Nuit calme et paisible (une) - Actualité manga

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 19 Août 2016

Devenu l'auteur-phare et un ami des éditions Kotoji, l'artiste chinois Pocket Chocolate, après nous avoir émerveillé avec Crystal Sky of yesterday et That moment, maybe (sans oublier ses oeuvres parues encore avant chez feu Xiao Pan), est revenu en France avec une bien beau projet : Une nuit calme et paisible, une création faite en collaboration directe entre l'artiste et Kotoji sur une initiative de l'éditeur, et qui a connu avec succès un projet de financement participatif.

Au programme de ce recueil, deux histoires courtes et une galerie d'illustrations.

Initialement publiée en bonus dans le deuxième tome chinois de Crystal Sky of Yesterday, "Une nuit calme et paisible", le temps d'une cinquantaine de pages, nous invite à suivre deux lycéennes chinoises qui, bien que diamétralement opposées dans leur caractère, vont nouer une amitié forte. L'une est une sportive assez extravertie, tandis que l'autre est une jeune fille très réservée, timide, qui a toujours suivi les directives de sa mère. Camarades de chambres, elles vont vite apprendre à se connaître, à confronter leur personnalité l'une à l'autre, à se trouver des points communs, à s'enrichir de leurs différences pour lier une amitié puissante. Pocket Chocolate croque ici à merveille l'aspect presque fusionnel de la relation des deux adolescentes, confrontées à certaines réalités difficiles (pression parentale et scolaire...) ainsi qu'aux limites que peut poser leur caractère respectif. Car elles ont beau être quasiment tout l'une pour l'autre par instants, elles peuvent avoir du mal à se suivre, notamment quand la plus timide des deux, qui aimerait une amitié exclusive, observe son amie vivre des relations avec d'autres adolescents. A travers cela, via ce que vivent les jeunes filles et via la conclusion, se pose également la question de la vraie amitié, celle qui reste gravée à jamais dans la mémoire comme d'heureux souvenirs même si les chemins se séparent.
On retrouve ici le style graphique si séduisant de l'artiste, avec des silhouettes fines et élancées, des couleurs assez claires et douces servant bien l'ambiance, un côté un peu crayonné/relâché, et toujours chez cet artiste un talent fou pour capter les personnages "sur le vif", comme s'il les avait pris en photo (et on sait à quel point Pocket Chocolate aime la photographie, art dont il s'inspire beaucoup), ce qui les rend très naturels. Une touche presque insouciante/optimiste, collant bien à la jeunesse des deux adolescentes, est aussi présente via le retour régulier d'une mélodie qu'elle chantonnent parfois ensemble comme une fusion des coeurs. Enfin, en focalisant essentiellement sa narration sur le personnage de Qiu Wangshu, la sportive un peu garçon manqué, l'artiste trouve un ton juste qui lui correspond.
En seulement 50 pages, Pocket Chocolate livre un récit de toute beauté qui, tout en allant assez vite de part son statut d'histoire courte, parvient à soulever avec force de très belles choses.

La deuxième histoire, faisant une quarantaine de pages, vient alors contraster totalement avec la première. Nommée "I Killed Myself", elle nous invite à suivre un jeune homme débarqué à Shanghai pour y travailler, mais perdant pied. Entre son travail stressant où il n'a aucune reconnaissance, sa vie amoureuse au point mort, et l'aspect étouffant d'une jungle urbaine où il ne se retrouve pas, le voici tellement dans le doute qu'il voit apparaître devant lui un clone de lui-même nommée Liberté...
La portée symbolique de Liberté n'est pas forcément très fine mais véhicule très bien tout le ressenti d'un jeune homme qui ne sait pas ce qu'il est en train de faire de sa vie et qui a l'impression de s'aliéner. Les émotions qui éclatent en lui paraissent fortes, et l'ambiance de ce deuxième récit efface toute trace de douceur du premier. Le trait est plus épais, les couleurs plus sombre, moins douces, l'ensemble est beaucoup plus agressif. Cela dévoile une autre facette du talent de Pocket Chocolate, et traduit surtout (il ne le cache pas du tout) le malaise qu'il a lui-même ressenti à une époque de sa vie, vers 2010 (année de création de cette histoire, avant qu'elle ne soit publiée en 2013 dans la revue du célèbre auteur Benjamin). Le ressenti du héros d'"I Killed Myself" est en grande partie celui d'un artiste qui aujourd'hui a retrouvé sa voie. Car Pocket Chocolate fait partie de ces artistes qui transmettent toutes leurs émotions dans leurs oeuvres.

Faisant plus de 70 pages, la troisième partie se consacre à différentes illustrations.
On y retrouve d'abord des illustrations entièrement en couleurs, issues de ses oeuvres comme Crystal Sky of Yesterday et That moment, maybe, mais aussi d'autres travaux. On peut y apprécier toute la palette de couleurs que peut montrer l'artiste, pour des résultats aux atmosphères très variées, où l'on admirera encore et toujours cette faculté à saisir les personnages sur le vif.
On y trouve ensuite une galerie de sketches : des crayonnés, des esquisses, en couleurs ou non, montrant des portraits, des décors, ou des scènes saisies sur l'instant par un auteur ne se séparant visiblement jamais de ses crayons pour observer le monde qui l'entoure, que ce soit en regardant à l'extérieur ou en dépeignant simplement ses proches. On appréciera plus d'une fois des petits commentaires sur telle ou telle scène.
Enfin, la galerie se referme sur les portraits des 15 contributeurs du financement participatifs ayant financé la formule correspondante.

L'édition vaut sans problème ses 16€, de par la qualité de son papier, de son impression et de sa traduction ainsi que le fait que le livre soit quasiment entièrement en couleurs. Le seul regret vient de quelques mots coupés en bord de page, mais rien de très grave. Dans tous les cas, Une nuit calme et paisible est un ouvrage de grande qualité, de par les émotions et valeurs qu'il transmet, et ce qu'il nous laisse apprécier d'un artiste toujours aussi impressionnant.

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16 20
Note de la rédaction