© 1971 by The Hoshi Library / SHINCHOSHA Publishing Co.,Tokyo
Les scientifiques contactèrent alors leur centre de recherches pour qu’on leur apporte un haut-parleur très puissant. Ils voulaient étudier la résonance et ainsi évaluer la profondeur du gouffre. Ils firent des expériences mais là encore, sans obtenir davantage de résultats. Bredouilles, les hommes de science étaient sur le point de mettre un terme à leurs tests. Mais comme de nombreux badauds observaient la scène, ils ne voulaient pas perdre la face. Vaille que vaille, ils placèrent leur mégaphone en direction du trou béant, réglèrent le volume au maximum et firent une dernière tentative pendant d’interminables secondes. Le vacarme fut tel qu’on l’entendit à plusieurs dizaines de kilomètres à la ronde ! Malheureusement, cet ultime essai ne fut guère plus fructueux : le gouffre avait littéralement avalé le son, sans produire le moindre écho. Les scientifiques, désemparés, se gardèrent évidemment de le montrer. Fina- lement, l’un d’eux trancha au sujet du trou : « Recouvrez-le... » Il est toujours plus aisé d'ignorer et de cacher ce que l’on ne comprend pas. Les touristes présents, déçus que le spectacle soit déjà terminé, commen- cèrent à rentrer chez eux. C’est à ce moment-là qu’un homme au regard fourbe se détacha de la foule : « Si vous voulez, ce trou, je peux le reboucher pour vous... » Le maire du village, qui se tenait là, lui répondit : « Votre proposition nous touche beaucoup, Monsieur, mais nous n’allons pas le reboucher. Nous allons juste reconstruire le petit sanctuaire qui reposait autre- fois au-dessus... - Un petit sanctuaire ? demanda l’homme. Dans ce cas-là, en échange du trou, que diriez-vous si je faisais construire un sanctuaire beaucoup plus grand ? Et si vous voulez, je vous offre la construction d’une toute nouvelle salle communale ! » Avant que le maire n’ait le temps de répondre, les villageois s’agitèrent : « Vraiment ? D’ailleurs, si ce nouveau sanctuaire pouvait être bâti plus près du village... suggéra l’un des autochtones. - Oui ! Franchement, tout ça en échange d'un trou, c’est une belle affaire ! », renchérit un deuxième. La décision fut prise. Le maire lui-même n’était pas opposé à cette offre. L'arriviste tint toutes ses promesses. Il fit dresser un sanctuaire flambant neuf ainsi qu'une salle communale attenante. Et comme convenu, bien plus près du village que le précédent édifice. Au moment où ce nouveau lieu accueillit les danses du festival d'automne, la petite entreprise chargée de remplir le trou fut créée. Une pancarte au nom de la société fut accrochée sur la porte d’un minuscule local. Par ses nombreux amis et contacts, l'homme d'affaires fit répandre la nou- velle dans toute la ville. On cria haut et fort qu’il existait un trou incroyablement profond, évalué par les scientifiques à plus de cinq mille mètres. Bref, un endroit idéal pour y déverser tous les déchets toxiques et dangereux. Le gouvernement donna son accord et de nombreuses centrales nucléaires s’empressèrent de signer des contrats. Les villageois devinrent anxieux, mais on leur expliqua qu’il n’y aurait aucune conséquence pour leurs terres avant plu- sieurs milliers d’années. Et surtout que les bénéfices générés par l’entreprise se- raient en partie reversés au village. Ils s’en allèrent, rassurés et satisfaits. Quelques mois plus tard, une magnifique route reliait le village à la ville. Des camions affluèrent par cette route, chargés de nombreux tonneaux en plomb. On ouvrait ensuite les tonneaux au-dessus du trou béant et on y déversait des tonnes de déchets radioactifs. Le ministère des affaires étrangères, ainsi que l’agence de l’armée d’auto-défense, en profitèrent également pour se débarrasser de cartons entiers contenant pléthores de documents secrets, compromettants ou devenus inutiles. Les fonctionnaires présents parlaient de golf avec le directeur de la dé- chetterie, tandis que les employés chargés de faire disparaître tous ces documents discutaient innocemment de pachinko. Malgré cela, le trou n'avait absolument pas l’air de se remplir. On supposa qu’il devait être sacrément profond, ou bien qu’une large cuve s’étendait en son fond. L’entreprise devint de plus en plus pros- père et offrit désormais la possibilité de jeter d’autres objets. On vit alors les facul- tés de médecine jeter les carcasses d’animaux morts après des expériences sur des maladies hautement contagieuses. On vit aussi parfois des collectivités jeter les cadavres des clochards décédés et dont on ne savait que faire.
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