En juillet dernier, le lancement récent du très prometteur manga de furyo NINE PEAKS aux éditions Ki-oon a été appuyé par un bel événement, à savoir la venue de l'auteur Tetsuhiro Hirakawa à Japan Expo. Pour l'équipe de Manga-news, fan du genre et du mangaka depuis plusieurs années, il semblait impensable de rater ce beau moment ! Nous avons donc eu le plaisir d'interviewer le maître pour l'occasion, lors d'une rencontre commune avec nos confrères de Manga-Sanctuary dont nous vous proposons aujourd'hui le compte-rendu !
Avec la très bonne première série longue de sa carrière CLOVER (malheureusement abandonnée en France en 2010 suite à la disparition de son éditeur 12 Bis), Tetsuhiro Hirakawa s'est imposé comme un poids lourd d'une nouvelle génération de mangakas estampillés furyo, en ayant même l'opportunité de dessiner certains spin-off du cultissime CROWS.
Lancée au Japon le 2 juin 2022 dans le magazine Shônen Champion d'Akita Shoten (un magazine assez connu pour ses mangas furyo ou apparentés, en ayant aussi vu passer les séries CROWS ZERO, PRISONNIERS RIKU, ANGEL VOICE et bien sûr CLOVER, entre autres), et suivant toujours son cours à l'heure où ces lignes sont écrites, sa dernière série en date NINE PEAKS voit son histoire débuter en 2022 et nous immiscer auprès d'un lycéen de 16 ans au caractère bien trempé: Gaku, dont la réputation de dur à cuire et de bon castagneur attire régulièrement des délinquants qu'il remet à leur place, et qui semble en révolte contre l'ordre établi et en particulier contre son propre père Harumi, un homme rangé, qui lui fait souvent des leçons et qui vivote en tenant son petit restaurant. Gaku dit souvent détester son paternel, et semble avoir vraiment peu d'estime pour lui. Si bien que, quand Harumi décède dans un accident, au-delà du deuil c'est une véritable surprise qui l'attend: à l'enterrement, nombre d'hommes en costume viennent profondément pleurer sa mort, en évoquant le fait qu'il a apporté énormément à la ville, comme une véritable légende. Y aurait-il, alors, toute une facette de Harumi que Gaku ne connaissait pas ? Ce père pour qui il avait peu d'estime aurait-il eu, en réalité, une jeunesse digne du plus grand respect ? Le jeune garçon ne va pas tarder à le découvrir, et d'encore plus près que tout ce qu'il aurait pu imaginer: en cette soirée du 18 avril où il part sur la digue pour une séance de pêche telle que les appréciait son daron (un gimmick décidément récurrent chez Hirakawa, puisque la pêche était déjà présente dans CLOVER), Gaku tombe à l'eau et, en refaisant surface, n'est pas au bout de ses surprises. Sauvé de la noyade par un charismatique adolescent coiffé de cornrow, puis assistant à une baston qu'il remporte haut la main contre des loubards venus lui chercher querelle, notre héros est forcément impressionné, avant d'apprendre une très surprenante vérité: non seulement il vient de faire un bon de 22 ans dans le passé pour arriver en 2000, mais en plus son sauveur n'est autre que son père quand il était plus jeune !
© Tetsuhiro Hirakawa (AKITASHOTEN) 2022
Tetsuhiro Hirakawa, bonjour et merci d'avoir accepté cette interview. Pour commencer, pouvez-vous vous présenter pour le public français ?
Tetsuhiro Hirakawa : J'ai toujours adoré le dessin, si bien que je me suis lancé dans des études d'Art à l'université. J'y ai découvert des camarades qui dessinaient du manga, j'ai trouvé ça très intéressant, et c'est comme ça que j'ai eu envie de devenir mangaka moi-même.
J'ai alors participé à des concours organisés par des éditeurs, et de mémoire c'est au bout du troisième concours que j'ai reçu un prix aux éditions Akita Shoten. C'est comme ça que je me suis lié à cet éditeur et que j'ai débuté avec quelques récits courts, avant de lancer ma première longue série qui fut CLOVER.
