Pour rappel, cette exposition a débuté le 4 octobre et se tiendra jusqu'au 1er mars 2015.
Jean-François Camilleri est sans doute l'homme qui a popularisé les œuvres de
Hayao Miyazaki en France. C'est lui qui a décidé pour la première fois de distribuer l'un de ses films, à savoir
Princesse Mononoke, avec un budget similaire au lancement d'un film Disney. A l'époque, c'était un pari très osé, mais ce fut un énorme succès et c'est de là qu'est né l'engouement pour les œuvres du studio Ghibli. Les employés de Disney France sont des passionnés, comme nous, et c'est sans doute pour cela que nous nous entendons si bien. Lorsque nous avons monté le Musée Art Ludique, ils ont tout de suite répondu présents pour nous aider, comme ils l'ont fait depuis déjà une dizaine d'années.
Comment assurez-vous la gestion financière de votre musée ? Recevez-vous des aides du Ministère de la Culture ? Ou de partenaires comme Disney, justement ?
Non, nous sommes dans le cadre d'un musée privé. Mon épouse et moi-même avions déjà pris un risque en fondant notre galerie, nous en avons pris un encore plus conséquent avec le musée, en empruntant énormément d'argent.
Heureusement, le succès est au rendez-vous ! Nous avons déjà réussi à trouver des banques pour nous suivre dans cette aventure, ce qui est une gageure en cette période. L'historique de nos expositions a permis de séduire nos interlocuteurs, mais le partenariat avec Disney n'a jamais été financier, ils ne se sont pas portés cautions pour nous. C'est un soutien amical avant tout, et nous proposerons d'ailleurs à l'avenir des expositions qui n'ont rien à voir avec la firme. Donc tout est financé par nos propres moyens.
Combien de visiteurs avez-vous accueillis pour l'exposition Pixar ?Pour cette exposition, nous avons approché les 180 000 visiteurs sur une période de trois mois et demi. Pour celle de Marvel, qui vient de s'achever, nous sommes aux alentours des 200 000. Très clairement, c'est un énorme succès et nous en sommes très heureux, au vu des risques que l'on a pris. Nous avons réussi à montrer que ce courant artistique a sa place, qu'il attire des familles, des enfants aux yeux écarquillés, comme de grands collectionneurs, émus de découvrir autant de planches originales. Il y a quelque chose de magique dans tout ça, qui s'adresse à tous les publics, avec des discours légèrement différents, mais un fond universel. Petits et grands discutent ensemble et partagent leurs points de vue, ce qui est assez rare dans un musée. D'ailleurs, plusieurs parents nous ont écrit pour nous dire que leurs enfants, une fois rentrés chez eux, se sont mis à dessiner frénétiquement !
Nos expositions sont ainsi la source d'envie et de vocations.
Revenons sur l'exposition Dessins du Studio Ghibli. Combien de temps a été nécessaire à la constitution de ce projet ? Avez-vous rencontré des difficultés particulières ?Les premières discussions avec les interlocuteurs japonais remontent à plus d'un an et demi, voire deux ans, avant même l'ouverture du musée !
Nous avions découvert l'existence de l'exposition et avons fait de premières approches pour l'accueillir. Les démarches n'ont pas été difficiles, car nous avions déjà leurs contacts depuis l'exposition Miyazaki-Moebius, qui avait beaucoup plu au réalisateur.
Ils connaissaient notre galerie et ce que nous avons pu proposer sur la dernière décennie. Nous avions déjà proposé par le passé à la galerie
Arludik, et en exclusivité mondiale, de tirages limités de
Ponyo sur la falaise ou
La colline aux coquelicots, entre autres.
Nous avons ainsi un rapport privilégié que nous continuons à entretenir, en mettant en avant notre propos culturel et artistique. Le studio Ghibli est assez proche de Pixar, Hayao Miyazaki et John Lasseter se connaissent bien, et la présence de l'exposition Pixar a également pesé dans la balance pour faire aboutir cette exposition.
Avez-vous eu la chance de visiter les studios Ghibli, et de rencontrer Hayao Miyazaki et Isao Takahata ?Oui, cela remonte déjà à plusieurs années, mais je me suis rendu à plusieurs reprises au musée comme au studio Ghibli. Cela fut une expérience très impressionnante.
