© La Novel-Edition

Ascendance of a Bookworm La Petite Faiseuse de Livres Partie 1 Volume 1 La fille d'un soldat Miya Kazuki Illustrations : You Shiina Traduction : Aurélien Piovan

Prologue 8 Une nouvelle vie 12 Exploration de la maison 21 Exploration de la ville 32 Livres : impossible à obtenir 39 Amélioration de la vie quotidienne 46 Les garçons du voisinage 55 Papier : impossible à obtenir 63 Respect pour la civilisation égyptienne 71 Préparations pour l’hiver 80 Ardoise obtenue ! 88 Battue par les anciens Égyptiens 100 Douceurs d’hiver 109 L’assistante d’Otto 120 L’ornement pour cheveux de Tuuli 129 Emmenez-moi dans la forêt 139

Vive la civilisation mésopotamienne 152 Les tablettes d’argile ne mènent à rien 164 Le baptême de Tuuli 174 e je t’aime, civilisation du fleuve jaune 187 Je veux de l’encre 196 Lutte en cuisine 205 Les tablettes en bois et la mystérieuse fièvre 218 En route pour la rencontre 226 Rencontre avec un marchand 235 Épilogue 250 Un jour sans Maïn 263 Un jour comme les autres 272 Postface 283 Notes du traducteur 285 Lexique 287 Copyrights 290

8 Prologue Urano Motosu aimait les livres. Psychologie, religion, histoire, géographie, enseignement, folklore, mathématiques, physique-chimie, sciences de la vie et de la Terre, arts, éducation physique, langues, récits… Elle adorait du fond du cœur ces livres qui condensaient le savoir du genre humain. Elle se sentait édifiée de lire un livre résumant toutes sortes de connaissances. Elle était fascinée de voir ses horizons s’étendre en parcourant des recueils de photos qui présentaient des paysages qu’elle n’avait jamais observés de ses propres yeux. Elle était captivée par les anciens récits étrangers qui lui permeaient d’apercevoir les coutumes d’autres époques et d’autres pays. Dès qu’elle commençait à s’y plonger, elle perdait systématiquement toute notion du temps en essayant de démêler leurs mystères. Lorsqu’elle se rendait à la bibliothèque, elle allait directement voir les archives, car elle adorait particulièrement l’odeur parfumée et poussiéreuse des vieux livres qui s’y trouvaient. S’imprégner tranquillement de cee vieille atmosphère et contempler ces livres qui avaient traversé les années suffisaient à la rendre exaltée. Bien sûr, elle ne résistait pas non plus à l’odeur du papier neuf et de l’encre fraîche. Elle s’amusait rien qu’en songeant à ce qui pourrait y être écrit ou quelles nouvelles connaissances pourraient s’y trouver.

9 Par-dessus tout, elle ne pouvait rester tranquille si elle n’avait pas de mots sous les yeux. e ce soit dans le bain, aux toilees ou en marchant, elle ne pouvait survivre sans avoir un livre entre les mains. S’étant comportée ainsi de sa plus tendre enfance jusqu’à maintenant où elle terminait ses études, son entourage la surnommait « le rat de bibliothèque farfelu ». Ils parlaient d’elle comme quelqu’un qui aimait les livres au point que cela en devenait gênant dans son quotidien. Néanmoins, Urano ne se souciait pas de ce qu’en pensaient les autres. Tant qu’elle avait des livres, cela suffisait à son bonheur. Un gros camion passa à côté d’elle, éructant ses gaz d’échappement. La brise chaude souleva ses cheveux, toutefois, elle ne s’en préoccupa pas au contraire des pages de son livre qui s’agitaient et qu’elle s’empressa de maintenir en place. — Urano, fais aention. Reste près de moi. — Ouais, répondit-elle vaguement en remontant ses lunees, sans détacher le regard des lignes sous ses yeux. Remarquant que sa frange échevelée la gênait pour lire, elle se hâta de l’arranger du bout des doigts. Un soupir las parvint à ses oreilles, et elle fronça les sourcils quand on lui tira subitement le bras. — Tu me fais mal, Shû. — Il vaut mieux se plaindre d’avoir un peu mal plutôt que de mourir renversée par un camion, tu crois pas ? — C’est vrai. D’autant que j’ai décidé que je mourrai enfouie sous une tonne de livres. Urano souhaitait vivre toute sa vie entourée de livres. Elle voulait la passer dans des archives juste assez ventilées où les livres seraient à l’abri des rayons néfastes du soleil. Elle occupait la moindre heure de sa vie à lire. ’importe qu’on lui répète qu’elle était pâle à faire peur, qu’elle était malingre du fait du manque d’exercice, ou qu’on la dispute lorsqu’elle oubliait de manger, elle désirait vivre sans quier ses livres un seul instant. Si elle devait mourir, que ce soit ensevelie sous une tonne de livres. Elle était convaincue qu’elle en serait bien plus heureuse que de mourir de sa belle mort.

10 Prologue — Je t’ai pourtant répété des tas de fois de ne pas lire en marchant. Si tu fais comme tout à l’heure, tu finiras vraiment par avoir un accident. Tu pourrais m’en être un peu reconnaissante. — Et je te le dis sans cesse. Ô, mille mercis ! — Ça m’a pas l’air très sincère. — Mais si. C’est grâce à toi que je peux aller faire des emplees tout en lisant. Dans tous les cas, si je devais mourir, j’implorerais dieu qu’il me permee de revivre pour lire des livres. C’est un bon plan, non ? Héhéhé. — T’es bête. Tu crois vraiment que ce serait aussi simple ? La conversation se poursuivit jusqu’à la maison d’Urano. Au lieu de rentrer chez lui, dans la maison voisine, Shû l’accompagna. Étant amis d’enfance et n’ayant chacun que leur mère, ils avaient grandi ensemble comme un frère et une sœur. Aujourd’hui encore, il était accueilli comme chez lui par la mère d’Urano. — Tiens, Maman, voilà ce que tu voulais. Je vais dans la bibliothèque. Tu m’appelleras quand le dîner sera prêt. — Oui, oui. Et toi Shû, tu restes manger avec nous ? Ou alors ta maman a prévu quelque chose ? — Elle a dit qu’elle avait du travail, donc je reste avec vous. Je t’emprunte un jeu, Urano. — Ouais, fais comme chez toi, répondit-elle sans se retourner. Pour sa part, elle se dirigea aussitôt vers la bibliothèque de son père, décédé quand elle était jeune. Elle ouvrit la porte et alluma la lumière. La pièce comportait des fenêtres pour aérer, néanmoins, elle les obstruait totalement par d’épais rideaux, craignant que le soleil n’abîme ses livres. Il y en avait des étagères pleines à craquer, ainsi qu’un bureau sur lequel se trouvait une pile qui n’arrêtait pas d’augmenter à cause de ses achats. Sans quier son livre des yeux, elle s’assit d’un geste habile sur la chaise et poursuivit sa lecture. Soudain, son champ de vision se mit à trembler. Comprenant qu’il s’agissait d’un séisme, elle se replongea dans son roman sans s’inquiéter. Toutefois, les secousses, plus fortes qu’à l’accoutumée, rendaient sa lecture difficile. Fronçant les

