© 1971 by The Hoshi Library / SHINCHOSHA Publishing Co.,Tokyo
Je prends effectivement toutes les précautions nécessaires afin d’éviter les im- menses rochers qui se mettent en travers de ma trajectoire. Je dois néanmoins assu- mer quelques risques, car dans mon métier, je ne sais que trop bien combien chaque seconde compte. Malgré un chemin très encombré, j’accélère. « Ça va ? Tu penses pouvoir tenir encore combien de temps ? - Je... J’ai suffisamment d’oxygène,maismon régulateur de température est endom- magé. Il fait terriblement froid dans mon vaisseau. J’ai envie de dormir... - Non, ne t’endors surtout pas ! Tu gèlerais sur place ! Tu dois absolument rester éveillé ! », lui répondis-je en espérant l’encourager. Malheureusement, mon radar m’avertit de la présence d’une nouvelle ceinture de météorites, m’obligeant aussitôt à ralentir ma vitesse. La route vers ce naufragé de l’es- pace s’annonce plus longue que prévu et je vais devoir, coûte que coûte, tenter de le maintenir éveillé. Allez, trouve de quoi alimenter une discussion, vite ! Parle-lui jusqu’à ce que tu l’aies rejoint ! « Eh ! Tu viens de quelle planète au fait ? - De la Terre..., me répond-il. - Vraiment ?Moi aussi ! Je ne sais pas ce que tu en penses, mais pour l’instant, je n’ai pas encore trouvé d’astre plus confortable que notre bonne vieille planète bleue, pas toi ? Tu as déjà visité les colonies sur Mars et Vénus ? Moi oui ! Et franchement, les co- lons, je les plains ! Pareil pour ceux qui vivent dans les bases lunaires ! Tiens bon, je vais te sortir de là ! », lui dis-je d’une voix emplie de nostalgie pour notre planète commune. Mon amour pour les Terriens s’était évidemment exprimé, mais je tiens à préciser que je procède toujours à mes sauvetages avec la même rigueur, quelle que soit l’ori- gine des gens implorant qu’on les aide. Cependant, ayant grandi sur Terre, n’est-il pas logique que j’éprouve davantage de proximité envers un autre Terrien ? Peut-on parler de patriotisme à l’échelle planétaire ?Quoi qu’il en soit, jeme suis déjà juré de lui sauver la vie... « Ah, toi aussi ?, finit-il par me répondre. Cette bonne vieille Terre… Tu crois qu’on pourra y retourner bientôt ? Qu’on reverra la verdure de ses montagnes et le bleu de ses océans ? » Parfait ! Il a prononcé des phrases entières. Je dois poursuivre le dialogue et l’inciter à rester éveillé. « Bien sûr qu’on les reverra ! Mais tu dois tout faire pour ne pas t’endormir jusqu’à ce que j’arrive, compris ? » Malheureusement, le seul son qui sort de mes enceintes n’est pas un mot, mais un bruit qui ressemble à un profond bâillement. Allez ! Nourris la conversation ! Trouve des questions faciles à répondre ! « Et sinon, tu viens de quel coin sur Terre ? - Du Japon..., me répondit-il d’une voix exténuée. - Comment ? Du Japon ? Moi aussi ! » D’un coup, l’homme vient de décupler mon excitation. Bien entendu, je n’ai jamais opéré lamoindre distinction entre les humains et encoremoins selon des critères aussi futiles que leurs origines géographiques ou ethniques. Mais en apprenant qu’il venait du Japon, j’ai évidemment ressenti une profonde complicité pour lui. Du chauvinisme primaire, sûrement. Je slalome toujours entre les astéroïdes. La distance qui nous sépare se réduit peu à peu. La concentration extrême dont je dois faire preuve pourmanœuvrermon vaisseau ne doit cependant pas me faire oublier de discuter avec lui. « Le Japon, quel bel endroit, hein ? Allez, tiens bon ! Dans mon vaisseau, j’ai même de la nourriture du pays ! Dans quelques minutes, on pourra les déguster ensemble ! Qu’en dis-tu ? Je ne suis plus très loin… - Oui... » Sa voix trahit toujours une extrême fatigue. « Eh ! Tu n’as pas envie de revoir le Japon ? Notremont Fuji, si majestueux ! Nos ce- risiers dont la floraison au printemps nous rend si fiers ! Et nosmontagnes qui semblent s’embraser lorsque l’automne les habille de ses belles couleurs ? » Peu importe le sujet, je dois maintenir son cerveau éveillé ! Il doit parler ! « Oui... - Allez mon vieux, parle ! Fais un effort ! Dis-moi d’où tu viens au Japon ? - To… kyo... » Il s’exprime avec de plus en plus de difficulté. « Ha ha ! Figure-toi que je suis moi aussi de Tokyo ! » J’étais franchement stupéfait par cette troisième coïncidence. Qui aurait pu croire que je croiserais la route d’un Tokyoïte ici, au beau milieu de l’univers ? Si c’étaient les Dieux qui voulaient que nous nous rencontrions, alors je devais vraiment aller au bout de cette mission ! Le sachant originaire de Tokyo, il m’était désormais facile de trouver des sujets de conversation. « Ça me fait super plaisir de savoir que je vais pouvoir te ramener à Tokyo ! Quand on sera rentrés, tu pourras venir boire un coup chez moi, si tu veux ! Et ensuite, ce sera à moi d’aller boire un coup chez toi ! D’ailleurs, où habites-tu ? - District A... - Je connais ! Moi, je suis dans le District B. On n’habite donc pas si loin l’un de l’autre. Ça sera plus pratique pour se rendre visite, pas vrai ? »
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