Nouvelle interview de Christophe Cointault (Tinta Run, Wind Fighters)- Actus manga
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Manga Nouvelle interview de Christophe Cointault (Tinta Run, Wind Fighters)

Samedi, 21 Janvier 2023 à 17h00 - Source :Rubrique interviews

Voilà près de cinq ans que nous avons fait la connaissance de Christophe Cointault, auteur de Tinta Run et Wind Fighters, dont les premiers pas de mangaka professionnel remontent à 2018, aux éditions Glénat. Après un fort sympathique Tinta Run -qui n'a malheureusement pas connu le succès escompté, d'où sa fin rapide-, l'énergique Wind Fighters a connu un sort similaire, son 4e et opus étant paru cette semaine.


Le parcours d'auteur de Christophe Cointault est complexe, l'artiste travaillant aujourd'hui sur un tout nouveau manga, en attente d'un éditeur. À l'occasion du Festival International de la BD d'Angoulême qui s'est tenu en mars 2022, nous avions pu nous entretenir, de nouveau, avec le mangaka. Entre chamboulements personnels et professionnels, il s'est livré à nous lors d'une riche interview.


 


Notre première entrevue remonte à l'automne 2018, peu de temps avant l'annonce de la fin de Tinta Run. Depuis, la série s'est conclue, et tu as lancé Wind Fighters qui s'achève aussi avec son quatrième opus. Entre-temps, la crise sanitaire n'a rien arrangé... Quel bilan tirez-vous de ces dernières années ?


Christophe Cointault : Sachant que je travaille déjà sur un nouveau projet, c'est une énergie positive que j'ai cultivée, ces derniers temps. Il s'est passé beaucoup de choses sur les plans personnels et collectifs, notamment par la crise du Covid. À partir du moment où j'évolue et que je tends vers un nouveau projet, le bilan ne peut qu'être positif.


Malgré la fin de Tinta Run plus rapide qu'on ne pouvait l'imaginer, vous avez accouché d'un tome 4 qu'on juge très bon, au sein de la Rédaction. En tant qu'auteur, comment appréhende-t-on une telle conclusion ?


Christophe Cointault : Il faut être souple dans son écriture. Mon secret, c'est de prévoir deux cas de figure, le premier étant celui où la série continue, et l'arrêt prématuré de la parution pour le second. Je suis du genre à voir le verre à moitié plein. Quand on me dit que la série doit se boucler au tome suivant, je vois plutôt le plaisir de dessiner un final en feu d'artifice avec le dernier volume. La fin de Tinta Run était plutôt calme et intimiste, mais celle de Wind Fighters sera bien plus remplie.


J'aime finir mes histoires. Celles de mes deux mangas sont certes arrivées plus tôt que prévu, mais on atteint toujours un moment spécial en termes d'écriture et de dessin. J'essaie de savourer au jour le jour. Il n'y a aucun regret, malgré une toute petite pointe de « trop tôt ». Tout ce que je n'ai pas pu faire dans Wind Fighters, je le garde pour le faire murir et le proposer dans une future série. L'écriture n'est jamais une matière figée. Si, en tant qu'auteur, on n'est pas toujours projeté vers quelque chose d'enthousiasmant, ça ne sert à rien de faire ce métier.


 

Après Tinta Run, il y donc eut Wind Fighters, une série proposant un vrai souffle de l'aventure par un tout nouvel univers. Pouvez-vous revenir sur les balbutiements du projet ?


Christophe Cointault : J'ai commencé en établissant un tableau avec pour colonne de gauche Tinta Run, et en colonne de droite le nouveau projet. Je n'avais pas encore de titre. Avec mon éditeur, nous avons listé ce qui n'avait pas collé dans mon premier manga, comme le sens de lecture français, un titre qu'on ne comprend pas immédiatement, un héros qui n'est pas vraiment gentil au début... Je pense avoir été trop iconoclaste sur Tinta Run, ce qui est peut-être souvent le cas sur une première série sur laquelle on veut casser les codes et faire les choses à sa manière.