Il y en a ensuite eu quelques autres comme HIMAWARI (inédite en France à ce jour, ndlr) et, plus récemment, NINE PEAKS.
Pouvez-vous vous présenter la genèse de NINE PEAKS ?
J'avais, dès le départ, l'idée de faire à nouveau un manga de furyo, mais le problème est que les furyo tels qu'on les voit dans la plupart des mangas n'existent plus aujourd'hui, si bien que ça me semblait difficile d'en mettre en scène dans un cadre contemporain. C'est pour ça que j'ai décidé de faire en sorte que l'histoire se passe autour de l'an 2000, car c'était un peu la dernière période d'existence des furyo dans le Japon réel.
Mais pour ajouter de l'originalité et ne pas juste faire un manga se déroulant dans le passé, j'ai utilisé l'élément du voyage dans le temps, qui m'a été inspiré par le film Retour vers le Futur que j'aime beaucoup.
© Tetsuhiro Hirakawa (AKITASHOTEN) 2022
Et qu'est-ce qui vous a donné l'envie d'ajouter la partie familiale de l'intrigue ?
C'était aussi une dimension présente dans Retour vers le Futur, qui a été une influence pour ce manga. Je me disais que c'était rigolo de voir son propre père quand il était jeune, de devenir pote avec lui...
Ce qui m'intéressait également, c'était de montrer que Harumi jeune était bien différent de ce qu'il est devenu vingt ans plus tard, une fois devenu adulte et père de famille. On pourrait dire, en quelque sorte, que Harumi est un père en mode "faites ce que je dis, pas ce que je fais" (rires).
Du coup, est-ce aussi une manière pour vous de montrer aux adolescents qu’il ne faut pas juger leurs parents par l’image qu’ils donnent ?
(M. Hirakawa s'amuse de cette question)
Oui, c'est vrai qu'il y a un peu de ça ! J'ai moi-même essayé d'imaginer comment pouvaient être mes parents quand ils étaient plus jeunes. Etaient-ils plutôt dans le groupe des boute-en-train ? Dans celui des discrets ? Je me suis souvent posé ces questions, mais j'avoue que je n'ai jamais osé regarder de photos d'eux jeunes ou de chercher plus loin, car ça me faisait un peu peur (rires).
© Tetsuhiro Hirakawa (AKITASHOTEN) 2022
Et serait-ce aussi une façon d’opposer une jeunesse où on est plus facilement rebelle face à un monde adulte où l’on a tendance à rentrer dans le moule ?
C'est vrai que les furyo ont ce côté ardent, et qu'ils pensent moins aux conséquences dans le futur car ils vivent avant tout le présent à fond. C'est cet aspect-là d'eux que j'aime beaucoup dessiner.
On aimerait désormais parler de style. Y a-t-il des difficultés à dessiner un récit qui se tient dans le passé, notamment en termes de véhicules, costumes et mode (comme la tante qui se révèle être une gyaru dans le passé) ? Y a-t-il eu un gros travail de recherche à ce niveau ?
J'ai surtout cherché sur internet comment c'était dans les années 2000. Il existe des sites vraiment très pratiques pour vérifier les modes selon les années.
Personnellement, autour des années 2000 j'étais assistant, et j'avais tellement la tête dans le guidon que je n'avais pas vraiment de lien fort avec tout ce qui était à la mode à l'époque.
Et pour les vêtements, j'essaie de faire des tenues que moi j'aime personnellement, donc ce n'est pas forcément ce qui était tendance à l'époque, surtout pour les habits des personnages masculins. Je fais attention à ce que ce soit des choses que moi je trouve classes, indépendamment de la réalité. Par exemple, pour la façon de porter les uniformes à l'école, il y avait la manière de porter les pantalons tellement bas qu'on voyait une partie des fesses, et je ne trouve pas ça classe donc vous n'en verrez pas dans mon manga (rires).
