Japan Expo - Interview de Stéphane Ferrand pour Glénat

Nous vous proposons aujourd'hui un compte-rendu de l'entretien que nous avons eu avec Stéphane Ferrand, directeur éditorial aux éditions Glénat.
         

        

   
Manga-news: Vous êtes depuis deux ans directeur éditorial chez Glénat. Quel bilan faites-vous de ces deux premières années?
Stéphane Ferrand: C'est un bilan pour l'instant très satisfaisant. Je suis arrivé chez Glénat avec des projets et des ambitions nouvelles: j'avais notamment cette envie de faire évoluer et de renouveler ce que je considérais comme l'un des plus beaux catalogues de la bande dessinée! Aujourd'hui, nous avons recomposé une équipe de qualité et changé tout le processus de notre production, ce qui fait que nous n'avons pas ou peu de retard. J'ai également cherché à travailler le fond de notre catalogue. Cela se caractérise notamment par la sortie des versions Perfect de Dragon Ball, Kenshin, Dr Slump et par le retour de séries telles que Naru Taru ou What's Mickael?!.

Au sujet des nouveautés, nous avons sortis beaucoup de nouvelles séries qui ont trouvé leur public, comme Les Gouttes de Dieu, Biomega, Team Medical Dragon...
En deux ans, j'ai également eu l'opportunité de mettre en place deux nouvelles collections: la collection Vintage, qui répond à un besoin de proposer des œuvres appartenant au «patrimoine» du manga, et la collection Kids, prévue pour mars 2010. Cette collection proposera des œuvres courtes dotées d'un univers bucolique et destinées aux enfants. Les ouvrages de cette collection seront facilement identifiables grâce à un cartouche orange positionné sur leur tranche. Et puis, même si tout est toujours perfectible, nous avons progressé en qualité, unifié le sous-titrage des onomatopées, considéré le fac-similé comme la règle en intégrant posters et pages spéciales lorsqu’il y en avait, développé des cadeaux et goodies gratuits de manière régulière, recomposé un beau stand pour les salons, tenté de répondre régulièrement aux questions des lecteurs via notre Newsletter, développé le contenu du site Internet, amélioré notre communication vis-à-vis de la presse...
En définitive, je suis plutôt content de mon premier bilan!
     

        
           
Vous parliez de Naru Taru... Qu'est-ce qui a motivé la reprise de ce titre?
En premier lieu, il était important de reprendre Naru Taru pour marquer la fin d'un vieux contentieux avec notre lectorat (Glénat avait sorti il y a quelques années les premiers tomes de Naru Taru pour finalement interrompre la parution de la série pour son contenu sexuel et très violent, ndlr). Je voulais prouver à nos lecteurs que désormais, les éditions Glénat ne sortiront plus de titres sans en proposer la fin. En second lieu, Naru Taru me semble un excellent titre tout à fait présentable au public d’aujourd’hui, et cohérent dans le cadre de notre collection Seinen.
     

     
      
Comptez-vous sortir d'autres œuvres de Mohiro Kitoh?
Pour l'instant, nous n'avons pas prévu de sortir d'autres titres de cet auteur. Mais étant donné que nous travaillons dans une logique de cohérence d'auteurs, il est possible que nous publiions d'autres titres de Kitoh. C'est dans cette logique que j'ai publié Japan et Oh Roh, les deux autres séries de Miura en plus de Berserk. Pour moi, il est important de pouvoir voir l'évolution du travail d'un auteur, qu'elle soit graphique ou narrative, en s'intéressant à l'ensemble de son œuvre. C'est également ce que nous faisons avec Yukito Kishiro, en éditant Aqua Knight et en rééditant Ashman, tout en poursuivant Gunnm Last Order.
     

       
            
Peut-on espérer la reprise d'autres séries appartenant depuis longtemps à votre catalogue, comme par exemple Next Stop, Kuro gane et Pineapple Army?
En fait, j'aimerais bien redonner une nouvelle édition à certains titres appartenant à la première partie du catalogue Glénat. Rééditer de telles séries fait donc partie de nos objectifs, mais ça ne sera peut être pas réalisable dans un avenir proche, d'autant plus que la réédition de tel ou tel titre ne dépend parfois pas de nous. Par exemple, concernant Pineapple Army, il faut savoir que Naoki Urasawa ne désire pas que ses anciens titres soient publiés en France pour l'instant. Ça vaut pour Pineapple Army, mais aussi pour Master Keaton ou Yawara.
            

        
                  
Comparé à d'autres éditeurs, vous avez sorti peu de nouveaux shojos cette année...
On ne peut pas tout faire en même temps ! Comme je viens de vous le dire, nous avons réalisé de nombreuses choses au sein des éditions Glénat cette année, comme le lancement de nouveautés, de nos deux nouvelles collections ou la réédition de certains titres. Le shojo reste néanmoins un genre très important pour nous et sera un objectif fort pour l'année 2010. Nous allons proposer l'excellent Kilari en septembre, il y aura d'autres nouveaux shojos dans notre catalogue, comme Honey X Honey Drops. Nous comptons également sortir d'autres séries de Wataru Yoshizumi (l'auteure de Marmelade Boy, Mint na Bokura... ndlr), et plus généralement d'Hakushensha, un éditeur japonais grand pourvoyeur de shojos.
       

                            
                               
Comptez-vous sortir des titres yaoi?
Non, les éditions Glénat n'iront pas vers le yaoi, ni le hentai d'ailleurs. J'essaie de conserver autour de Glénat une image assez « grand public ». Et puis d'autres éditeurs sortent déjà ce genre de séries, et ils le font très bien d'ailleurs!
   