11 sourcils, elle leva la tête avec énervement, quand des tas de livres volèrent dans son champ de vision. — Ouah ⁈ Incapable d’éviter les étagères penchées qui déversaient leur contenu, elle écarquilla les yeux en voyant l’énorme quantité de livres s’abare sur elle.

12 Une nouvelle vie J’ai chaud… J’ai mal… J’en peux plus… La voix plaintive d’une enfant résonnait directement dans ma tête. ’est-ce que je peux bien y faire ? La voix se fit de plus en plus faible. Tiens, je ne l’entends plus. C’est alors que la sorte de membrane qui me recouvrait éclata, et je sentis ma conscience émerger doucement. Dans le même temps, une forte fièvre et des douleurs similaires à une grippe s’étendirent à tout mon corps, et je compatis avec la voix de l’enfant. C’est vrai qu’il fait chaud et que ça fait mal. Moi aussi, j’aimerais que ça s’arrête. Toutefois, elle ne me donna aucune réponse. Complètement assaillie par la chaleur, je me retournai pour essayer de trouver un coin plus frais du matelas. Peut-être était-ce à cause de la fièvre, mais mon corps ne réagissait pas comme il aurait dû. Néanmoins, je parvins à bouger en me tortillant, et j’entendis un son froissé comme si du papier ou des feuilles se trouvaient sous moi. — ’est-ce que c’est que ce son ?

13 La voix qui sortit de ma bouche n’était pas rauque à cause de la fièvre, mais aiguë comme celle d’une enfant. Il ne s’agissait clairement pas de la voix à laquelle j’étais habituée. En fait, j’avais plutôt l’impression qu’elle était identique à celle de l’enfant que j’avais entendue dans ma tête. Fatiguée par cee forte fièvre, j’aurais voulu dormir. Mais je ne pouvais pas ignorer ce matelas à la sensation bizarre ni cee voix aiguë qui ne semblait pas mienne, aussi j’ouvris lentement mes lourdes paupières. Avec cee fièvre, mon champ de vision était trouble et déformé. Les larmes faisant office de lentilles, ma vue devint bien plus nee que d’ordinaire. — Hein ? J’avais sous les yeux la main frêle et blafarde d’un enfant. Étrange. Dans mes souvenirs, j’avais des mains bien plus grandes. Des mains d’adulte et non celles d’un enfant anémié. Elle se serrait et s’ouvrait suivant mes pensées. Ce corps qui bougeait selon ma volonté ne m’était pas familier. Sous le choc, je sentis ma gorge s’assécher. — ’est-ce que ça veut dire… ? En regardant autour de moi tout en faisant aention à ce que les larmes mouillant mes yeux ne coulent pas, je compris immédiatement qu’il ne s’agissait pas de l’environnement dans lequel j’avais grandi. Le lit sur lequel j’étais étendue était dur et ne possédait pas de matelas. Et l’oreiller était fait d’une matière étonnamment piquante. Le tissu un peu sale qui faisait office de couverture dégageait aussi une odeur étrange, et mon corps qui me démangeait me laissait à penser qu’il devait y avoir des puces et des acariens. — Mais… où est-ce que je suis ? La dernière chose dont je me souvenais était d’avoir été écrasée par une montagne de livres, mais il ne semblait pas que j’aie été sauvée. En tout cas, il n’y avait à ma connaissance aucun hôpital insalubre au Japon qui donnerait à ses patients des draps si crasseux. Je comprends pas. — Je suis bien morte… pas vrai ?

14 Une nouvelle vie J’étais probablement morte, écrasée par un amas de livres. Au vu des secousses, ce devait être un séisme de magnitude 3 ou 4. Certainement pas un tremblement de terre létal. Ils en ont sans doute parlé aux informations. « Une étudiante est décédée chez elle, écrasée par ses bibliothèques. » La honte… Je suis morte à la fois physiquement et socialement. Je tentai de rouler d’embarras dans mon lit, mais j’abandonnai à cause du mal de tête et de la lourdeur de mon corps. J’optai finalement pour me cacher le visage entre mes petites mains. — Bon, je sais, c’est ce que je m’étais dit. ie à mourir, autant que ce soit ensevelie sous des livres. Ce serait bien plus appréciable que de ma belle mort. Mais c’est pas la même chose. Je m’imaginais que ça arriverait après avoir vécu toute ma vie entourée de livres. Je m’aendais franchement pas à mourir si jeune, écrasée dans un séisme. — C’est horrible. Dire que je venais d’être embauchée. Haaa, ma BU… En cee période de précarité, j’avais réussi à obtenir un poste dans une bibliothèque universitaire. J’avais décroché ce travail après avoir traversé épreuves et entretiens à la force de ma volonté, et j’allais enfin pouvoir vivre heureuse au milieu de livres. En tout cas bien plus que dans n’importe quel autre travail. D’autant que c’était un environnement fantastique avec des vieux livres et des documents à foison. Dire que ma mère qui s’inquiétait tant pour moi m’avait confié en larmes qu’elle était si heureuse que j’aie décroché un emploi comme tout le monde. Je l’imaginais pleurant ma mort. Elle ne me reverrait jamais plus et devait être particulièrement énervée. Elle était sans doute en train de maugréer qu’elle m’avait répété maintes fois de réduire mon nombre de livres. — Pardon, Maman… Je levai ma main lourde et essuyai les larmes aux coins de mes yeux, puis je redressai difficilement mon corps fiévreux. Je voulais obtenir davantage d’informations, aussi j’observai la pièce sans me préoccuper des cheveux qui

