Iker Bilbao et Joanna Ardaillon, respectivement responsable de la collection manga et coordinatrice éditoriale chez Soleil Manga, nous ont accordé un entretien lors de la dixième édition de la Japan Expo. En voici le compte-rendu.
Manga-news: Aujourd'hui, comment définiriez-vous votre politique éditoriale?Soleil Manga: Elle se place principalement sur 2 axes, qui sont les jeux vidéos et les shojos. Ces derniers sont le reflet de nos lecteurs. Nous continuons tout de même à faire du shonen et du seinen, mais dans une moindre mesure.
Le shôjo se développe de plus en plus. On va continuer à se battre pour rester dans ce secteur, car historiquement, c'est vraiment un secteur qui est là depuis le début chez Soleil manga, tant et si bien que nous avons créé des partenariats très forts avec certains éditeurs japonais. Nous avons des licences fortes sur le shojo, et sommes sur le point d'en acquérir d'autres très importantes. On a maintenant un public fidèle qui se reconnaît dans notre politique. Nous avons également effectué un gros travail de fond sur notre collection.
En ce qui concerne le jeu vidéo, là nous venons de sortir la série
Zelda qui comptera 9 volumes.
Au niveau des shonen, ce sont des choix du cœur qui ont été effectués dernièrement. C'est souvent un marché sur lequel on souffre un peu à cause du succès des autres, et aussi du fait que le shonen est un genre composé de séries souvent longues alors que les lecteurs n'ont pas trop envie de se lancer dans des séries en cours de parution.
Le seinen, c'est historiquement un genre qu'on défend énormément, mais qui chez Soleil ne fonctionne malheureusement pas très bien au niveau du public. C'est dommage car à ses débuts Soleil misait beaucoup sur le seinen. A l'époque, nous avions d'ailleurs notre seinen star:
Battle Royale. Aujourd'hui, nous ne souhaitons pas laisser mourir le seinen au sein de notre catalogue. C'est pourquoi nous allons prochainement sortir une perfect édition de Battle Royale. Les 15 tomes seront réunis en 5 volumes, qui feront alors plus de 600 pages. Suivant le concept du beau livre, nous allons faire coloriser des pages, pour qu'au final chaque tome devienne un objet collector. Le premier opus doit sortir au mois de septembre.
Nous avons procédé depuis Janvier dernier à une segmentation de notre catalogue en sept grands axes. Tout d'abord les quatre axes que je viens d'aborder: shojo, seinen, shonen et jeux vidéos. Il y a également l'axe gothic, dans lequel on a pu classer plusieurs titres gothics qui étaient dans notre catalogue. C'est un axe que nous avons développé depuis quelques temps déjà, notamment avec
Rozen Maiden. On a aussi un axe I Love Japan qui est consacré à tout ce qui est livres d'apprentissage sur le Japon. Et dernièrement, la collection Eros, qui regroupe des titres assez coquins.
Le 15 Décembre 2008, vous vous êtes mis à la B.D. Numérique avec Lanfeust des étoiles. Les enjeux et les contraintes ne sont sans doute pas les mêmes, mais comptez-vous réitérer cette expérience avec un manga?Nous en avons beaucoup discuté, et après étude, nous avons remarqué que ce qui s'achète le plus en numérique, ce sont les magazines pornographiques. Nous avons donc logiquement pensé aux titres de la collection Eros.
Le problème, c'est que le numérique fait encore un peu peur aux Japonais, surtout lorsque c'est en France car ils n'ont aucun moyen de contrôle efficace pour le support numérique. C'est pourquoi publier des mangas sous un tel format n'est pas encore d'actualité pour nous. Peut-être avec des titres américains de TokyoPop... Mais avec des mangas japonais, ça risque de prendre du temps!
Maki Usami est mise à l'honneur dans votre catalogue grâce à la sortie de 3 de ses titres: Living in a happy world, Bus for spring, et prochainement Sign of love. Pensez-vous que cet auteur marquera de façon particulière votre catalogue?Je l'espère, car cette auteure a vraiment été un coup de cœur. Nous allons essayer de défendre et de suivre Maki Usami au maximum! On retrouve une certaine forme de ce que fait Yuuki Obata, c'est à dire un style graphique très rond, très doux, loin de certains autres shojo de notre catalogue un peu plus directs et agressifs.
Yuki Yoshihara est une auteure prolifique au Japon. Après Itadakimasu et Ma petite Maitresse, comptez-vous publier d'autres séries de cette artiste?Au départ, c'était une auteure publiée chez Panini Manga. C'était un rêve de travailler sur les séries de Yoshihara... Nous allons donc nous battre pour obtenir ses autres œuvres! Nous sommes très clients de ce genre de shojo pour jeune adulte, qui mêle habilement romance, sentiments et érotisme.
Certains titres d'Eros sont souvent repoussés, pourquoi?Eros a posé un problème dans le sens où, au départ, les titres de cette collection étaient prévus chez Iku Comics. Donc les premiers reports sont venus du fait qu'il a fallu faire basculer tous ces titres-là sous la collection Eros. Puis nous avons dû renégocier et refaire les contrats, non plus avec Iku Comics, mais avec MC Productions. Tout ceci prend du temps.
Enfin, nous avons eu des problèmes pour obtenir le matériel nécessaire à la fabrication des livres chez nous. Il faut savoir que certains titres d'Eros n'étaient pas prévus à l'exportation par les japonais, et donc le matériel n'existait pas. Par exemple pour
Chantage à la Fac et
Bleu Azur, il a fallu que nous fassions nous-mêmes les scans.
