Violence & Peace - Actualité manga

Critique du volume manga

Publiée le Jeudi, 11 Juin 2020

Le Lézard Noir a beau s'être trouvé, depuis quelques années, des auteurs modernes phares comme Minetarô Mochizuki, Keigo Shinzo ou Akiko Higashimura, l'éditeur poitevin n'oublie aucune son goût pour défricher des auteurs devenus moins renommés de nos jours, mais qui ont su développer au fil de leur carrière un univers "underground" très riche et personnel, nourrir de multiples influences. On se souvient par exemple de l'excellent Sex & Fury de l'artiste polyvalent (manga, musicien, tatoueur...) Bonten Tarô paru en 2014, et il y a désormais Violence & Peace, une anthologie d'histoires courtes qui propose, dans les grandes lignes, de retracer la richesse un peu retombée dans l'oublie (hormis auprès d'une niche de fans) de Shinobu Kaze, artiste riche de plus de 40 ans de carrière.

On peut dire de Shinobu Kaze que son parcours sort quelque peu des sentiers battus. Né en 1952, il démarre dans le monde du mangaka dès la fin de l'adolescent en devenant assistant pour Gô Nagai, le créateur de Devilman, Goldorak, Cutie Honey et de bien d'autres succès. Des premières expériences qui le forgent dans le registre du gag manga, mais qu'il finit vite par abandonner: influencé par des artistes comme le français Philippe Druillet et la revue Métal Hurlant, il peaufine un style bien différent et semble s'épanouir moins au Japon qu'aux Etats-Unis, où il participe à divers projets SF, devenant alors le premier auteur japonais à trouver une place durable dans le milieu de la BD américaine, où il a d'ailleurs toujours un certain nombre de fans. Multipliant ainsi les expériences, il se crée un univers toujours plus fou visuellement, avant de retourner depuis la fin des années 90 vers Dynamic Pro, la société de Go Nagai, où il a notamment participé à des spin-off autour de Devilman ou de Kôtetsu Jeeg.

En un peu moins de 400 pages, et au travers d'une quinzaine d'histoires d'époques différentes et conçues pour plusieurs magazines, avec même quelques récits n'ayant jamais été publiées au Japon, cette anthologie propose donc un tour d'horizon de 40 ans de la carrière de Kaze, de 1977 à 1997, pas forcément par ordre chronologique, et avec des périodes creuses (par exemple, il n'y a rien datant d'entre 1987 et 1997). Inutile de s'amuser à résumer chacun des récits: c'est limite impossible pour certains chapitres tant ça part loin dans le trip, tandis que dans certaines autres histoires le scénario n'est presque qu'un prétexte pour l'explosion graphique.

Et de l'explosion graphique, il y en a à chaque chapitre, y compris dans la dernière histoire avec son humour scato et provocateur publiée initialement chez Dynamic Pro. Ce qui est vraiment passionnant ici, c'est de voir toutes les influences qui se sont mêlées au fil des époques en Kazé (le période Dynamic, Druillet et Métal Hurlant, la SF américaine, le psychédélisme...), et la manière qu'il a de les condenser de façon personnelle dans des récits qui sont souvent à la croisée de ces nombreuses influences. Cela donne des récits hybrides, volontiers WTF à plus d'une reprise, et qui permettent surtout derrière une inventivité visuelle de chaque instant, où l'artiste crée librement en offrant des compositions folles et en étant trèèèèès rarement académiques dans ses découpages de cases. Mais en toile de fond, on déniche bien sûr des thématiques assez régulières (comme l'écologie), ou le chaos), et surtout un certain goût pour la dualité entre deux idées opposées, à l'image de la paix et de la violence évoquées par le titre.

Pour tout lecteur curieux et avide d'expériences de lecture ne ressemblant à aucune autre, cette anthologie est donc une aubaine. Evidemment pas facile d'accès, mais permettant de découvrir en France un artiste plutôt culte dans la sphère manga underground. D'autant que la lecture est portée par une longue postface du traducteur Léopold Dahan qui contextualise très bien le tout, et que l'édition française s'avère très bonne avec sa couverture cartonnée typique des titres plus "patrimoniaux" de l'éditeur, son papier bien épais et son excellente impression.
   

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16 20
Note de la rédaction