui, du coup, fait que l'on appréciera peut-être mieux Carnage quand on a déjà une bonne connaissance de la bibliographie du maître.

Enfin, côté édition, les hauts standards de qualité de la collection Junji Ito de Mangetsu sont toujours là, cette fois-ci dans un rapport qualité-prix qui ne devrait pas trop faire débat au vu de l'épaisseur (quasiment 400 pages) pour 24,95€. La captivante jaquette bénéficie d'une dorure métallisée sur le très beau logo-titre bien imaginé par Tom "spAde" Bertrand, en dessous de celle-ci la couverture cartonnée rigide bénéficie d'un fin vernis sélectif, et à l'intérieur on a droit à une reliure de qualité supérieure, à un excellent papier souple, dense et opaque, à une qualité d'impression tout aussi excellente, à une page en couleur sur papier glacé pour l'ouverture de la dernière histoire, à une traduction impeccable d'Anaïs Koechlin, et à un lettrage très soigné de la part de Blackstudio. n'oublions non plus les habituels bonus de cette collection, avec une préface écrite cette fois-ci par le célèbre Luz, et une nouvelle analyse de 10 pages poussée de la part de Morolian.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
17 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs