©Mio Nukaga 2019 © 2019 SORAAO PROJECT / KADOKAWA CORPORATION

Novel SORA NO AOSA O SHIRUHITO YO ©Mio Nukaga 2019 ©SORAAO PROJECT 2019 First published in Japan in 2019 by KADOKAWA CORPORATION, Tokyo. French translation rights arranged with KADOKAWA CORPORATION, Tokyo through TUTTLE-MORI AGENCY, INC., Tokyo. © 2022 Groupe Delcourt pour la présente édition. Dépôt légal : août 2022. Première édition. ISBN : 978-2-413-04575-5 Traduction : Essia Mokdad Mise en pages : Nord Compo Imprimé en Italie en juillet 2022 par Lego print Groupe Delcourt 8 rue Léon Jouhaux, 75010 Paris

Auteur : Mio Nukaga Œuvre originale : CHO HEIWA BUSTERS

Prologue Selon les paroles de la chanson Gandhara… « Gandhara », c’est le nom de cet endroit où tous les rêves se réalisent. Un endroit que tout le monde rêve d’atteindre, mais beaucoup trop loin. Et moi, je le cherche. Cet endroit où les rêves deviennent réalité…

Chapitre 1 Partie 1 — Tokyo. La salle d’orientation était silencieuse contrairement au couloir qui, après les cours, était animé par les rires et les discussions futiles des élèves… Pourtant, ici, tout était calme. Ma voix était comme absorbée par le plafond, le sol et ces étagères pleines de documents. — J’irai à Tokyo. Comme je m’y attendais, le professeur fixa mon tableau d’orientation professionnelle d’un air légèrement interrogateur. Les verres de ses lunettes reflétaient la lumière blanche de la pièce. — Aoi… J’ai bien compris où tu veux aller. Mais je te parle de ton projet professionnel. Tu comptes chercher du travail là-bas ? — Je vais chercher un job et percer dans la musique avec mon groupe. 9

Un coude sur la table, je pesais soigneusement chacun de mes mots. Cette fois-ci, le professeur ne cacha pas son mécontentement. — Un groupe de musique ? Avec qui ? — Il n’y a que moi pour l’instant. Il ne m’a pas sermonnée et n’a pas non plus poussé de soupir. C’était peut-être mieux ainsi. La tête entre les mains pour contenir son visage déconcerté, il me posa encore quelques questions. Le ton qu’il prenait laissait sous-entendre qu’il brûlait d’envie de me dire que j’étais seulement en deuxième année de lycée, et qu’il fallait que je prenne encore le temps de bien choisir. Je fixais distraitement les polycopiés qui dépassaient des étagères, derrière lui. Finalement, le professeur prit son stylo et griffonna sur ma fiche d’orientation : « recherche d’emploi ». Le bruit sec qui émana du papier me fit frissonner. — Suivant ! Je me relevai et pris mon sac ainsi que l’étui de ma basse. — Chika, entre donc ! La porte s’ouvrit et Chika Otaki, une de mes camarades de classe, entra dans la salle. Elle jeta un coup d’œil vers moi en tournicotant du bout des doigts ses cheveux qui me semblaient un peu trop clairs pour être de couleur naturelle. Nos regards se croisèrent. Sans dire un mot, j’ajustai ma basse sur mes épaules avant de me diriger vers la porte. Je sortis de la salle d’orientation en silence, d’un pas rapide. — Oh… Des mauvaises ondes… J’étais persuadée d’avoir entendu ces mots, mais je n’eus pas la force de me retourner pour vérifier d’où ils 10