15 collaient à ma nuque à cause de la sueur. Elle ne contenait que deux genres de lits recouverts chacun d’un drap sale, ainsi que quelques caisses pour ranger des choses. Malheureusement, je ne vis aucune bibliothèque. — Il n’y a pas de livres… Est-ce que je ferais un mauvais rêve durant la mort… ? Si un dieu avait exaucé mon souhait de renaître, il devrait y avoir des livres ici. Après tout, j’avais souhaité pouvoir encore en lire si cela devait arriver. L’esprit embrumé à cause de la fièvre, je fixai les toiles d’araignée pendant au plafond noir de suie. C’est alors qu’une femme entra par la porte ouverte, m’ayant probablement entendu bouger ou parler. Portant un genre de bandana triangulaire sur la tête, il s’agissait d’une belle femme qui avait près de la trentaine. Elle avait des traits magnifiques, mais le visage sale, au point que l’on s’en apercevrait même en la regardant au loin. Je ne sais pas du tout de qui il s’agit, mais elle devrait s’entretenir et se laver un peu les habits et le visage. Elle gâche sa beauté. — Maïn, %&$#+@*+#% ? — Hyaaah ! En entendant les mots incompréhensibles de cee femme, des souvenirs qui n’étaient pas miens jaillirent en moi. Le temps de ciller plusieurs fois et les quelques années de souvenirs de la fillee nommée Maïn surgirent et m’embrouillèrent de manière très pénible, me poussant à me tenir la tête. — Maïn, est-ce que ça va ? Je voulais rétorquer qu’il ne s’agissait pas de moi, pourtant, alors que j’avais la migraine, je frissonnai à la sensation que cee main d’enfant frêle et cee chambre sale me devenaient familières. J’eus la chair de poule quand je pus comprendre ces mots qui m’étaient jusque-là inconnus. Nageant en pleine confusion après que mon cerveau avait soudainement reçu quantité d’informations, tout ce que j’avais sous les yeux m’exhortait à penser que je n’étais plus Urano mais Maïn. — Maïn ? Hé, Maïn ? La femme qui m’appelait avec un air inquiet était une inconnue pour moi.

16 Une nouvelle vie Pourtant, j’avais l’impression de la connaître, et je ressentais même de l’amour envers elle. Ce sentiment qui n’était pas le mien me mit mal à l’aise. Je savais que la personne devant moi était ma mère, mais j’étais incapable de l’accepter volontiers. Elle continua à m’appeler « Maïn » tandis que cet amour et cee répulsion s’opposaient. — Maman… En appelant ainsi cee étrangère comme si c’était l’évidence même, je cessai d’être Urano, et devins Maïn. — Est-ce que ça va ? Tu as l’air d’avoir mal à la tête. Ne souhaitant pas être touchée par la main que me tendait cee mère inconnue qui figurait pourtant dans mes souvenirs, je m’allongeai sur le lit malodorant. Je fermai les yeux, refusant son contact. — J’ai encore mal… Je veux dormir. — D’accord, repose-toi tranquillement. J’aendis qu’elle sorte de la chambre où se trouvaient les deux lits, et tentai d’appréhender ma situation. J’avais la tête qui tournait à cause de la fièvre ; toutefois, je ne pouvais pas me coucher bien gentiment dans une telle agitation. Je ne parvenais absolument pas à saisir comment j’en étais arrivée là. Cependant, plus que de chercher les raisons, il me paraissait important de réfléchir à ce que j’allais faire désormais. Je devais me servir des quelques souvenirs de Maïn que je comprenais afin de bien saisir ma situation, sans quoi ma famille deviendrait rapidement suspicieuse. Je commençai par les assimiler lentement. Je tentai de me remémorer autant de choses que possible ; or, ils étaient ceux d’une enfant qui ne parlait pas encore parfaitement, et il y avait beaucoup de mots de ses parents qu’elle ne comprenait pas tout à fait. Fatalement, mon vocabulaire étant limité, la majorité de mes souvenirs restait incompréhensible. — Ouah…’est-ce que je vais faire… ?

17 D’après les quelques bribes de Maïn, je pouvais affirmer que nous étions une famille de quatre, avec sa mère Effa, sa sœur Tuuli, et son père Gunther. Ce dernier semblait travailler en tant que soldat. Le plus grand choc pour moi était de me trouver dans un monde inconnu. J’avais l’image de Maman et son bandana, mais ses cheveux étaient d’un vert de jadéite. Il ne s’agissait pas d’une teinture artificielle, mais bien de sa couleur naturelle. À tel point qu’on aurait eu envie de les lui tirer pour confirmer qu’il ne s’agissait pas d’une perruque. D’autre part, ceux de Tuuli se paraient de turquoise, et de bleu ceux de Papa, tandis que les miens étaient bleu marine. Je ne savais pas si je devais être heureuse qu’ils se rapprochent du noir auquel j’étais habituée, ou me lamenter qu’ils ne le soient pas réellement. En tout cas, étant donné que cee maison ne comportait aucun miroir, j’ignorais totalement mon apparence à l’exception de la couleur de mes cheveux, même en fouillant dans ma mémoire. À en juger par les traits de mes parents et de Tuuli, je ne devais pas être hideuse. Cela étant, tant que je pouvais lire des livres, ma vie ou mon apparence ne me posaient pas problème. and j’étais encore Urano, j’avais un visage assez quelconque, aussi je ne me préoccupais pas de ma beauté. — Haaa… Mais je veux pouvoir lire. Je pense que ça pourrait faire baisser ma fièvre. Je pourrais supporter n’importe quel environnement tant que j’ai des livres. Oui. Alors, donnez-moi des livres. Je posai doucement un doigt sur ma tempe et en cherchai les traces dans mes souvenirs. Bon, où pourrait bien se trouver la bibliothèque dans cee maison ? — Maïn, tu es réveillée ? M’interrompant dans mes réflexions, une fillee d’environ sept ans entra à pas feutrés. C’était ma grande sœur, Tuuli. Ses cheveux turquoise étaient noués en une simple tresse, et on voyait clairement qu’ils étaient secs et peu entretenus. Elle gâche son beau visage. Si seulement elle le lavait de sa saleté.