    
Quelques mots sur les rééditions de séries en version Perfect?
La version Perfect de Dragon Ball se vend très bien en France. On constate qu'il y a une vraie attente du public dans ce créneau. J'attends donc beaucoup de la version Perfect de Kenshin, qui est un de nos titres emblématiques. Il faut savoir que Kenshin a connu trois traducteurs différents tout au long de sa publication française. Pour l'édition Perfect, nous allons tout refaire pour avoir une traduction uniforme et de grande qualité. J'espère également que le succès sera aussi au rendez-vous pour la version Perfect de Dr Slump!
Enfin, sachez que ça ne s'arrêtera pas là... mais je ne peux pas en dire plus pour le moment.
      
 
           
                     
Glénat Espagne édite Muscle Man. Comptez-vous proposer ce titre en France?
Personnellement, j'ai très envie de sortir ce titre en France. J'étais un grand fan de l'anime à l'époque où il était diffusé à la télévision. C'est un titre que je ne perds pas de vue, même si pour l'instant je me consacre à d'autres projets.
   
    
Vos best-sellers, à savoir Bleach, One Piece ou encore Berserk, ont presque rattrapé l'édition japonaise... Sur quels titres misez-vous pour compenser ces trois séries?
Déjà, les fans doivent être conscients que je ne peux pas dessiner moi-même les volumes suivants de ces séries et qu'il va donc falloir attendre! (rires)
Personnellement, je mise beaucoup sur Tatei no Ken. C'est un titre d'heroïc fantasy saupoudré de science-fiction qui pourrait plaire aux lecteurs de Berserk. Je le conseille pour deux raisons: le scénario et le dessin. Le dessin est absolument terrifiant et Dohe fait un travail quasi photographique. L'histoire est quant à elle issue d'un roman de Yumemakura, qui est un immense écrivain au Japon. Ensuite, nous avons proposé au public de nombreuses séries dont le succès se confirme au fil des mois et des volumes: Reborn, Neuro, l'Académie Alice, par exemple.
J'espère également que les nouveautés comme Kilari ou Samurai Usagi rencontreront le succès qu'elles méritent. Il faut savoir que cette dernière est une grande série du Shonen Jump. Enfin nous avons quelques belles surprises pour 2010.
N’oublions pas que les Best-sellers que vous citez ont mis quelques années avant de le devenir, cela vaut pour One Piece comme pour Bleach, Berserk a même changé deux fois d’éditeurs avant de se stabiliser chez nous. Un Best-seller se construit petit à petit, par la notoriété que lui amène sa qualité, tout autant que par les opérations marketing qui sont un soutien fondamental.
                        

      
                 
Quelques mots sur le scantrad?
Je peux comprendre l'impatience de certains jeunes fans... Mais il est important de mettre en place un apprentissage de la patience. Des générations entières de lecteurs ont vécu sans scantrad et leur passion ne s’est pas éteinte pour autant. La course en avant, et à l’impatience, n’a pas de fin, bientôt, faudra-t-il aux fans une «dose quotidienne»? Se retournera-t-on contre l’auteur parce qu’il ne créé pas assez vite? Est-ce qu’on n’oubliera pas que la BD et le manga sont des créations, et qu’en cela leur qualité dépend aussi du temps de maturation que l’on leur donne? Cette idée d’avoir «tout, tout de suite» me semble être un écho des dérives de la société de consommation, qui valorise le «vite», quitte à faire du «jetable» pour aller plus vite. Selon moi, le scantrad est compréhensible, mais pas tolérable. Car la passion n’excuse pas tout. Il est évident que l'auteur en souffre, que son œuvre soit licenciée ou pas dans la langue du scan. Le problème est encore plus grand sur des auteurs qui débutent leurs premières œuvres: peu chance pour eux de se voir proposer un jour en dehors du Japon et si c’est le cas, les ventes seront amoindries par le scantrad. L'éditeur en souffre également, car son travail est récupéré sans aucun accord, alors qu’il se doit de protéger le travail de son auteur, il est donc mis en porte-à-faux vis-à-vis de ce dernier. Le manga est une passion, mais c'est aussi un travail, des personnes et des familles vivent de ça. Si tout devenait gratuit et libre de droit, ces personnes n'auraient plus de quoi vivre... et donc plus de quoi créer des titres. Il faut comprendre le côté paradoxal du scantrad, où comment cela revient en fait à scier la branche sur laquelle on est assit.
Ce que je condamne fermement, c'est lorsqu'un site de scantrad devient un business, notamment en vendant des bandeaux de pub à des régies publicitaires. Car là, il s’agit vraiment de faire de l’argent, en utilisant gratuitement le travail des auteurs, et même celui des fans qui font les traductions! Malheureusement cette pratique se généralise de plus en plus...


Pour conclure, une question légère... Vous apparaissez en photo dans le magazine Morning, à l'occasion de la prépublication d'un chapitre des Gouttes de Dieu. Comment vivez-vous cela?
En fait, tout a commencé quand j'ai accueilli les deux auteurs des Gouttes de Dieu à Paris. Nous nous sommes baladés à Montmartre et avons pris des photos. Nous étions par ailleurs accompagnés de Michel Dovaz, un grand spécialiste du vin qui a réalisé la préface du premier tome. Il faut savoir que Michel a carrément été dessiné dans la série! Quant à moi, je ne peux qu'être flatté d'apparaître en photo! C'est vraiment sympa de leur part... Et puis qui sait, peut-être qu'un jour j'apparaîtrai à mon tour dans les Gouttes de Dieu ? (rires)
         

     
  
Interview réalisée par néun11septembre et Blacksheep.
  
 
Remerciements à Stéphane Ferrand et aux éditions Glénat.