Où en est la création du site internet pour Eros?C'est toujours en cours. Là aussi c'est compliqué, car on veut faire valider le site par nos partenaires japonais, ce qui est long et problématique. Un peu de patience...
Quelle est votre position sur la censure graphique? En faites-vous sur les titres Eros?Sur Eros, la censure graphique sur certaines cases est un choix purement éditorial. Sans vouloir jeter la pierre, nous avons en quelque sorte été les esclaves des choix de nos prédécesseurs. Sur
Le Journal Intime de Sakura, on découvre au fil des tomes que l'histoire est bien plus sombre et dramatique que prévu, parfois au détriment de l'érotisme. Nous avons parfois eu à faire à des passages faisant référence à l'enfance de certains protagonistes que nous avons préféré ne pas montrer... Mais lorsque nous censurons, nous faisons toujours en sorte que l'histoire n'en souffre pas.
On peut nous reprocher de dénaturer l'œuvre, mais ce choix est pleinement assumé. C'est une protection autant pour nous que pour les japonais.
Néanmoins pour les nouveaux titres Eros, il n'y aura a priori pas de censure. Une décision éditoriale a été prise, et elle consiste à sélectionner des séries très courtes pour ce label. Ainsi, nous avons la totalité de la série entre les mains lorsque nous la choisissons, ce qui évite les mauvaises surprises.
Un petit sujet qui fâche: les lecteurs ne comprennent pas toujours pourquoi certaines sorties sont reportées. Qu'avez-vous à répondre à cela? Prenons pour exemple trois séries de votre catalogue: Higanjima, Beauty Pop et T'abuses Ikkô.Ce sont 3 cas différents. Pour
Higanjima, il a fallu qu'on renégocie les contrats sur des bases nouvelles. Il y a eu en plus de ça et au même moment un changement de direction au Japon chez Kodansha. Soleil n'étant pas l'éditeur qui travaille le plus avec Kodansha, notre cas a été traité avec du retard et il a fallu beaucoup de temps pour le résoudre. Là le volume 16 est sorti, et le tome 17 sortira en octobre. Comme on achète les séries par lot (3 volumes à la fois dans le cas d'
Higanjima), il y aura une sorte de pause tous les trois tomes, le temps de refaire le contrat.
Pour
T'abuses Ikkô, les ventes ont été bien en-dessous de ce qu'on avait espéré. Le souci c'était de faire accepter les conditions réelles du marché à l'éditeur japonais, ce qui une fois de plus prend du temps. Mais je rassure tous les fans: Soleil publiera les deux derniers volumes de la série.
Beauty Pop est un autre cas de figure. Au Japon, les derniers volumes sont sortis sous le nom de Second stage, car l'auteur a changé de magazine. Nous avons dû renégocier avec l'éditeur japonais pour savoir si l'on devait garder le premier titre ou s'il fallait utiliser le nouveau, ce qui a provoqué des retards. Le changement d'imprimeur a également joué en faveur du report de Beauty Pop...
Au final, nous avons eu une avalanche de malchance qui a engendré des reports tout au long de ce premier semestre. Ces derniers nous sont imputables en partie, mais d'autres résultent vraiment d'un concours de circonstance malheureux!
Est-il envisageable de sortir la première saison d'Iron Wok, ou tout du moins de nous expliquer ce qu'il s'est passé durant cette saison par le biais d'une préface qui serait présente dans les opus de la saison deux?On a discuté pour réaliser une préface, et ça n'a pas été accepté par les japonais, car pour eux ça voulait dire qu'on fermait définitivement la porte à une éventuelle sortie de la première saison. Quant à l'acquisition de la première saison, très honnêtement, ça risque d'être difficile. En effet le style graphique de la première saison d'
Iron Wok est particulier et nous avons peur qu'il ne plaise pas au public. Toutefois, si les ventes de la saison deux décollent, ça n'est pas exclu qu'on publie cette première saison.
Il y a eu un buzz important sur le net autour de la série Dorohedoro. Est-ce que ce dernier a eu un impact particulier sur les ventes?Oui et non, dans le sens où le rôle d'internet n'est pas forcément révélateur sur le public, mais plutôt sur le libraire. C'est à dire que les libraires s'informent beaucoup sur internet quand un titre arrive, et le fait de voir plusieurs sites parler de
Dorohedoro les a certainement aidé à mettre le titre en avant. Nous avons ainsi remarqué que
Dorohedoro était parfois affiché en coup de cour dans certaines boutiques. Ça nous fait plaisir mais cela reste très rare.
En tout cas, nous publierons la série jusqu'à son terme en France, d'autant plus que selon son auteur
Dorohedoro entrerait dans sa phase finale au Japon.
Un bilan provisoire pour cette Japan Expo?Vivre la Japan Expo nous fait plaisir car on rencontre des fans qui nous disent qu'ils nous aiment, ce qui nous change d'internet. On reçoit aussi des mails et des courriers de lecteurs. L'impact est intéressant, dans le sens où, par exemple, on voit que le public de
Loveless est toujours aussi fidèle et patient. On a fait un très bon démarrage sur
Zelda, qui était un enjeu assez important pour nous. Vive Soleil Manga!
Interview réalisée par Lovehina et shinob. Remerciements à Iker Bilbao & Joanna Ardaillon.