Glénat répond sur les choix de traduction dans One Piece

Il arrive régulièrement de lire certaines plaintes de lecteurs concernant la traduction française de One Piece proposée par les éditions Glénat, et peut-être que ça a été encore plus le cas suite à certains choix effectués dans le volume 89 du best seller d'Eiichiro Oda.
  
Suite au grand nombre de messages reçus par l'éditeur, celui-ci a choisi de consulter tour à tour les éditeurs et traducteurs de la série, afin d'essayer d'apporter des réponses.
  
Vous pouvez découvrir ci-dessous l'intégralité de ces réponses, que Glénat Manga a publiées sur son site.
  
  
  
Les réponses de Glénat :
  
"Bonjour à toutes et à tous,

Et merci pour l’ensemble de vos commentaires et remarques concernant One Piece, et plus particulièrement le tome 89.

En préambule, rappelons que, même si vous avez totalement le droit de ne pas être d’accord avec nos choix de traduction, les différents collaborateurs de One Piece connaissent parfaitement l’univers et travaillent à proposer une version qui soit la plus fidèle possible. Il est donc injuste d’insulter leur travail.

Néanmoins, traduire en respectant la volonté initiale de l’auteur peut se révéler assez délicat et nous avons conscience que certains choix peuvent surprendre. Nous vous proposons donc ci-après une explication quant à l’emploi de certains termes.
  
* L’absence du mot de l’auteur sur le rabat

Comme pour tous nos titres, nous collaborons étroitement avec les ayants droit pour proposer une version qui satisfasse à la fois les lecteurs et les auteurs. Il nous a été demandé de ne pas faire figurer ce mot de l’auteur, ce que nous avons fait.
  
* Les choix de traduction et d’édition

Avant d’entrer dans le détail des points soulevés, rappelons les règles que nous suivons pour la publication de nos séries en général, et de One Piece en particulier.

Tout d’abord, dans la mesure où One Piece se décline sur de multiples supports (manga, animé, jeux vidéo, etc.), la traduction des noms obéit à une logique d’homogénéité. Il ne s’agit pas de disposer d’une traduction dans le manga, d’une autre dans l’animé, voire d’une troisième dans les jeux vidéo. Les traductions sont donc déterminées et validées avec les différents intervenants officiels autour de la licence, afin de garantir cette homogénéité autour de One Piece.

Ensuite, notre but est de rester fidèle à l’œuvre originale et de respecter la volonté initiale de l’auteur, en la rendant directement compréhensible au lectorat français. Deux langues ne se décalquant pas l’une sur l’autre lors du processus de traduction, cette fidélité s’applique nécessairement au SENS des mots, et non aux mots eux-mêmes. Il ne s’agit donc pas de rendre “cools” des noms de personnages qui ne le sont pas pour les lecteurs japonais. Il ne s’agit pas non plus de conserver les noms japonais tels quels puisqu’ils signifient quelque chose pour les lecteurs nippons. Il s’agit de proposer aux lecteurs francophones une expérience de lecture fluide et divertissante, similaire à celle des lecteurs japonais.

Compte tenu de ces différents éléments, notre ligne est la suivante : nous laissons tels quels les termes étrangers (sauf s’ils sont largement passés dans le langage japonais, auquel cas ils sont considérés comme du japonais et traduits) et traduisons le japonais. Ce faisant, nous respectons la volonté de l'auteur : si un lecteur japonais voit un mot japonais ou un mot anglais qu'il considère comme du japonais (un peu comme nous avec “week-end” qui est quasi considéré comme du français), le lecteur francophone devra logiquement lire un mot francophone dans son tome francophone.

Ce point étant clarifié, abordons dans le détail les différents choix que vous soulevez.

- Dent-de-Chien

En VO, “Katakuri” n'est pas un nom “charismatique” pour un lecteur japonais, il évoque au contraire le mot “katakuriko” qui est une farine (!) qu'on utilise pour faire des gâteaux. Si l’auteur avait voulu que ce personnage soit un modèle de charisme, il ne l’aurait pas montré en train de se gaver de donuts et ne l’aurait pas présenté comme boulimique au point de lui dessiner des points de suture sur les coins de la bouche. Vouloir à tout prix qu’il s’appelle “Katakuri” parce que le nom “Dent-de-chien” ne plaît pas n’est pas faire preuve de fidélité à l’œuvre originale mais revient au contraire à trahir la volonté de l’auteur et à nier cette part d’imperfection qui dérange, un peu à la manière de Flampée qui refuse de voir en cet homme autre chose que le frère idéal. “Katakuri” n’est pas un nom cool en japonais et il n’y a pas de raison qu’il le soit davantage dans notre langue.