18 Une nouvelle vie Peut-être pensais-je cela car je la regardais de mon point de vue de Japonaise et que les étrangers disaient de nous que nous étions portés sur l’hygiène à un point maladif. Cela étant, il y avait des choses plus importantes. À l’heure actuelle, je n’avais qu’une seule priorité. — Tuuli, tu peux m’apporter un (livre) ? Puisqu’elle semblait être en âge de savoir lire, il devait sûrement y avoir une dizaine de livres d’images dans la maison. and bien même je serais couchée par la maladie, je pourrais toujours lire. J’avais eu droit à une nouvelle vie, et la chose qui m’importait le plus était que j’allais pouvoir profiter des livres d’un autre monde. Néanmoins, Tuuli afficha un air interloqué à la demande de sa mignonne petite sœur. — Hein ? ’est-ce que c’est ? — Euh… Ce sont des objets où sont (écrites) des (leres) ou avec des (images)… — Je ne comprends rien, Maïn. Exprime-toi correctement. — Des (livres) ! Je veux des (livres d’images). — Mais de quoi tu parles ? Je ne comprends pas. Apparemment, étant donné que les mots qui ne se trouvaient pas dans les souvenirs de Maïn sortaient en japonais, j’avais beau faire tous les efforts du monde pour m’expliquer, Tuuli restait confuse. — Ah, bon sang ! e la (fonction de traduction) fasse son (boulot) ! — Pourquoi tu t’énerves comme ça, Maïn ? — Je ne m’énerve pas. J’ai juste mal à la tête. Avant tout, je vais devoir écouter avec aention les paroles des gens et faire de mon mieux pour retenir le plus de mots possible. Avec la plasticité cérébrale d’une jeune enfant, et mon intelligence d’étudiante de 22 ans, ça devrait être assez facile. Du moins, j’espère que ce sera le cas. and j’étais Urano, je recourrais à des dictionnaires pour lire des livres étrangers. Cela ne devrait pas être trop laborieux si je voyais l’apprentissage du vocabulaire comme un prérequis avant de pouvoir lire les livres de ce monde. Ma passion et mon amour pour eux étaient tels que j’airais la curiosité des gens autour de moi.

19 — C’est parce que tu as encore de la fièvre que tu t’énerves… ? Désirant jauger ma température, elle tendit sa main sale vers moi. Je la saisis aussitôt. — Je suis encore malade, tu pourrais l’araper. — C’est vrai, je vais faire aention. Ouf. Faire semblant de s’inquiéter pour autrui afin d’échapper à ce qu’on n’aime pas. J’avais utilisé une technique d’adulte pour éviter qu’elle ne me touche avec sa main. C’est une gentille grande sœur, mais il faudrait qu’elle soit propre. J’observai alors mon bras sale en poussant un soupir. — Haaa… Je veux prendre un (bain). Ma tête me démange, murmurai-je. C’est alors que les souvenirs de Maïn m’apprirent que l’on ne se lavait qu’une fois de temps en temps avec un seau et en se froant avec un genre de chiffon. Nooon ! On ne peut pas appeler ça un bain. Et ils n’ont pas de toilees, mais un pot de chambre ⁈ Pitié… ! Je veux renaître quelque part où je ne serai pas incommodée par ma vie, dieu. Mon environnement me donnait sérieusement envie de pleurer. and j’étais Urano, je vivais dans une maison tout à fait ordinaire. Il y avait une sacrée différence avec ma vie d’avant où je n’avais jamais eu de souci avec le bain, les toilees, les habits, la nourriture ou les livres… Haaa, que j’étais bien au Japon. Il y avait tellement de bons côtés. e ce soit des draps agréables au toucher, un lit moelleux, des livres, des livres, ou encore des livres… J’avais beau me sentir nostalgique, je n’avais d’autre choix que de vivre ici. Dans ce cas, il fallait arrêter de se lamenter et inculquer à ma famille quelques notions d’hygiène. D’après mes souvenirs, Maïn était une enfant malingre qui se retrouvait souvent alitée à cause de la fièvre. Dans sa mémoire, elle se trouvait généralement dans son lit. Sans améliorer mon environnement, je doute de faire long feu. Et si je tombe

20 Une nouvelle vie malade, je ne tiens pas à être soignée par les moyens que j’imagine en voyant ce cadre de vie… Je dois vite m’occuper du ménage de cee pièce et réfléchir à la manière de prendre un bain. J’avais déjà du mal à faire la moindre petite tâche ménagère malgré les appareillages qu’on trouve au Japon. J’étais un poids mort qui préférait passer son temps à lire qu’à aider sa mère. Est-ce que j’arriverai à me faire à la vie d’ici ? Je secouai la tête. Non… J’ai eu la chance d’avoir une autre vie, je dois penser positivement. J’aurai l’opportunité de pouvoir lire des livres qui n’existent pas sur Terre… Allez, je suis gonflée à bloc. Pour pouvoir lire sans souci, je devais d’abord améliorer ma condition physique. Je fermai lentement les yeux pour me reposer. Alors que ma conscience plongeait dans les ténèbres, je ne songeais qu’à une chose. Peu importe ce que c’est, je veux pouvoir lire un livre rapidement… Ô, dieu, accordez-moi un livre ! C’est peut-être trop demander, mais j’aimerais même une bibliothèque remplie de livres.

21 Exploration de la maison Cela faisait trois jours que j’étais devenue Maïn. Ces quelques jours avaient été très durs. J’avais traversé plusieurs combats héroïques dont je ne pourrais parler sans verser de larmes. D’abord, quand j’avais voulu chercher des livres dans la maison et que je m’étais éclipsée discrètement de mon lit, Maman s’était énervée et m’y avait ramenée de force. J’avais relevé le défi plusieurs fois, mais en pure perte. À tel point qu’elle me remeait invariablement au lit dès que j’en sortais, en dehors des moments où j’avais besoin d’aller aux toilees. Ainsi, je laissai tomber ma recherche. Et si aller aux toilees était la seule chose qu’on m’autorisait à faire, ce fut également une lue terrible. Ici, elles consistaient en un simple pot de chambre. De plus, comme Maïn n’était pas encore capable de faire seule, il y avait constamment un membre de la famille pour la surveiller. J’avais beau crier que j’étais en mesure de me débrouiller seule et qu’on ne me regarde pas, on me houspillait en répondant qu’on ne voulait pas que j’en mee partout. Aussi, je pleurais de devoir me soulager devant quelqu’un, tandis que Tuuli me félicitait en disant que je pourrais bientôt le faire toute seule. Je comprenais qu’elle soit fière de sa petite sœur, mais mon honneur et ma dignité en tant que personne avaient été réduits à peau de chagrin.