Le tableau du nouveau manga indiquait donc les éléments à corriger, comme le sens de lecture japonais ou un meilleur marquage des héros et des ennemis. C'était un tableau très simple, et donc mon point de départ. J'ai ensuite cherché un nouveau concept d'énergie, comme la tinta dans Tinta Run. J'ai réfléchi à la figure de l'aventurier que je voulais mettre en avant, ce qui m'a pris beaucoup de temps. De l'aventure à l'idée du vent de liberté, j'ai pensé au mot « wind » qui sonnait bien. Tout est venu simplement à partir de ces idées, l'opposition entre les aventuriers et le régime, et deux enfants extraordinaires qui se greffent à l'histoire. Tout découle de ça.


Le duo frère-sœur est aussi important pour moi. À la base, il ne devait y avoir qu'une héroïne, Hope. Mais mon éditeur trouvait important qu'il y ait aussi un jeune garçon dynamique, comme le titre est un shônen. Helio ne devait donc pas exister, initialement. C'est parce qu'il fallait un garçon que j'ai pensé au duo frère-soéur, une idée qui m'a beaucoup plu.


On peut donc imaginer que l'intrigue aurait été un poil différente s'il n'y avait eu que Hope...


Christophe Cointault : Ça aurait été évidemment différent. Au début, on devait brouiller les pistes sur "qui est fort et qui est faible". Helio est le frère surprotecteur, et Hope la sœur fragile. C'est très caricatural, avec la représentation très classique du garçon par le Soleil et de la fille par la Lune. À partir de là, j'ai pu m'amuser et partir sur des contrepieds intéressants.


 

Pour vous citer, Wind Fighter « n'a pas été fait dans la sérénité, et n'a jamais vraiment pu exister ». On suppose que vous faites référence à la crise sanitaire. Dans le manga de création, est-ce que ce contact récurrent avec le lectorat est important, pour permettre à une œuvre d'exister ? D'autant plus qu'une part des amateurs de manga boude encore les titres français...


Christophe Cointault : Je ne suis pas sûr que ce soit indispensable d'être en dédicace. Mais c'est important de pouvoir présenter et soutenir son œuvre en public. Wind Fighters est sorti à une période ultra morose, durant laquelle personne ne savait vraiment ce qui allait se passer le lendemain. Déjà qu'un manga français est plus fragile qu'un manga japonais, il faut davantage de conditions pour que le projet s'impose, marteler sur les réseaux sociaux afin de faire monter la hype.


Quand je parlais de manque de sérénité, c'est que tout est allé très vite. C'était presque une nécessité de gagner de l'argent, en signant un nouveau contrat. Et autour de moi, il n'y avait pas forcément les bonnes ondes. Je n'avais pas l'apaisement que je ressens aujourd'hui pour démarrer un autre projet, qui sera dans une tonalité différente. J'avais beau être très heureux en créant Wind Fighters et ses personnages, les circonstances en ont décidé autrement par rapport à la portée de la série. Mais ce n'est pas grave. La série existe, et ce sera quatre tomes bien remplis, qui m'auront apporté beaucoup de choses.


Avec le tome 3 de Wind Fighters, vous avez évolué sur deux optiques. D'abord sur le plan graphique, puisque vous êtes passé au dessin numérique. Comment s'est passée cette transition artistique ? Et pourquoi avoir abandonné le dessin manuel ?