venaient. Juste avant que la porte ne se referme derrière moi, j’entendis Chika dire au professeur : — Moi, je serai femme au foyer ! Sa voix avait le goût d’une boisson gazeuse trop sucrée. Le genre qui vous colle aux dents. — Même si je n’ai pas encore trouvé de mari… Le professeur devait sûrement faire la même tête qu’au moment où je lui avais parlé de mon projet de percer dans la musique. J’aurais aimé qu’il ne nous mette pas dans le même panier, mais c’était sûrement peine perdue. Ensuite, comme l’on pourrait s’y attendre, il écrirait « recherche d’emploi » sur la fiche professionnelle de Chika. Sans adresser la parole à qui que ce soit, je changeai de chaussures dans l’entrée du bâtiment. Les cours étaient terminés. On pouvait entendre les cris provenant du terrain du club de sport, la répétition du club de musique de chambre et les voix de la chorale. Dans l’étagère à chaussures, on trouvait de tout : des chaussures multicolores, des talons… Tout le monde semblait heureux. « Tout le monde se fiche de ce que je ressens… » pensai-je. Juste au moment où je sortais du bâtiment principal du lycée, un Jimny beige entra dans la cour par le portail. Ma grande sœur, Akane, assise à la place du conducteur, me fit un signe de la main. — Tu dois être fatiguée après cet entretien d’orientation ! Akane ouvrit la porte de la voiture et me sourit en remettant ses cheveux en arrière. C’était peut-être dû aux lunettes rondes qu’elle portait, mais elle avait toujours le regard tendre et doux. Rien à voir avec la monture 11

austère que portait mon professeur un peu plus tôt. Pendant un instant, je me remémorai l’expression trop sérieuse de son visage. Sans un mot, je m’installai à la place du passager avant. — On est très occupés à la mairie en cette période de fin d’année… Je ne suis pas sûre de pouvoir venir te chercher le mois prochain… Voilà ce que me dit ma sœur, alors que je sortais à peine des cours. Je laissai échapper un soupir. « Pfff… » — Mais ça met une heure pour rentrer à pied du lycée à la maison… Akane travaillait à la mairie, au bureau de vie citoyenne. Elle avait 31 ans, était douée en cuisine et savait parfaitement tenir une maison. Elle était aussi célibataire. — Allons, Aoi… C’est une jolie saison ! Tu pourras te balader en admirant les feuilles d’automne ! La voiture s’arrêta au feu. En levant la tête, je vis la couleur rouge des arbres dans les jardins des maisons. Oui, c’était déjà l’automne, alors qu’il n’y avait encore pas si longtemps, le ciel se consacrait aux cumulonimbus. Encore un peu et ma deuxième année de lycée serait terminée. Plus qu’une avant la fin… Le feu passa au vert. La voiture traversa l’agglomération, puis accéléra en direction des montagnes tachetées de rouge, de jaune et de marron. — Je déteste la montagne… Je retirai mes chaussures et hissai mes pieds sur le siège, avant d’enfoncer ma tête entre mes genoux pour fixer froidement le paysage qui se rapprochait. Tous ces arbres aux feuilles jaunies et ces montagnes modestes et 12

tranquilles… Je n’en pouvais plus, et pas simplement parce que l’idée d’aller à l’école à pied me désespérait déjà. — En fin de compte, vivre dans une cuvette, c’est comme être coincé entre quatre murs… Chichibu, la petite ville que j’habitais, était entourée de montagnes. L’été y était peut-être moins humide et plus facile à vivre que pour les autres villes, mais restait chaud. Quant à l’hiver, il y était très difficile. Devant, derrière, à droite et à gauche, des montagnes… Des montagnes aux couleurs de l’automne qui défilaient, sans jamais finir. On ne pouvait aller nulle part sans avoir à les franchir. — C’est comme si on était enfermées dans une prison immense. — On y est ! Le discours de l’adolescente en crise ! Akane éclata de rire. Je gonflai les joues, vexée, ce qui n’empêcha pas ma sœur de continuer de glousser. — Moque-toi si tu veux… De toute façon, moi, je vais partir d’ici. Je tournai la tête en direction de la fenêtre. La voiture venait d’aborder le pont Sakura qui traverse le fleuve Arakawa. Ce fleuve s’écoulait à travers la ville du nord au sud et poursuivait sa route jusque dans la baie de Tokyo. Nous vivions là, coincées dans cette prison… J’avais beau savoir que cet endroit était relié à Tokyo et au monde extérieur, je ne pouvais pas en sortir. Alors je contemplais avec envie le fleuve Arakawa qui filait. Akane tourna la tête vers moi. Sur son visage qui se reflétait dans la vitre, je vis qu’elle plissait les yeux et semblait vouloir dire quelque chose. Je fis comme si je 13