22 Exploration de la maison Par ailleurs, non seulement la famille n’avait pas de toilees, mais elle jetait en plus le contenu du pot de chambre par la fenêtre. Je n’en revenais pas. S’habiller était aussi un vrai combat. De mon point de vue, je me faisais déshabiller par un père inconnu. Terriblement gênée, je lui criais que je voulais le faire moi-même, mais il prenait cela pour un caprice. C’était trop. and j’étais Urano, mon père était décédé alors que j’étais toute petite, donc j’ignorais totalement comment mere de la distance avec lui. Les souvenirs de Maïn me montraient que c’était un père aimant ; toutefois, je n’y voyais qu’un homme rustre et plutôt baraqué. Contre la force physique de mon père soldat, toute tentative de résistance se retrouvait facilement étouffée. Après toutes ces défaites successives face à ma famille pendant ces trois jours, j’avais mis au rebut mon cœur de jeune fille et ma honte. Je suis une enfant, c’est donc normal que ma famille s’occupe de moi… Il n’y a qu’en pensant comme ça que je pourrai continuer à vivre ! Je dois me résigner ou je ne pourrai pas supporter cee vie ! Il n’y avait rien à faire. Une jeune fille maladive comme moi ne pouvait pas soudainement s’enfuir de chez elle et vivre comme elle l’entendait. Au mieux, je partirais en quête de toilees et de bains, crierais sous les déjections tombant du ciel et finirais ma vie dans un caniveau. À première vue, on aurait pu croire à une défaite complète, mais pas exactement. J’avais aussi eu quelques petites victoires. Ne supportant pas de ne pouvoir prendre de bain, j’avais demandé à Tuuli de me neoyer le corps chaque jour avec un chiffon chaud. On me déshabille déjà pour changer mes vêtements, donc je peux tout aussi bien lui demander de me décrasser. Elle tirait à chaque fois une drôle de tête, mais je me sentais bien plus propre. Le premier jour, l’eau du seau était trouble, mais ce n’était plus le cas désormais. Néanmoins, mes cheveux me démangeaient toujours. Je sais qu’on n’a pas de shampooing, seulement j’aimerais tant en avoir.

23 J’avais également pu obtenir autre chose : une baguee pour me nouer les cheveux. and j’avais dit que je voulais un bâton pour me tenir les cheveux qui me gênaient, Tuuli avait commencé à tailler un bout de bois. Il faut dire que le premier bout de bois sur lequel j’ai porté mon aention, c’est la jambe de sa poupée. and je lui ai demandé si je pouvais la casser, elle s’est mise à pleurer. Je m’en veux pour ça. En fait, c’était Papa qui avait taillé le bois, et Maman qui avait confectionné les vêtements de la précieuse poupée de ma sœur, mais à première vue elle ne ressemblait même pas à une poupée. En m’arrangeant les cheveux, Tuuli m’indiqua que seuls les adultes portaient des coiffures hautes, je les nouai donc à mi-hauteur, songeant qu’il y avait de grandes différences culturelles. M’abandonnant à la honte, il ne me restait qu’à récupérer rapidement et entreprendre d’améliorer mon environnement. Et pour ce faire, la première étape était de me trouver des livres. Tant que j’aurais de quoi lire, je pourrais bien supporter toutes sortes de désagréments ou bien rester éternellement au lit. En tout cas, je m’y ferais. C’était pour cee raison que je m’étais lancée dans l’exploration de la maison. Après avoir été dans l’impossibilité de lire des livres pendant si longtemps, les symptômes de manque commençaient à apparaître. J’allais bientôt crier à ce qu’on m’en apporte, tout en pleurant. — Maïn, tu dors ? Soudain, Tuuli ouvrit la porte et passa sa tête. Voyant que j’étais couchée bien gentiment, elle acquiesça d’un air satisfait. Ces trois derniers jours, à chaque fois que j’ouvrais les yeux, sortais de mon lit et rôdais dans la maison en quête d’ouvrages, je me faisais avoir ; si bien que Maman était évidemment sur le quivive, mais également Tuuli à qui on avait confié la tâche de veiller sur moi. Elle devait me garder pendant que Maman partait travailler la journée, et elle était bien décidée à ce que je ne quie pas mon lit. J’avais beau tout faire pour m’échapper, mon petit corps ne me permeait pas de lui tenir tête.

24 Exploration de la maison — Un jour, tu verras que je vous (supplanterai). — ’est-ce que tu as dit, Maïn ? — Hum… ? Je disais que j’avais hâte de grandir. Sans remarquer le sens caché derrière mes mots, Tuuli sourit d’un air perplexe. — and tu ne seras plus malade, tu commenceras à vraiment grandir. Comme tu es toujours malade, tu ne manges pas beaucoup, et les gens pensent que tu as trois ans alors que tu en as cinq. — Et toi, Tuuli ? — J’ai six ans, mais on pense souvent que j’en ai sept ou huit, donc on peut dire que je suis grande. Est-ce qu’il peut y avoir une telle différence entre nous avec seulement un an d’écart ? La supplanter risque d’être difficile. Mais je n’abandonnerai pas. Si je fais aention à mon alimentation et mon hygiène, je finirai en meilleure santé. — Comme Maman est partie travailler, je vais neoyer la vaisselle. Ne t’avise pas de sortir de ton lit. Si tu ne te reposes pas, tu ne guériras pas, et tu ne pourras pas grandir. Étant donné que j’avais des antécédents, je jouais l’enfant docile depuis hier soir afin d’endormir la vigilance de ma sœur. Je gueais tranquillement le moment où elle sortirait. — Bon, j’y vais. Sois gentille en aendant. — Ouiii. Après cee réponse disciplinée, elle ferma la porte de la chambre. Héhéhé… Allez, dépêche-toi. J’aendis sagement qu’elle prenne son panier pour emporter la vaisselle et sorte. J’ignorais où elle allait la laver, mais elle partait toujours une trentaine de minutes. Ils n’ont pas l’air d’être approvisionnés en eau, donc j’imagine qu’il doit y avoir un lavoir commun. J’entendis la porte se fermer à clé, et les bruits de pas de Tuuli descendant les escaliers s’éloignèrent.

