Festival d'engueulades sur Angoulême

Si vous avez suivi de près le Festival International de la Bande Dessinée d'Angoulême, vous n'êtes sans doute pas passé à côté de ce qui s'y est déroulé ces derniers jours.

Il y a d'abord eu cette polémique liée à l'absence totale de femmes dans la sélection pour le Grand Prix 2016. Nombre d'auteurs nominés ont alors refusé d'apparaître dans cette liste, puis le festival a choisi, non sans une certaine condescendance dans ses réponses, de supprimer toute liste pour laisser les votants choisir qui ils souhaitaient.

On pensait le pire passé, et que cette polémique serait la seule cette année pour un festival qui en connaît régulièrement. Une bonne partie de la profession de la bande dessinée est pourtant tombée de très haut lors de la cérémonie de remise des prix (les Fauves) ce samedi soir, assistant sans que personne n'ait été prévenu d'une remise de faux prix. C'est on ne peut plus heureux que les éditions Cornélius reçoivent un prix, puis que les éditions Komikku décrochent le Fauve du Polar pour l'excellent Inspecteur Kurokôchi, sans compter les autres éditeurs et auteurs pensant tous avoir remporté le précieux sésame. C'est alors que la mascarade se dévoile et que l'animateur de la cérémonie annonce que tous les prix venant d'être gagnés, c'était pour rire. Haha.

La suite de la cérémonie s'est déroulée dans l'incompréhension générale, des personnes ont quitté la salle en pleurs, tandis que la vraie remise des prix laissait largement plus mal à l'aise qu'heureux les différents distingués.



Imaginez, ne serait-ce qu'un peu, le désarroi qui a pu s'emparer des faux lauréats. En un éclair, des auteurs, des éditeurs passent de la joie à l'humiliation, à l'énervement et surtout à l'incompréhension, face à cette idée que l'on ne peut que qualifier de pathétique et de cruelle. Ca, de l'humour ? Vraiment ? Alors que personne n'était au courant ? Que les faux lauréats étaient des titres réellement sélectionnés pour les différents prix ?

Les réactions ne sont sont pas faites attendre, essentiellement sur Twitter. Auteurs de bande dessinée, critiques, éditeurs... une grande partie de la profession en est ressortie consternée.
L'auteur de BD Boulet ne mâche pas ses mots : "Quel abruti, quel fils de corniaud branlé s'est dit que ce serait drôle de donner une fausse joie humiliante à des auteurs/éditeurs?".
Du côté de Pénélope Bagieu : "Je raconte les faux-fauves à mon neveu de 12 ans. Son analyse est sans concession : "C'est le seum.""
Quant à Benoît Peeters : "Les "faux fauves" ont affaibli l'impact du vrai palmarès, et blessé cruellement plusieurs auteurs et éditeurs. Pénible cérémonie de remise des prix à Angoulême, une fois encore. Pourquoi associer la méchanceté et vulgarité à la bande dessinée? "

Du côté de ce qui nous intéresse le plus, à savoir le manga, les réactions ne se sont pas faites attendre non plus, notamment du côté de Komikku, l'un des faux lauréats de la soirée. Sam Souibgui, son directeur éditorial, a posté un tweet on ne peut plus clair sur son ressenti : "Week-end au goût très amer…Come back sur Twitter... Sali, humilié après la cruauté d'Angoulême... J'ai envie de dire ce que je ressens…". Rémi, travaillant également chez Komikku, a lancé un "Sidéré" qui veut tout dire.
Chez Cornélius, "Nous avons vécu ce soir un grand moment de honte et d'humiliation. Pauvres auteurs qui y ont cru...".
Imaginez seulement que Minetarô Mochizuki, mangaka invité par le Lézard Noir sur le festival et nominé pour le Fauve de l'album de l'année, ait été victime de ces faux fauves. Imaginez que son éditeur soit obligé d'expliquer à ce mangaka de grand renom ce formidable "humour made in France"... L'éditeur le dit d'ailleurs clairement sur twitter : "j'en serais malade, si on avait fait ça à mochizuki c'était la fin du monde, le sepuku comme seul issue". Apparemment, les gérants du festival et de la cérémonie, eux, n'ont pas beaucoup pensé aux conséquences.

Sur twitter, le hashtag #FauxFauves donne un aperçu de la "réussite" de cette "blague"...

Depuis, Richard Gaitet, l'auteur de ce canular, s'est longuement expliqué au Monde et s'est platement excusé, visiblement effondré par les conséquences de son idée.
De son côté, le FIBD a également répondu en tentant de se justifier. Chacun en pensera ce qu'il veut...

Sincèrement, ce qui nous pose problème en premier lieu, ce n'est pas de connaître la sincérité de ces excuses ou la volonté de bien faire de Richard Gaitet pour sortir la cérémonie de son habituel ennui. Ce qui pose problème, c'est comment diable une idée pareille a-t-elle pu être acceptée, validée ? Qu'est-ce qui est passé par la tête des décisionnaires ? Comment ont-ils pu penser que cela serait amusant ?
Et même si les différents faux lauréats avaient été prévenus à l'avance, que penser de tout ça ? Que penser d'un festival qui moque ceux qui le font vivre, tous ces artistes, ces éditeurs auxquels il est censé offrir un meilleur rayonnement ? Que penser de telles idées créant encore plus le malaise au sein d'une profession déjà en crise où nombre d'auteurs vivent sous le smic ?

Cette polémique interroge une fois de plus sur l'état d'un festival pédant qui commence à les enchaîner beaucoup trop ces dernières années, sans jamais se remettre réellement en question (ou rarement). Le FIBD a-t-il seulement encore réellement son amour pour ces éditeurs, ces auteurs, cette profession qu'il est censé mettre en valeur sur un plan international ?