Rencontre avec Jérôme Alquié autour de Saint Seiya - Time Odyssey

Vendredi, le premier volume de la bande-dessinée originale Saint Seiya - Time Odyssey, création écrite par Arnaud Dollen et Jérôme Alquié, a atteint nos librairies. Premier opus d'une saga de cinq épisodes, l'ambitieux projet, validé par Masami Kurumada en personne, intervient dans la collection "Classics" des éditions Kana, une série d'ouvrages croquant des univers nostalgiques et dessinées par des artistes francophones.


Des semaines avant, lors de Japan Expo 2022, le dessinateur Jérôme Alquié était présent sur le stand de l'éditeur afin de rencontrer son public, l'artiste ayant déjà signé la trilogie Capitaine Albator - Mémoires de l'Arcadia dans la même collection. A cette occasion, nous avons pu nous entretenir avec lui afin d'établir un rapide bilan sur le projet issu du monde de Leiji Matsumoto, et surtout nous pencher sur le très attendu Saint Seiya - Time Odyssey.





Avant de parler de Saint Seiya – Time Odyssey, petit retour rapide sur Capitaine Albator : Mémoires de l'Arcadia. La série s'est achevée en trois tomes, comme convenu. Quel bilan tires-tu de cette parution ? As-tu pu exploiter tout ce que tu voulais de l'univers de Leiji Matsumoto ?


Jérôme Alquié : C'était une super expérience. Sachant que ce fut la première série de la collection "Classics" des éditions Kana, ça constituait une bonne carte de visite pour négocier de futures licences en vue des prochains projets.


Le bilan est très positif, tout comme la collaboration avec Leiji Matsumoto et les équipes d'Akita Shoten. Pour ma part, et même si ça peut paraître pompeux de dire ça, je suis fier d'avoir fait cette bande dessinée. C'est quelque chose qui me tenait à cœur pour une licence que j'adore tout autant que son auteur. Le maximum devait donc être donné, et je pense avoir pu développer tout ce que je voulais dans ces albums. J'ai respecté les consignes que M. Matsumoto m'avait donné, tout en parvenant à m'exprimer. Et aujourd'hui, l'aventure se poursuit sur Saint Seiya, une autre très belle saga !


  

Justemment, abordons maintenant Saint Seiya – Time Odyssey. Tu n'es pas seul sur ce projet, cette fois, puisque Arnaud Dollen t'accompagne sur l'aspect scénaristique. Peux-tu parler de la formation de votre binôme, puis de la naissance du projet ?


Jérôme Alquié : La formation du binôme date d'il y a très longtemps puisque nous nous sommes rencontrés il y a 27 ans, lorsque nous avons fréquenté la même école d'ingénieurs. J'étais fan de manga, et lui rôliste. Quand je suis arrivé dans cette école, nous étions dans les années 90, une période pas simple pour exprimer son amour du manga, aussi j'ai ouvert un club au sein de l'établissement. C'est comme ça que nous nous sommes connus. Arnaud a aimé les dessins que je pouvais faire, et moi j'aimais la manière dont il écrivait. C'est un maître de jeux de rôles, il a donc tendance à être assez littéraire dans ses descriptions d'univers. C'est ce qui m'a plu. Notre première collaboration fut une fan fiction autour de Saint Seiya, on peut donc dire que la boucle est bouclée aujourd'hui. C'était alors naturel d'aller vers lui pour le projet Time Odyssey. Et puis, il y a une excellente compréhension entre nous : Il sait ce que j'aime dessiner et je sais ce qu'il aime écrire. Il n'y a pas besoin d'interminables allers et retours entre nous deux.


Concernant la naissance du projet, ma première rencontre avec les éditions Kana fut justement pour Saint Seiya, à l'époque de l'anime Saint Seiya Omega. Il était peut-être question de faire une version manga, le Japon ayant contacté Kana dans ce sens, pour savoir si un artiste français était prêt à endosser le projet. Ca ne s'est finalement pas fait car ça reste Saint Seiya Omega, une série qui n'a pas eu une très bonne presse, bien que j'aime beaucoup personnellement.