25 Allez, à la chasse… Avec une grande sœur ici, aucun doute que je devrais trouver une bonne dizaine de livres d’images. Impossible qu’une maison n’en possède aucun. Je suppose que je ne parviendrai pas à lire les caractères, mais je pourrai imaginer en voyant les dessins et peut-être déduire leur sens. Après avoir confirmé que je n’entendais plus du tout ses bruits de pas, je descendis doucement du lit. En sentant de la terre ou du gravier sous mes pieds, je fis une légère grimace. C’était répugnant de marcher pieds nus sur le sol qu’arpentait ma famille en chaussures, toutefois, je n’avais pas d’autre choix puisque Tuuli avait pris mes genres de sabots afin que je ne déambule pas. Ma mission est plus importante que de me salir les pieds… Dans cee chambre où j’avais été enfermée à cause de ma fièvre qui ne baissait pas, il y avait un panier à côté du lit, contenant des jouets pour enfants en bois ou en paille, mais aucun livre. — S’il y en avait eu ici, l’histoire aurait été vite réglée… À chacun de mes pas, j’écrasais des graviers sous mes pieds. Je savais bien que me plaindre ne servirait à rien, puisqu’il était normal pour eux de garder leurs chaussures même à l’intérieur. Néanmoins, je ne pouvais m’en empêcher. — e quelqu’un m’apporte un balai et un chiffon… Bien sûr, personne n’était là pour me répondre ni pour m’amener ce que je désirais. — Humpf. Voilà déjà mon premier obstacle ? Pour moi, la porte de la chambre représentait une première barrière à mon exploration de la maison. En m’étirant sur la pointe des pieds, je parvins à aeindre la clenche ; or, il était bien plus difficile de l’actionner que ce que j’avais imaginé. En regardant dans la pièce ce qui pourrait faire office de marchepied, je vis la caisse en bois servant à ranger nos vêtements. — Humpf… and j’étais Urano, j’aurais pu la déplacer facilement ; cependant, avec mes petites mains, elle ne bougeait pas d’un iota, que je la tire ou la pousse. Comme

26 Exploration de la maison j’étais petite, je songeais à retourner le panier à jouets et monter dessus, mais il s’écraserait sûrement sous mon poids. — Je dois vite grandir. Il y a trop de choses dont je suis incapable avec ce corps. En regardant autour de moi, je réfléchis aux objets que je pourrais déplacer, et envisageai d’enrouler la couee des parents pour m’en servir comme marchepied. Je me refuse à mere par terre la mienne et à marcher dessus, mais j’imagine qu’eux n’y verront pas d’inconvénient puisqu’ils sont habitués à vivre dans cet environnement… Pardon, Papa, Maman. Je suis tout à fait prête à subir votre colère si c’est pour obtenir des livres. — Hop. Je roulai en boule la couee, montai dessus en m’étirant et parvins à tourner la poignée.

28 Exploration de la maison Dans un bruit de cliquetis, la porte s’ouvrit vers l’intérieur. — Ouah ! Comme je m’appuyais dessus de tout mon poids, je m’empressai de lâcher la clenche avant que la porte ne me heurte violemment la tête, mais trop tard. Je tombai en arrière et roulai en me cognant dans un vrai vacarme. — Aïe… Je me relevai en me froant la tête, voyant la porte légèrement entrouverte. Ma bosse serait une blessure de guerre. Je me levai rapidement, mis ma main dans l’interstice et tirai de toutes mes forces. La couee de mes parents glissa au sol en raclant la crasse, mais je fis mine de rien. Je ne pensais pas la salir à ce point-là…Vraiment désolée. — Ah. En quiant la chambre, je m’étais retrouvée dans la cuisine, même si le terme n’était pas des plus appropriés. Il s’agissait simplement d’une pièce où il était possible de cuisiner. Au centre se trouvait une table pas très grande, ainsi que deux chaises à trois pieds. Il y avait aussi une boite qui devait faire office de siège. Sur la droite, un placard en bois avec une poignée qui devait être une étagère à vaisselle. Contre le mur aenant à la chambre, il y avait un fourneau, et des casseroles, louches et poêles en métal étaient suspendues à des clous. Une ficelle était tendue d’un mur à l’autre, sur laquelle était suspendu un genre de chiffon crasseux. On salira plus qu’autre chose en neoyant avec ça. — Beuh. Ça ne m’étonne pas que j’aie un corps si maladif. Dans le coin opposé au fourneau se trouvaient une grosse jarre et une espèce d’évier. Sans surprise, ils n’avaient aucune arrivée d’eau. Dans un grand panier étaient entassés des sortes de patates, d’oignons et d’autres légumes. Il y en avait beaucoup dont je ne reconnaissais ni la couleur ni la forme, aussi même si j’y voyais des patates, c’était peut-être autre chose. — Hum ? C’est… un genre d’avocat ? Je me demande si on peut en extraire de l’huile.

29 En étudiant les aliments dans le panier, un des légumes avait airé mon regard. Avec de l’huile, je pourrais régler mon souci de tête qui graait. and j’étais Urano, ma mère enchaînait les passe-temps étranges les uns après les autres. Elle suivait tour à tour des cours de culture, des émissions télé pour faire des économies, des magazines sur les méthodes naturelles, etc. Elle répétait sans cesse qu’il me fallait varier mes centres d’intérêt et faire autre chose que lire, mais je savais que je ne m’aarderais jamais sur les choses qui ne me passionnaient pas. Chaque jour je devais me forcer à la suivre, néanmoins, cela me permerait peutêtre de remédier à mon problème de shampooing. Merci Maman… Je vais pouvoir continuer à vivre ici. Ragaillardie par cee découverte, j’observai la pièce et remarquai deux autres portes, en plus de celle de la chambre. — Héhéhé, laquelle sera la bonne ? Cee cuisine n’avait clairement pas la tête à disposer d’une bibliothèque. Voyant qu’une des portes menant ici était entrouverte, je la poussai en grand. — Hum, la remise ? Mauvaise pioche. C’était une pièce remplie de choses dont j’ignorais l’utilité. Il y avait des étagères sur lesquelles étaient placés des objets ; cependant, vu le désordre qui régnait, je doutais d’y trouver une bibliothèque. Laissant tomber, j’entrepris d’ouvrir l’autre porte. À son cliquetis, je compris qu’elle était fermée à clé. J’avais beau la tirer, elle ne semblait pas vouloir s’ouvrir. — Mais… est-ce que ce serait par là que Tuuli est sortie ? Nan… C’est tout ? S’il s’agissait de la porte menant à l’extérieur, alors cee maison n’avait ni baignoire, ni toilees, ni arrivée d’eau, ni bibliothèque d’aucune sorte. Il n’y avait clairement pas d’autre pièce. Euh… dieu ? Est-ce que vous avez une dent contre moi ? J’ai pourtant souhaité pouvoir lire des livres même si je devais me réincarner. Je ne prévoyais pas de conserver mes souvenirs et habitudes de Japonaise, et de me retrouver dans une maison pareille. J’étais persuadée que je me réincarnerais dans un endroit où je trouverais des livres.