ne l’avais pas vue et repliai mes bras pour maintenir mes genoux ensemble. Nous nous dirigions vers notre maison par les routes de montagne quand, soudain, Akane arrêta la voiture. — Ah ? Une camionnette s’était arrêtée au beau milieu d’une pente, non loin d’une maison. Des femmes au visage familier chargeaient la remorque de la camionnette. Akane ouvrit la fenêtre et lança un « bonjour ! » dans leur direction. L’instant suivant, les femmes s’exclamèrent en nous souriant : — Oh, bonjour ! — Que faites-vous donc ? — Masamichi a invité trop de monde pour la réunion de ce soir ! Il manque des coussins et des tables, alors Mme Yamaguchi nous en prête ! En entendant les mots de cette femme, les bras chargés de coussins de sol, Akane descendit aussitôt de la voiture. — Laissez-moi vous aider. Aoi, viens ! Akane me fit un signe de la main. Je marmonnai un « mmm… » avant de remettre mes chaussures. Alors, comme on me l’avait demandé, j’allai chercher quelques coussins au salon de la maison qui se trouvait à proximité. En les soulevant, une odeur désagréable me chatouilla les narines. Sûrement un mélange de poussière et de moisissure. Les réunions de la ville avaient toujours lieu dans la maison communale. Je me demandais de quoi ils allaient bien pouvoir parler pour qu’il y ait autant de monde… — Désolée ! Vous deviez être en train de rentrer… 14

Alors qu’elle mettait une table repliée dans le coffre de la camionnette, Akane semblait prendre plaisir à discuter avec l’une de ces femmes. — Non, ce n’est rien ! Après tout, je participe aussi à la réunion. — Au fait ! Tu veux des nashis ? — Oh ! Avec grand plaisir ! Je me souvins qu’il y aurait aussi sûrement des nashis pour le dessert de la réunion, ce soir-là. L’une des femmes lança dans ma direction : — Tu as une grande sœur formidable ! Vraiment ! Une grande sœur formidable ! insista-t-elle. Les bras chargés de coussins, elle regardait Akane avec un sourire attendrissant. Elle plissait les yeux en la regardant, comme si elle fixait sa propre fille. — Tu devrais lui être reconnaissante, Aoi. Elle esquissa un sourire dans ma direction et partit. Elle n’avait certainement pas de mauvaises intentions, et pourtant, ses mots me mirent mal à l’aise. Je savais mieux que quiconque qu’Akane était une bonne grande sœur. Depuis que nos parents étaient décédés dans un accident de voiture, elle avait toujours été là pour s’occuper de moi. J’étais encore petite et Akane n’était qu’au lycée. Pourtant, elle me faisait à manger tous les jours. C’était aussi elle qui, comme ce jour-là, me conduisait et me récupérait à l’école. Elle s’inquiétait de me voir persister à dire que j’irais à Tokyo après le lycée. Elle faisait tout ce qu’un père et une mère devaient faire. J’entendis le rire d’Akane au loin. Elle semblait avoir une conversation très amusante avec les voisines alors qu’elles terminaient de charger la camionnette. Je le savais bien. J’avais 15

conscience de devoir lui être reconnaissante. Je comprenais même tous ces gens autour de moi qui venaient me le faire remarquer. J’avais beau avoir conscience de tout cela, à chaque fois que j’entendais ce genre de phrases, je ne pouvais pas m’empêcher de vouloir fuir… très loin. C’était un sentiment indescriptible. Grâce aux efforts de chacun pour rassembler tables et coussins, la salle de réunion était enfin prête. C’est dans l’une des grandes salles traditionnelles de la maison communale que se rassemblèrent alors plus de cinquante personnes. Depuis le couloir, on pouvait entendre résonner des discussions animées. Il y avait beaucoup plus de monde que d’ordinaire. J’étais sur le point d’entrer dans la salle, chargée d’un plateau de bols de thé bien chaud, quand Akane me le prit des mains pour les distribuer. Elle échangeait systématiquement quelques mots avec les personnes à qui elle en donnait. On pouvait voir ses épaules se secouer au rythme de son rire. Elle s’impliquait beaucoup et trouvait toujours quelque chose à redire en réaction aux vieilles rumeurs qui circulaient. Sur le grand tableau blanc, au fond de la salle, il était écrit en gros : « Festival de musique de Chichibu – Assemblée générale numéro 1 ». C’était donc là la raison de tout ce monde réuni. — J’espérais que le stand de pommes de terre au miso propose plus de parfums ! En ajoutant du yuzu ou des épices, par exemple ! Cette voix se fit particulièrement entendre dans le brouhaha. Assis à côté du tableau, et tenant compagnie à plusieurs hommes plus âgés que lui, Masamichi Nakamura tenait un discours enflammé. Comme Akane, 16