On était donc parti pour travailler sur Albator, tout en ayant en tête Saint Seiya. A l'époque de Mémoires de l'Arcadia, nous parlions donc déjà de Time Odyssey. A savoir que notre correspondant de chez Akita Shoten, M. Kobayashi, est un immense fan de l'univers de Masami Kurumada. C'est lui qui a piloté The Lost Canvas, Saintia Shô et Next Dimension. Il était excité de faire du Saint Seiya avec nous, d'autant plus qu'il avait bien vu comment je travaillais, mon respect des deadline... La confiance était donc déjà installée. L'équipe était toute trouvée et Maître Kurumada était partant, alors le projet est né. Les étoiles étaient alignées !




Masami Kurumada a la réputation, peut-être à tort, d'être très stricte par rapport à son univers. On pense notamment au fait qu'il n'ait pas approuvé le final du Tenkai par Shigeyasu Yamauchi. Qu'a-t-il pensé d'une bande-dessinée française tirée de son histoire ?


Jérôme Alquié : Je pense que ce qui lui a plu au départ, c'est le fait que ce soit un média différent. Il nous a d'ailleurs écrit un message dans lequel il précise qu'il est excité de voir son univers retranscrit dans un média inhabituel pour la série, celui de la BD franco-belge. C'est un format qu'il connait bien, tout comme il a conscience du succès de Saint Seiya en France. En terme de contraintes, il valide absolument tout ce qu'on envoie, du scénario aux planches finales en passant par le storyboard. C'est vrai que je me suis questionné sur son degré d'implication quand j'avais peu de retours de sa part. Puis est arrivé une scène de l'album mettant en scène Deathmask. C'est là que Maître Kurumada nous a adressé beaucoup de remarques par rapport aux dialogues du personnage qu'il ne trouvait pas assez puissants. C'était tellement de l'ordre du détail qu'on a compris qu'il est regardant sur absolument tout. C'est un moment charnière de notre collaboration car j'ai compris qu'il pouvait être pointilleux, et que ce n'est pas par manque d'intérêt s'il ne faisait pas de retours jusqu'à présent. Ca m'a donné beaucoup de forces pour la suite !


Il y a aussi l'exemple du maître d'Ikki pour lequel peu d'indications ont été laissées. C'était pour nous laisser la liberté de s'exprimer à son sujet, nous avions carte blanche. Bien sûr, il ne faut pas sortir de sa vision, mais il nous permet d'exploiter ces libertés à fond, et je l'en remercie.


La bande dessinée est prévue sur cinq volumes, avec un tome pour chacun des chevaliers de bronze principaux. Ikki ouvre le bal avec le premier opus. Pourquoi ce choix, d'autant plus qu'Ikki est le plus marginal de la bande ?


Jérôme Alquié : Je ne pouvais pas choisir Seiya parce qu'il fallait terminer avec lui. L'équilibre de l'histoire de Masami Kurumada est tel que je dois finir par le héros. A partir de là, je voulais donner la part belle à un personnage que j'adore, Ikki étant mon préféré. Il est l'élément déclencheur de notre intrigue, l'antagoniste n'intervenant que parce qu'Ikki revient à la vie contre les chevaliers d'argent. Il était finalement logique de mettre d'abord un coup de projecteur sur lui.


 

Time Odyssey s'intègre entre plusieurs grands arcs du manga original. Quelle fut la difficulté à établir cette histoire sans trahir les événements futurs du manga ?


Jérôme Alquié : C'est vrai que c'est un exercice compliqué. Le tome 1 a lieu avant la bataille des douze maisons, et le deuxième opus se déroulera après. Il y a des sauts dans le temps, d'où le titre, et il y a fort à parier que la suite se tiendra à une autre période, tout en continuant de raconter la même histoire. C'est difficile de raccrocher le tout à l'intrigue principale du manga, mais c'est aussi excitant parce que ça nous permet de dessiner les personnages qu'on aime avec plusieurs niveaux d'armure. Et avec plusieurs niveaux de puissance, aussi, car leurs pouvoirs et leurs connaissances des sens n'est pas la même avant le Sanctuaire qu'après. Il faut aussi que les antagonistes évoluent en même temps que les protagonistes.