30 Exploration de la maison — Peut-être que les livres sont chers ? Dans l’histoire que je connaissais, les livres étaient très onéreux avant que l’imprimerie ne permee de les produire en série. Il n’y avait pour ainsi dire aucune chance de pouvoir en lire un sans faire partie de la haute société. On ne se trouvait sans doute pas dans une société où la municipalité offrait un livre d’images à la naissance, comme lorsque j’étais Urano. — Ouh… Tant pis. S’il n’y a pas de livres, je vais commencer par chercher des leres. Je n’avais pas nécessairement besoin de livres pour étudier leur alphabet. On trouvait beaucoup d’objets sur lesquels étaient inscrits des caractères, qu’il s’agisse de publicités, de journaux, de bulletins d’informations, de manuels, de calendriers… Du moins, au Japon. — Non… Là, non plus ! Je ne trouve rien du tout ! Je cherchai dans le placard de la cuisine et sur les étagères de la remise, mais je ne voyais dans cee maison absolument aucun livre ou objet sur lequel figuraient des caractères. Il n’y avait ni leres ni papier. — ’est-ce que ça veut dire ? J’eus mal à la tête, comme si ma température avait subitement grimpé. J’entendis les baements de mon cœur s’accélérer et mes tympans me tirèrent. Je m’effondrai sur place, telle une marionnee dont les fils se seraient rompus. Mes yeux me brûlaient. Certes, j’ai été écrasée par mes livres. J’ai souhaité ça en blaguant, tout comme le fait de pouvoir me réincarner… Par contre, il n’y a aucun livre ici ? Pas un seul caractère ? Pas de papier ? Est-ce que je vais vraiment pouvoir tenir le coup ? Pourquoi continuer à vivre ? Une goue coula sur ma joue. Je n’aurais jamais pu m’imaginer un monde sans aucun livre. Je me sentais vide à l’intérieur et ne voyais plus aucune raison de poursuivre ma vie en tant que Maïn. Mes larmes ne s’arrêtaient plus. — Maïn, pourquoi tu n’es pas couchée ? Tu ne dois pas sortir de ton lit sans chaussures !

31 Tuuli était rentrée entre-temps et m’observait effondrée sur le sol de la cuisine avec ses yeux bleus. — Il n’y a pas de (livres), Tuuli. — ’est-ce qui se passe ? Tu as mal quelque part ? — Je veux des (livres). Je veux (lire) des (livres). Mais il n’y en a aucun ici ! Elle continua à me parler avec inquiétude tandis que je pleurais à chaudes larmes sous le coup de l’émotion. Cependant, elle qui était habituée à un monde sans livre ne pouvait pas comprendre mes sentiments, quand bien même je lui expliquais. Hé, est-ce qu’il y a quelqu’un… ? Si quelqu’un sait où trouver des livres, qu’il me le dise !

32 Exploration de la ville La veille, j’avais pleuré encore et encore. On m’avait appelée pour le repas puis disputée pour avoir jeté par terre la couee de mes parents, mais je n’avais eu aucune réaction et avais simplement continué à sangloter. Le matin, mes yeux étaient gonflés et ma tête me lançait. Toutefois, ma température avait considérablement baissé, et la fatigue avait disparu. En fait, j’avais tant pleuré que je me sentais mieux. Néanmoins, ma famille continuait à marcher sur des œufs durant le petit-déjeuner. — Ta fièvre est tombée, on dirait. Maman me toucha le front avec sa main froide après avoir terminé la vaisselle. Elle appuya également sur la zone autour de mes yeux gonflés. C’était frais et très agréable. — Si tu es remise, tu veux qu’on aille faire les courses ensemble ? C’est jour de marché. Hein ? Elle n’a pas dit qu’elle était très occupée à son boulot de teinturière et qu’elle devait aller travailler même si j’avais de la fièvre ? En voyant mon air interrogateur, elle baissa les yeux tristement. — Je ne peux pas laisser Tuuli te garder constamment, il faut aussi qu’elle puisse un peu aller dehors. Et hier, elle ne savait plus quoi faire en te voyant

33 pleurer sans discontinuer. Je suppose que c’est parce que tu devais te sentir seule, alors j’ai demandé à mes collègues si je pouvais être absente aujourd’hui. En entendant cela, j’eus le souffle coupé. J’en reviens pas d’avoir pleurniché une journée entière sans me soucier du regard des autres. Je voudrais creuser un trou et m’y enterrer. À tête reposée, je me rendais compte que j’avais eu un comportement particulièrement embarrassant. — Je… désolée. — Il n’y a pas à t’excuser. C’est normal de se sentir seul quand on est malade. Maman me réconforta en me caressant la joue, mais cela ne fit qu’aggraver mon sentiment de culpabilité. Pardon… J’ai pleuré de désespoir parce que je n’avais pas de livre, pas parce que ma mère me manquait. Alors qu’elle se soucie tant de moi, je ne me suis préoccupée que d’aendre la sortie de Tuuli pour chercher des livres. Je suis vraiment désolée. — Tuuli va dans la forêt voisine avec tout le monde, mais tu es encore convalescente, donc tu ne peux pas y aller. Alors, ça te dit qu’on aille faire les courses toutes les deux ? — Oui ! — Eh bien, tu as vite retrouvé ta bonne humeur. Devant le sourire si joyeux de Maman, je lui souris en retour. — Héhé, j’ai hâte. Au vu de sa joie, je ne cherchais pas à dissiper le malentendu. Mon humeur était remontée en flèche à l’idée de sortir dehors pour trouver des livres. En allant avec elle faire des courses, elle m’achètera peut-être un livre. Même un petit me suffira. Juste de quoi me permere d’apprendre leurs leres. Même un cahier d’exercices pour les enfants m’irait. Et si c’est trop demander, même un abécédaire me conviendrait. Je suis sûre qu’en lui disant avec un air adorable que je veux un livre pour ne pas me sentir seule et que je me tiendrai tranquille quand elle ne sera pas là, elle accédera à la requête de sa fille malade et m’achètera un livre d’images. Héhé, j’ai hâte.