Par ailleurs, les noms propres n’ont pas obligatoirement à rester en l’état dans l’ensemble des œuvres traduites. Pour prendre l'exemple de Barbe Blanche, vaut-il mieux l’appeler “Barbe Blanche” et évoquer directement quelque chose au lecteur, ou conserver “Shirohige” qui n'a absolument aucun sens pour un lecteur français ?

À l’inverse, il serait idiot de traduire lorsque l'auteur a voulu donner à son personnage un nom à consonance étrangère du point de vue du lectorat japonais. Pour rester sur le même exemple, il ne nous viendrait évidemment jamais à l'esprit de traduire “Newgate” par “Nouvelle porte” ou quoi que ce soit d'autre.

- Tougato/Whole Cake

Le terme japonais employé ici est un entre-deux, un terme ni complètement anglais ni complètement passé dans le langage courant japonais. Nous avons donc pris soin d’employer deux termes sans les confondre : la première (Tougato) est une île, le second (Whole Cake) est un château.

- Superking Red (au lieu de Sparking Red)

Il s’agit effectivement d’une erreur que nous avons laissé passer lors de la première impression de One Piece 83. Cette erreur a été rectifiée sur les tomes suivants, comme en témoigne la page 198 du tome 86. L’erreur sur le tome 83 sera rectifiée dès la prochaine réimpression.

- Voilà ce qui s’appelle… avoir de grandes ambitions !

Tout d’abord, signalons que le côté “mythique” de la phrase “Tu vois loin dans le futur” est simplement dû à une habitude de lecture. Il s’agit d’une formulation qui a tourné sur les scantrads avant la publication papier et, de ce fait, les lecteurs s’y sont habitués. Si “Tu vois loin dans le futur” est devenu une réplique “mythique” selon les lecteurs, c'est justement parce qu'elle a eu le temps de le devenir, étant donné que notre traduction à nous n'est publiée que bien plus tard. On est forcément plus attaché à une traduction une fois qu'on s'y est habitué, même si elle n'est pas nécessairement correcte…

Ensuite, si la traduction “Tu vois loin dans le futur” est effectivement une traduction littérale, elle laisse sous-entendre un certain nombre d’éléments dont nous ne sommes absolument pas certains à ce stade de l’histoire. Par exemple, elle laisse croire que Dent-de-chien a réellement vu que ce futur arrivera, alors que son pouvoir est de ne voir qu’à quelques secondes d’avance. Ou implique qu’il a deviné que ce futur se produira réellement (alors que, même s’il vient de perdre contre Luffy, cela ne signifie absolument pas qu’il soit persuadé que Luffy deviendra le roi des pirates).

En optant pour “Voilà qui s’appelle avoir de grandes ambitions”, nous voulions signifier “Tu te projettes loin dans le futur”, sans pour autant que Dent-de-chien ne tranche la question.

Par ailleurs, même au Japon, cette phrase interpelle ses lecteurs et le mot “futur” (en japonais) dans la bouche de Dent-de-chien est vu comme une belle acrobatie de la part d'Eiichiro Oda. Sans prétendre à une quelconque exhaustivité, on dénombre au moins cinq significations différentes de cette phrase pour les lecteurs natifs. Et les lecteurs ne comprennent “Dent-de-chien a lu dans le futur lointain de Luffy grâce à son fluide” dans aucune d’elles.

Comme vous pouvez le constater, l’ambiguïté laissée à cette phrase fait qu’il existe de multiples manières de la traduire et qu’une manière n’a pas préséance sur les autres. En tant qu’éditeur, nous avons opté pour une formulation prudente de ces paroles car nous ignorons dans quelle mesure elles réapparaîtront dans les futurs volumes. Et s’il y a bien une chose que nous avons apprise au sujet de One Piece, c’est qu’il vaut mieux ne rien laisser au hasard en considérant que ça n’est pas important.

Nous tâchons à notre mesure de respecter la volonté initiale de l’auteur tout en privilégiant une expérience de lecture qui soit à la fois fluide et divertissante. Nous sommes conscients que cela peut parfois entraîner des surprises de la part de personnes lisant des sources différentes et c'est pour cette raison que nous nous efforçons autant que possible de concilier les attentes diverses des lecteurs de One Piece.

Merci beaucoup pour votre soutien à cette série exceptionnelle.

L'équipe Glénat Manga"