il avait 31 ans et travaillait à la mairie, à l’office de tourisme. C’était un de ses anciens camarades de lycée. Il était divorcé. Quelqu’un lui dit alors : — Mais, ce n’est pas sûr que cela ramène plus de monde… Masamichi, qui portait fièrement la veste de la mairie de Chichibu, répondit d’une grosse voix : — Tu es si pessimiste ! Les autres villes nous piquent assez de touristes comme ça ! À partir de maintenant, il faut nous imposer ! Sur ces mots, il se leva et brandit le poing en l’air, provoquant naturellement l’enjouement du reste de la salle. Tous les visages étaient à présent tournés vers lui et l’affiche qu’il montrait. L’homme, assis juste à côté, répondit presque en chantonnant : — Oui ! C’est vrai qu’il faut surfer sur la vague… Et puis, Masamichi nous a trouvé des fonds ! On entendit alors des « c’est vrai, ça ! » exaltés de la foule autour de lui. C’était un des points forts de Masamichi. Il n’avait jamais été très doué pour faire bouger ou pour diriger les autres, mais quand il décidait de faire quelque chose, il arrivait toujours à transmettre sa motivation. Akane le regardait, un sourire aux lèvres en continuant de distribuer le thé. — Exactement ! Il paraît qu’il s’est bien donné… On en parle beaucoup à la mairie ! dit-elle alors en frottant son index et son majeur contre son pouce pour désigner l’argent des fonds. Masamichi, surpris par le geste d’Akane, s’exclama aussitôt : — Arrête avec ces rumeurs ! 17

Dans le brouhaha de la foule, des « ah… ce ne sont que des rumeurs… » ou encore des « mais tout le monde le dit ! » résonnèrent. Masamichi renchérit de plus belle, affolé : — Ce n’est pas ça ! Je quittai la salle, en silence. Le chauffage était éteint. Pourtant, la pièce me paraissait étouffante. Je ne m’y sentais pas très bien. Sur le chemin de la cuisine, j’entendais déjà le bruit de la bouilloire sur le feu. À côté de l’évier, Masatsugu était assis par terre, les yeux rivés sur son téléphone. Sûrement un nouveau jeu… Masatsugu Nakamura était le fils de Masamichi. Il n’était qu’en cinquième année de primaire, et pourtant, il était déjà le portrait craché de son père. D’ici, on entendait encore les voix s’élever de la salle de réunion. — Il ne s’agit pas de faire venir des chanteurs et des groupes de l’extérieur, mais au contraire, de s’intéresser aux habitants du coin… Il semblait que ce fameux festival de musique allait prendre plus d’ampleur que prévu. Certains disaient même qu’une célébrité ayant participé à l’émission de variétés Kohaku viendrait et aurait composé, pour l’occasion, une chanson sur cette ville. Des voix de la foule s’élevèrent : « Tu as déjà fait du repérage ? », « On n’a plus beaucoup de temps… » Il n’était donc pas impossible qu’en effet, tout cela ait coûté pas mal d’argent. — Tu ne veux pas participer, Aoi ? Je venais d’éteindre le feu de la gazinière quand Masatsugu me posa cette question, sans quitter son jeu des yeux. Ses doigts bougeaient sans relâche de gauche à droite sur son écran. 18