Christophe Cointault : Encore une fois, c'est une question de parcours personnel qui fut marqué par de nouveaux chamboulements. Ça a été un déclic, c'est comme ça que je fonctionne. Au départ, j'étais totalement contre le dessin numérique, car je pensais ne pas y trouver mon compte. Mais les événements de la vie ont fait que j'ai voulu faire ma petite révolution, et donc tenter le numérique. C'est comme s'il fallait que je change tout, que je devais évoluer par rapport à ma vie d'avant. Il me fallait une coupure nette. J'ai aussi craqué ma tirelire afin d'avoir du bon matériel, et ne pas être déçu. C'était un investissement. Le matériel de dessin coûte très cher, mais le risque devait être pris. C'est grâce à ces bons outils que j'ai pu immédiatement retrouver le confort du dessin. J'étais comme un gosse qui trouvait un nouveau jouet, lui ouvrant de nouvelles perspectives. À partir du moment où on a de nouvelles possibilités, ça pousse la créativité, et ça permet de tenter des folies.


J'adore apprendre. Dans le domaine artistique, il faut tout tester. Je voyais le dessin numérique de loin, en pensant que ça n'était pas fait pour moi, alors que c'était justement ce qu'il me fallait. Ce n'est pas moi qui me suis adapté à la tablette, mais l'inverse. Si bien que beaucoup de lecteurs n'ont pas vu la douce transition qui s'établit entre deux chapitres. À mon avis, cette transition peut être évidente quand on observe les premières pages du premier tome de Wind Fighters, et les dernières pages du troisième volume.


À noter que le numérique n'a pas forcément amené de gain de temps. C'est surtout un gain qualitatif.


En festival, la question du passage au numérique revient souvent, comme si passer au dessin digital était une nécessité. Mais non, il faut que les artistes qui préfèrent le manuel restent au manuel, et que ceux qui se sentent à l'aise avec le dessin numérique passent au numérique. Certains aiment aussi mélanger les deux, comme Reno Lemaire qui travaille au manuel et au numérique. Il faut que ce soit un choix logique. Si c'est forcé, le dessin sera froid. À noter que j'ai gardé le dessin traditionnel pour tout ce qui est préparatoire : Croquins, storyboard et écriture. Mais pour les planches définitives, c'est full numérique, et j'adore ! (rires)



L'autre changement qui survient dans le tome trois de Wind Fighters, c'est dans le ton. Si les premiers volumes ont une certaine forme de pureté, les choses changent lors de la bataille de Tanrock. Elle pousse les personnages dans leurs retranchements, ce qui fait ressurgir leurs facettes les plus sombres. Ils en viennent à se confronter non seulement par leurs poings, mais aussi par leurs morales. Quel a été le déclic pour ce changement d'ambiance ?


Christophe Cointault : C'était important d'avoir un bon gros méchant, le major Brickmack. Le changement de ton vient beaucoup de lui. Parce qu'il est tout à fait défendable, on s'en rend compte quand on découvre son histoire, son passé. Je ne suis pas sûr d'avoir déjà pu créer un personnage tel que lui, auparavant.


Les autres personnages suivent ce changement d'ambiance apporté par l'ennemi. Y compris pour Toaster, alors que c'est un panda roux mignon. Je voulais aussi lui donner une épaisseur supplémentaire, d'où son apparition au premier plan sur la couverture du tome 3.


Ce qui m'a donné envie de cette évolution du ton ? C'est mes propres changements de vie, mon parcours personnel. J'ai connu un divorce, un déménagement, une garde alternée... Même si c'est de la vie personnelle, j'ai perdu en naïveté et gagné en épaisseur. Ça ne fera qu'aller dans ce sens, de toute façon. La candeur de base du shônen d'aventure n'est plus « suffisante » par rapport à celui que je suis aujourd'hui. Ce changement de ton se poursuivra dans le quatrième volume, mais qui devra nécessairement s'arrêter puisque Wind Fighters n'est pas adapté à l'ambiance que je voudrais développer ensuite. J'ai des lecteurs très jeunes, de parfois 7-8 ans. Quand je crée, je pense toujours aux enfants. C'est avec eux qu'il faut être le plus attentif.