34 Exploration de la ville — J’y vais, Maman. Arborant un grand sourire, Tuuli passa sa tête par la porte de la chambre. Comme Maman était de repos, elle avait été libérée de ses devoirs de baby-sier. — Reste bien avec les autres et faites aention. — Oui, répondit-elle. Avec un gros panier sur le dos, elle partit en sautillant. On aurait cru qu’elle allait s’amuser, mais il s’agissait surtout d’aider la maisonnée. Elle allait ramasser du bois, ainsi que des noix et des champignons. e nous ayons un bon repas à peu de frais dépendait d’elle. Bon courage, Tuuli ! Je compte sur toi pour agrémenter mon alimentation ! Dans ce monde misérable, il n’y avait apparemment pas d’école, et les enfants devaient tous aider leur famille ou travailler. En tout cas, il n’y avait aucune sorte d’école dans mes souvenirs. Ceux un peu plus âgés que ma sœur entamaient un apprentissage. Si possible, j’aurais bien aimé devenir apprentie bibliothécaire ou libraire. C’était pour récolter des informations que je sortais aujourd’hui. Je devais localiser la librairie, et nouer des liens avec le gérant afin qu’il me prenne comme apprentie. — Bon, on va aussi aller faire nos courses, Maïn. Il s’agissait de ma première sortie depuis que j’étais devenue une enfant, et la première fois que je portais autre chose qu’un pyjama. C’était de vieux habits de ma sœur, mais je portais de nombreuses couches. Emmitouflée au point d’avoir du mal à me mouvoir, je pris la main de Maman et fis mon premier pas à l’extérieur de la maison. Je sentis un froid mordant et nauséabond. Fait de pierre, le bâtiment lui-même exhalait une atmosphère frisquee, et j’avais beau être recouverte de plusieurs couches de vêtements, elle filtrait malgré tout. J’aurais aimé avoir des habits en polaire ou des chaufferees. Sans parler d’un masque pour bloquer les odeurs et m’empêcher d’araper froid. — Fais aention de ne pas tomber, Maïn. Dès notre sortie de l’appartement, je trouvai des escaliers. Avec mon physique d’enfant de trois ans, ceux-ci étaient si larges que j’avais peur de descendre ne

35 serait-ce qu’une marche. Tenue par la main de Maman qui m’encourageait, je descendis les escaliers en bois qui grinçaient. Étonnamment, ce ne fut qu’une fois au premier étage que nous arrivâmes sur de solides marches en pierre. On vit dans le même bâtiment, alors pourquoi une telle différence de traitement ? Grimaçant, je parvins finalement à l’extérieur. En observant, je notai que notre foyer se trouvait au quatrième étage sur les six que comptait cet immeuble. Honnêtement, avec ma faible constitution et mon peu d’endurance, sortir dehors est déjà une rude épreuve en soi. Ça m’étonne pas que la plupart de mes souvenirs soient dans la maison. En sortant du bâtiment, j’étais déjà à bout de souffle. J’allais m’effondrer avant même d’aeindre notre destination. — Haaa… Haaa… Maman, aends… J’ai du mal… à respirer. — Mais on vient seulement de quier la maison. — Ça ira mieux après… une petite pause. Tout en respirant profondément pour retrouver mon souffle, j’affirmai ma résolution d’aller à une librairie, et regardai aux alentours. Juste devant la sortie de l’immeuble, il y avait une petite place où se trouvait un puits commun. Autour de celui-ci, je vis de nombreuses femmes discuter sur les pavés tout en faisant leur lessive. Il ne faisait aucun doute que c’était ici que Tuuli venait faire la vaisselle, et puiser chaque matin de l’eau pour remplir notre jarre. — Je vais te porter. Estimant que nous n’allions pas pouvoir faire les courses de sitôt, elle me prit sur son dos et commença à marcher d’un pas vif. À en juger par cee espèce de porte-bébé, elle devait avoir l’habitude de transporter Maïn ainsi. La place avec le puits était encadrée de part et d’autre de grands immeubles d’habitation et reliée à la rue principale par une unique voie. En traversant cee ruelle véritablement étroite et sombre, nous débouchâmes sur une large avenue. Ouah… On se croirait dans les rues des vieilles villes européennes qu’on voit dans les recueils photos ou dans les films. Dans cee rue inconnue qui s’étendait devant mes yeux, des aelages tirés par

36 Exploration de la ville des sortes d’ânes arpentaient les pavés, et il y avait des rangées de boutiques de part et d’autre de l’avenue. Telle une parfaite touriste, je regardai partout autour de moi dans l’espoir d’apercevoir une librairie. — Maman, tu vas dans quel magasin ? — ’est-ce que tu racontes, Maïn ? On va au marché. On ne se rend presque jamais dans les magasins. D’après ses dires, les boutiques bien alignées au rez-de-chaussée étaient surtout à destination des personnes assez riches. Les pauvres gens faisaient plutôt leurs courses les jours de marché. Alors, ça veut dire qu’une librairie se trouverait plutôt parmi ces boutiques ? Tandis que je scrutais autour de moi à la recherche du Graal, je vis un bâtiment si énorme qu’il aurait pu servir de point de repère. Avec ses pierres blanches, son air simple mais solennel airait l’œil malgré tout. — Ah, c’est un château ? — Mais non, c’est le temple. and tu auras sept ans, tu iras y faire ton baptême. Ah… un temple. Je n’aime pas l’idée d’une religion imposée. J’essaierai de rester à l’écart autant que possible. Mon intuition d’Urano me disait de rester à distance de la religion. Ignorant si cela était accepté dans ce monde, je gardai ma bouche fermée, et dirigeai mon regard vers le mur à l’arrière du temple. — C’est quoi, ce mur ? — Ce sont les remparts. Ils entourent le château du seigneur et les demeures des nobles. Enfin, ça ne nous concerne pas trop. Cee grande enceinte de pierre fait plutôt penser à une prison. Peut-être même que ça donnerait cee impression avec une garde plus visible. Ces murs blancs et sans ornement n’avaient sans doute pas été conçus pour donner une impression de magnificence, mais on n’y retrouvait pas non plus la rusticité d’un fort. Ils semblaient avoir été construits uniquement dans l’intention de faire une séparation, et non pas pour parer à une quelconque aaque.

RkJQdWJsaXNoZXIy NTEyNzY=