© Tetsuhiro Hirakawa (AKITASHOTEN) 2022
Un "débat" a animé les fans français de furyo sur les réseaux sociaux récemment : la portée politique du genre. Certains voient dans le furyo un rejet de la société, et par conséquent des oeuvres peut-être anarchistes. De votre côté, pensez-vous que le genre a cette portée engagée ? Qu'il véhicule des messages de contestation de la société ?
Je ne pense pas que ce soit au niveau sociétal, mais plutôt au niveau individuel. Chaque personnage a ses propres règles et essaie de vivre en fonction de ses propres valeurs. A mon avis, c'est surtout ça qui est au coeur des mangas de furyo.
Après, c'est vrai que dans les années 1980-1990, les furyo de la réalité agissaient vraiment violemment contre les figures d'autorité, notamment les professeurs. A l'école, ils saccageaient les classe, cassaient les fenêtres... donc il y avait peut-être chez eux une part un peu anarchiste.
En tout cas, personnellement je ne peux pas dire que j'essaie de faire passer un message sociétal dans mes mangas, mais ça ne veut pas dire que ce n'est pas le cas dans d'autres séries de furyo.
En France le manga de furyo était originellement un genre de niche, mais depuis quelque temps on voit une multiplication de hits internationaux de ce genre comme TOKYO REVENGERS ou bien WIND BREAKER. Pensez-vous que nous arrivons à un nouvel âge d’or du furyo ?
J'espère, personnellement, que le nouveau boom du furyo va persister,mais après je ne peux pas prévoir comment ça va se développer, que ce soit au Japon ou ailleurs. Honnêtement, moi je pensais que c'était un genre qui ne pouvait fonctionner qu'au Japon, alors je suis déjà étonné de voir que ça marche dans d'autres pays.
(M. Takada, responsable éditorial de M. Hirakawa chez Akita Shoten, prend la parole)
M. Takada : C'est vrai que le genre du furyo a des hauts et des bas au fil du temps, mais il conserve toujours une communauté de fans permanente, qui ne disparaît pas.
© Tetsuhiro Hirakawa (AKITASHOTEN) 2022
Votre première série, l'excellent CLOVER, mêlait habilement les codes du furyo à des scènes beaucoup plus axées sur la tranche de vie, qui plus est en nous faisant suivre des racailles de province. Qu'est-ce qui vous plaisait dans cette idée ?
M. Hirakawa : Si on ne dessine que des successions de bastons, au bout d'un moment ça devient fastidieux. Donc pour vraiment donner un aspect humain et réaliste à mes personnages, j'ai mis des scènes de la vie de tous les jours. Et même pour les lecteurs, je pense que ça les fatiguerait de ne lire que des scènes de combat. L'aspect tranche de vie permet de faire des pauses, de relâcher la tension.
M. Takada : En plus, il n'y a pas beaucoup d'auteurs qui font ce genre de scènes de la vie quotidienne des furyo, de façon aussi poussée que M. Hirakawa. Cela donne une certaine identité à ses oeuvres.
M. Hirakawa : Et concernant le cadre provincial, c'est tout simplement parce que je suis originaire de province, et que je représente là d'où je viens.
Vous avez déclaré en conférence que contrairement à CLOVER, votre précédent manga, qui progressait au fil de l'inspiration, NINE PEAKS a plutôt une durée envisagée. Connaissez-vous déjà les grandes pistes de l'entièreté de l'oeuvre ?
J'ai déjà décidé des grandes étapes de l'histoire. Après, concernant la façon d'y arriver, je me laisse une certaine liberté. Je pense que la série totalisera 30 volumes ou un peu plus.
Enfin, avez-vous un dernier mot à adresser au public français ?
M. Hirakawa : J'espère que vous lirez de plus en plus de mangas de furyo. Allez-y, étendez le genre !
M.Takada : On ne pensait vraiment pas que ce genre de manga de baston pouvait avoir un tel succès en France, alors en voyant tous les fan aux séances de dédicaces à Japan Expo on a été très agréablement surpris et heureux.
Interview réalisée par Koiwai et Takato pour Manga-News. Un grand merci à messieurs Hirakawa et Takada, à l’équipe des éditions Ki-oon, à Blackiruah de Manga-Sanctuary, et au staff de Japan Expo.