— Pour leur plan de revitalisation de la ville ? Ce serait gâcher ma musique… J’avais répondu en versant l’eau bouillante dans un thermos. Je me remémorai un instant la chaleur insupportable de l’intérieur de la salle de réunion. — Ce ne serait pas pour apprécier ma musique… Mais uniquement pour la subir ! Il me dit alors d’un ton neutre : — Si tu penses une seconde que tu viens de dire un truc cool, sache que tu te trompes. Je réagis à peine à la remarque de Masatsugu, toujours absorbé par son téléphone, et reposai la bouilloire sur la gazinière. Le bruit du métal résonna dans la cuisine plus fort que je ne l’aurais pensé. Je sentais la colère monter en moi de plus en plus. D’abord, la remarque de mon professeur, celle de Chika sur mes mauvaises ondes, celles des voisines sur ma sœur, et maintenant ça… C’en était trop. Je me pinçai les lèvres et, pour me venger, je m’approchai de Masatsugu pour lui compresser la tête entre mes mains et presser sur ses tempes. Il se débattit en gémissant : « Aïe aïe aïe ! » Malgré ses cris, on continuait de percevoir la voix de Masamichi provenant de la grande salle : — Quoi qu’il en soit, cette ville va renaître par la musique ! Médisante, je pensai alors au fond de moi : « Si tu veux qu’elle renaisse, occupe-t’en tout seul ! » Il était dix-neuf heures passées, et pourtant, la salle de réunion semblait toujours aussi animée. Elle avait à présent plus un air de banquet festif que de réunion formelle. Dans l’entrée où trônait une montagne de chaussures, je mis les 19

miennes et sortis de la salle, accompagnée de Masatsugu. Derrière mon épaule, j’entendis la voix de Masamichi : — Aoi ! Tsugu ! Je m’arrêtai, me retournai et vis Masamichi passer la tête par la porte d’entrée. Il enfila rapidement ses chaussures pour sortir nous rejoindre. En se grattant le ventre, l’air embarrassé, il demanda alors : — Ah… Vous allez répéter au vieux temple aujourd’hui aussi ? — Oui. — Finissez pour neuf heures maximum, d’accord ? Ta basse résonne bizarrement, c’est bien trop sinistre… Il prononça ces mots grossièrement en jetant un regard à l’étui que je portais sur le dos. Pensant qu’il aurait été encore plus agaçant de tenter de rétorquer quoi que ce soit, je tournai les talons et poursuivis ma route. Je fis un pas, puis deux, quand Masamichi me lança : — Nous avons une salle insonorisée ! — Pardon ? Je me retournai à nouveau vers lui. Cette fois-ci, il se grattait l’arrière de la tête. Sa bouche était déformée et malgré le peu de lumière, on pouvait percevoir qu’il rougissait légèrement. Puis, il balança comme on jette une bouteille à la mer : — Tu ne voudrais pas d’un grand frère ? Mais je n’étais pas bête. Je voyais très bien où il voulait en venir. Je n’étais plus une enfant. Il voulait épouser Akane. Pourtant, tout ce que je trouvai à lui répondre fut : — Quoi ? 20

Là, Masatsugu reprit Masamichi, de telle sorte qu’il devint, l’espace d’un instant, difficile de distinguer lequel des deux avait le rôle du père. — Papa, tu n’es pas très subtil, là… Je soupirai. Je n’étais pas comme tous ces hommes de la réunion. Je ne me laisserai jamais influencer par les mots de Masamichi. Je rétorquai alors : — Hors de question que je donne ma sœur à un homme divorcé. Agacé par la provocation de mes mots, Masamichi, frustré, s’exclama : — J’ai été victime de tromperie ! Je suis divorcé, certes, mais honnête ! — Je m’en fiche ! Comment ça, « divorcé, mais honnête » ? Et puis, était-ce le genre de chose à dire devant son propre fils ? Je jetai un coup d’œil derrière moi, en direction de Masatsugu qui semblait décontenancé. Nous continuâmes d’avancer quand Masamichi nous arrêta encore : — Ah ! Au fait, Aoi ! Je ne pris, cette fois-ci, pas la peine de m’arrêter et répondis juste un « mmm ? ». Pourtant, mes pieds s’immobilisèrent automatiquement lorsque j’entendis le nom qui sortit ensuite de la bouche de Masamichi : — Tu te souviens de Shinno ? En entendant ce nom nostalgique, je sentis mes mollets se raidir avant que tout le reste de mon corps ne se mette aussi en tension. Je répondis, toujours sans me retourner. En réalité, cette fois-ci, je n’aurais pas pu me retourner même si je l’avais voulu. — Ouais… Plus ou moins. Pourquoi ? 21

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