C'est un gros challenge, et je pense que Maître Kurumada a été séduit par cette idée de suivre l'aventure à plusieurs moments de son histoire principale. Evidemment, ceux qui connaissent de loin Saint Seiya ne verraient jamais vu la moindre petite trahison à l'œuvre d'origine. Pour les fans plus hardcore, j'ai dû bachoter en relisant les mangas, consulter les différents guides... On s'est même pris la tête par rapport à une phrase prononcée par un personnage dans le manga original, qui remettait en question la cohérence de notre œuvre. Des spécialistes de Saint Seiya ont aussi relu l'album pour vérifier qu'il n'y avait pas de couac, de même pour Akita Shoten et M. Kobayashi qui est un puit de savoir de l'univers, sans compter l'œil de Maître Kurumada lui-même. Il est possible qu'on laisse passer de tout petits éléments qui puissent faire tiquer, mais on a mis toutes les chances de notre côté pour respecter à fond Saint Seiya.


Dans le premier album, il y a un grand respect des codes de Saint Seiya, ne serait-ce dans la fameuse entrée en scène du protagoniste et de ses Météores de Pégase. Mais à côté, il y a aussi une volonté d'apporter de la fraîcheur au mythe. Comment avez-vous établi cet équilibre avec Arnaud Dollen ?


Jérôme Alquié : On ne va pas réécrire Saint Seiya différemment qu'il est, en tant que nekketsu. On verra forcément les héros qui tombent puis se relève à force de courage, ce sont les codes. Mais ce qui m'intéresse, c'est gratter les forces et les faiblesses des personnages. On retrouve bien-sûr le Ikki tel qu'il est, surpuissant, mais aussi toute la noirceur au fond de lui, comme la culpabilité d'avoir vu mourir sa bien-aimée. C'est la faiblesse d'un personnage qui fait son intérêt. C'est ce qu'on essaie de faire avec Arnaud, se pencher sur les fissures de ces protagonistes pour rendre l'intrigue plus humaine et intéressante.




Qui dit nouvelle histoire dit nouveaux personnages. Peux-tu nous parler de la conception de ces nouvelles figures, et des nouvelles armures ?


Jérôme Alquié : Les nouveaux personnages sont les sbires du nouvel antagonistes, répartis en trois ordres comme c'est le cas chez les chevaliers d'Athena.


Pour les armures, j'avoue ne pas être un grand spécialiste. C'était un défi nouveau pour moi, et j'espère l'avoir réussi, et avoir fait en sorte de donner au moins des armures reconnaissables aux douze adversaires principaux. La petite particularité, qui ne sera pas dévoilée dans le tome premier, ça sera un lien vraiment fort entre le personnage et l'armure. C'est la différence avec les armures d'Athena, ces nouvelles armures sont crées par l'antagoniste par rapport à ceux qui vont la porter. C'est la psychologie de chacun d'eux qui définit son armure.


Chronos, l'antagoniste, a aussi un design atypique pour du Saint Seiya, peux-tu en parler ?


Jérôme Alquié : A la base, on ne devait pas savoir qui est l'ennemi avant la lecture du premier tome, ça a fuité via un synopsis qui n'aurait pas dû être publié. (rires)


Pour le moment, Chronos n'a pas encore sa vraie forme physique. On le voit sous une silhouette vaporeuse de dieu sans forme. Le sable qui s'effrite à ses extrémités renvoie au sablier du temps. Son objectif sera de récupérer un vrai corps, un peu comme Hadès. Nous le verrons donc vraiment de manière aboutie ultérieurement.




Pour finir, une question plus ouvertes. Saint Seiya a eu droit à des productions animées récentes, comme la série en CGI qui vient de s'offrir une deuxième saison. As-tu eu l'occasion de les visionner ?


Jérôme Alquié : Je dois dire que je ne suis pas client de ces productions, je préfère regarder les séries d'origines. Malgré tout, il y a des éléments intéressants, et ça me semble bien calibré pour les jeunes du moment. Si ça permet de faire découvrir Saint Seiya à de nouveaux fans, pourquoi pas ?


Interview menée par Takato. Remerciements à Jérôme Alquié et aux éditions Kana pour la tenue de la rencontre.