© 1971 by The Hoshi Library / SHINCHOSHA Publishing Co.,Tokyo

- D’accord, ça va, j’ai compris…, répondit-il au hasard, comme s’il voulait gagner un peu de temps. Mais son épouse n’était pas du genre à se laisser berner. - Et qu’est-ce que tu as compris ?, le somma-t-elle. - Écoute, voilà ce que je te propose. Je vais voir si je peux obtenir un peu d’aide pour avancer dans mes recherches. Et si jamais je constate que personne ne veut me filer de coup de main, alors je te promets que je mettrai un terme définitif à ces expériences dès ce soir ! C’est d’accord ?, répondit-il. - Alors vas-y sans plus attendre ! Parce que moi, je refuse de vivre un jour de plus dans l’incertitude du lendemain ! La mort dans l’âme, le mari s’exécuta et sortit de chez lui. - Et voilà, vous savez tout. Acceptez-vous de demander à d’autres qu’ils me prêtent main forte ?, demanda l’homme à un vieillard qui faisait visiblement figure d’autorité. Ce dernier avait écouté d’une oreille attentive la requête, mais il conclut par un ho- chement de tête négatif. Visiblement désolé, il s’expliqua : - Je comprends parfaitement la passion qui t’anime. Mais je crains de ne pouvoir être capable de convaincre quiconque dans ton projet. Toi-même, tu ne sais même pas où cela va te mener ! Si seulement je pouvais leur expliquer à quoi tes expériences ser- viront, alors peut-être que ça en motiverait quelques uns ! Mais là… - Mais je ne le découvrirai quand j’aurai réussi ! Je suis persuadé que tout ça va changer notre vie ! Peut-être même au-delà de tout ce que nous pouvons imaginer ! - Bon, c’est bien gentil tout ça, mais admets que ce n’est pas très concret !, rétorqua le vieillard. Surtout quemoi, j’ai plutôt l’impression que ton expérience est dangereuse. Et va savoir si les autres ne vont pas finir par te prendre pour une sorte de sorcier et te rejeter après tout ça ? Bref, je préfère ne rien demander du tout. Surtout que s’il arrive quelconque malheur, je pourrais y perdre ma place ! - S’il vous plaît, permettez-moi d’insister ! J’ai juste besoin de quelques hommes forts pour m’aider ! Recrutez un ou deux soldats de nos troupes ! Je suis intimement persuadé que plus vite je réussirai et mieux ce sera pour l’ensemble de l’humanité ! - Ça suffit !, trancha le vieux. Crois-moi, c’est vraiment pour ton bien que je prends cette décision. Maintenant, rentre chez toi, trouve-toi un vrai travail et dépêche-toi d’apporter à ta famille tout le réconfort qu’elle mérite ! - Bon, dans ce cas…, conclu l’homme, la gorge déjà serrée à l’idée d’avoir échoué. Cette fois, il devait se résigner et abandonner ses expériences. Abattu, il prit congé du vieil homme et rentra chez lui auprès de son épouse. - Alors ?, lui demanda-t-elle sans détour. Des trémolos dans la voix, il répondit : - On m’a conseillé d’arrêter… - Évidemment ! C’est ce que dirait n’importe qui ayant un minimum la tête sur les épaules ! Allez, débarrasse-moi une bonne fois pour toutes de ton fourbis et dé- pêche-toi de me trouver une nouvelle fourrure ! C’est bientôt l’hiver et tu sais bien que j’ai horreur d’avoir froid ! - Mais justement, en parlant de froid ! Mes… », tenta d’expliquer l’homme avant de se raviser. À quoi bon désormais ?, se dit-il. Ainsi, il rassembla tout le matériel qui lui avait servi pour réaliser ses tests et sortit derechef de chez lui. Il tenait dans ses bras plusieurs bâtons de bois de diffé- rentes longueur et épaisseur, ainsi que des planchettes criblées de petits renfonce- ments. Les creux étaient noircis, comme s’ils avaient été brûlés. L’homme caressa une dernière fois ses planchettes en les regardant avec beaucoup de tristesse. Il sentait pourtant qu’il était près du but ! Mais c’était toujours au moment où il savait que ça allait marcher que ses forces le lâchaient. Il avait besoin de quelqu’un pour prendre le relais et poursuivre la friction des deux bouts de bois. Il était persuadé qu’en les chauffant davantage, les deux morceaux finiraient par produire suffisam- ment de chaleur et ainsi se transformer en feu. - Peut-être que la production de feu doit rester l’apanage exclusif des dieux ou des démons. Peut-êtremême qu’après avoir réussi, je découvrirai que le feun’est pas si utile que ça. Voire même que c’est dangereux ! Pourtant, je ne peux m’empêcher de penser que ce serait vraiment fantastique si on arrivait à maîtriser cet élément... », murmura l’homme en jetant tout son matériel dans la rivière. Il regarda ensuite ses bâtons et ses planchettes disparaître inexorablement, empor- tés et coulés par le courant. Ainsi, l’humanité dû attendre encore plusieurs dizaines de milliers d’années avant qu’elle ne possède l’art de fabriquer le feu.

RkJQdWJsaXNoZXIy NTEyNzY=