Lors de mon premier passage, le studio travaillait sur
le Château ambulant, et Hayao Miyazaki avait pris le temps de venir nous saluer et de s'entretenir avec nous, ce qui est une chose extrêmement rare en pleine fin de production.
Nous avons retrouvé la même magie lorsqu'il s'est rendu à Paris par la suite.
Le monde de l'animation a été récemment marqué par l'annonce de la retraite de Hayao Miyazaki. Et vous, qu'en avez-vous pensé ?
Je pense que Hayao Miyazaki est quelqu'un qui s'est toujours investi de toute son âme dans ce qu'il fait. Il a consacré sa vie entière à l'animation, et peut-être a-t-il eu envie de vivre autre chose, avant de se faire absorber par sa frénésie créative.
Il est notoirement réputé pour être un véritable bourreau de travail, mais en même temps il est presque considéré comme un Dieu vivant au Japon. Il avait probablement besoin de prendre un peu de recul sur sa vie, de se retrouver, de sortir de cet aspect spectaculaire. Pour ma part, il est l'exemple de cette recherche de perfection à laquelle aspire le peuple japonais. En Occident, on se serait précipité pour surfer sur les succès en sortant un Totoro 2, par exemple, or on sent que ce n'est pas du tout cette mentalité qui l'anime. Il y a une recherche, une véritable réflexion artistique, sans céder à la facilité.
Comment envisagez-vous l'avenir du studio ? Pensez-vous que Goro Miyazaki va en reprendre les rênes ?Je pense que d'autres réalisateurs peuvent aussi émerger, comme
Hiromasa Yonebayashi (
Arrietty,
Souvenirs de Marnie), sans oublier
Toshio Suzuki (producteur en chef et ancien président du studio Ghibili) qui continue de les superviser. D'ailleurs, pour l'anecdote, M. Suzuki a lui-même réalisé le logo calligraphique de notre exposition !
Miyazaki fils et Yonebayashi sont des créateurs qui, une nouvelle fois, prennent le temps de trouver des idées en phase avec l'esprit du studio, plutôt que de céder à la facilité. Le studio a annoncé une pause dans la réalisation de longs métrages, j'espère qu'elle lui permettra de faire naître des idées nouvelles, et de repérer de nouveaux talents émergents. Le tout est de parvenir à transmettre l'héritage que laisseront Hayao Miyazaki et Isao Takahata. Notre exposition permet d'ailleurs de se rendre compte que leur style n'est pas si aisément imitable, aussi il faudra que le studio prenne le temps nécessaire pour passer le flambeau.
Parmi les 1300 planches proposées, une grande partie est consacrée au Voyage de Chihiro. Pourquoi avez-vous mis ce film plus en évidence ?
C'est l'un des films cultes du studio, et celui qui a connu le succès le plus important au Japon. Et en effet, nous proposons environ 600 dessins autour de Chihiro, que nous avons réunis dans une salle avec une mise en scène spectaculaire et impressionnante, sur toute la hauteur de la pièce. Hayao Miyazaki voulait que nous présentions un sentiment d'abondance, représentatif de la quantité incroyable de travail qui a été fournie. Un film d'animation nécessite entre 1000 et 1300 plans, soit autant de dessins de cette qualité. En en présentant « seulement » la moitié, nous mettons déjà en avant les efforts fournis. D'autant plus que 70% d'entre eux sont signés de la main même de Miyazaki, ce qui montre l'implication personnelle du réalisateur dans ses films et sa présence à tous les niveaux.
Un dernier mot pour convaincre nos lecteurs de se rendre à l'exposition ?Pour dire les choses simplement : On ne s'attend pas à ça !
L'exposition présente un mélange assez rare de classicisme et de modernisme. Pour tous les fans de Ghibli, mais aussi pour tous ceux qui s'intéressent à l'animation, c'est une manière incroyable de découvrir quelque chose de complètement inédit. C'est la première fois qu'un studio expose son travail d'une telle façon, avec un tel aboutissement.
C'est une exposition d'art contemporain avant tout, mais un art accessible à tous. On réalise que derrière ce que l'on aime, il y a de l'art, et cette exposition vous permettra de redécouvrir les films avec un autre regard.