Il est intéressant de noter qu'en même temps que le ton de Tinta Run et Wind Fighters ne semblait plus vous correspondre, d'après vos mots, il s'opère aussi une certaine évolution dans le shônen, au Japon. On pense forcément à Tatsuki Fujimoto avec sa série Chainsaw Man, débridée, ainsi qu'à Dandadan ou au sombre Jujutsu Kaisen. Ce sont des styles plus libérés, qu'on trouvait peut-être moins avant.


Christophe Cointault : C'est vrai que ce ne sont pas des récits calibrés, comme pouvait l'être Naruto, par exemple.


Mais vous avez trouvé le mot juste : Libéré. Le monde change, tout simplement, aussi le carcan de base du shônen devait exploser. Est-ce qu'aujourd'hui, il est crédible de suivre un gamin qui a un rêve et qui sait ce qu'il veut de base ? Tatsuki Fujimoto le dit très bien en interview : Ses personnages n'ont pas forcément de leitmotiv bien établi. Ils ont beaucoup de doutes et de souffrance, il en parle d'ailleurs dans Look Back en évoquant son propre métier.


Il est bon, je trouve, de briser le tabou et d'être honnête. Oui, on peut intégrer des protagonistes avec plus de fragilité, et moins de naïveté. Il suffit de regarder le monde d'aujourd'hui, avec la crise sanitaire et la guerre pas loin de chez nous. On ne peut plus faire des œuvres totalement naïves à base de pouvoirs magiques et de grands méchants à vaincre. Ça m'a pourtant ébloui quand j'étais plus jeune, alors c'était naturel pour moi d'aller sur ce terrain avec Tinta Run et Wind Fighters. Je ne regretterai jamais d'avoir commencé avec ça, et ce sont des styles qui rassurent les éditeurs. Mais le milieu français va évoluer, car l'éditeur aura moins besoin d'être rassuré par des récits classiques. Ils seront libérés de cette contrainte, et permettront à leurs auteurs de proposer des mangas plus personnels. C'est une évolution globale, sur plein de points. En tant que créatif, si on n'est pas à l'écoute du monde, c'est qu'on n'a rien compris. En ne s'adaptant pas à cette évolution, un trop grand écart se crée entre ce qu'on propose, et les attentes du public. Je ne dis pas qu'il faille combler toutes les attentes du lectorat. Mais il sera difficile de dessiner quelque chose qui n'est plus dans son époque. Ce qui n'empêche pas de dessiner ces styles pour soi. Il faut être attentif à l'évolution des choses, et utiliser cette attention pour créer des œuvres intéressantes.


 

Entre la fin de l'interview et sa publication, quelques mois se sont écoulés, et nous en avons appris plus sur la nouvelle série que prépare Christophe Cointault. Prenant pour nom d'auteur Topher, il travaille sur le manga Eightfull, un récit sportif avec pour toile de fond le MMA, un sujet qui le passionne. L'univers se voudra plus réaliste, délaissant l'idée des énergies fantaisistes comme la Tinta ou le Wind.


L'une des thématiques centrales sera « remonter sur le ring après avoir mis le pied à terre ». S'il devait catégoriser cette œuvre, Topher la considèrerait comme du « shônen plus ». L'un des personnages sera inspiré du rôle que joue Brad Pitt dans le film Fight Club, sans le côté vision de l'esprit.


Il s'agira d'un format manga de 200 pages par volume, au sens de lecture japonais, et dessiné au numérique. L'auteur espère pouvoir intégrer des pages couleur à chaque opus. À l'époque de l'interview, seuls des designs de personnages avaient été posés. Aujourd'hui, le titre du manga est confirmé, les personnages bien dessinés, et le dossier éditorial prêt. De notre côté, nous souhaitons une belle vie à Christophe Cointault, ou plutôt Topher, et à son manga Eightfull !



Propos recueillis par Takato. Nos remerciements à Christophe Cointault ainsi qu'à Laetitia Matusik des éditions Glénat, pour l'organisation de la rencontre.

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