Tetsuya Tsutsui, peut-être l'auteur le plus emblématique de
Ki-oon, l'éditeur français ayant su dénicher là un auteur auparavant inconnu, qui s'est ensuite taillé une place de choix dans le paysage français du seinen. Invité il y a quelques années à Japan Expo, l'auteur se fit ensuite plus discret, pour enfin revenir plus en forme que jamais avec
Prophecy, son nouveau thriller qui continue sur lancée en France avec la parution du deuxième opus le 10 janvier !
C'est à l'occasion de la venue de l'auteur à
Japan Expo que nous avons pu, une nouvelle fois, rencontrer ce très sympathique auteur, qui revint volontiers sur ces dernières années plutôt discrètes et sur son nouveau manga.
Enchanté Mr Tsutsui, nous vous remercions d'avoir accepté cette interview !Tetsuya Tsutsui : Je vous en prie !
Vous avez longtemps été absent en volume relié en France (la fin de Manhole datant de 2006) mais nous avons toutefois pu lire en 2007 Collector, une nouvelle disponible sur le web et traduite en français par Ki-oon. Comment est né ce projet et quel fût votre principal défi dans sa conception ?Pendant longtemps j'ai mis ma carrière de mangaka en pause et j'avais donc un peu peur de perdre la main, il fallait que je m'entraîne un petit peu. En fait, Collector est un ensemble de planches que j'avais déjà dessinées il y a longtemps et que j'ai reprises pour travailler mon trait. L'histoire est tellement courte qu'aucune maison d'édition ne pouvait l'éditer en format papier, elle s'est donc retrouvée sous ce format.
Comment est née l'histoire de Prophecy, qui marque votre retour après quelques années d'absence ?Il est vrai qu'il y a eu une traversée du désert de quelques années, j'ai eu quelques problèmes notamment avec mon ancien éditeur japonais et j'ai du coup arrêté de travailler avec eux.
Les origines de Prophecy sont ancrées dans la réalité : en 2008 il y eut un fait divers assez spectaculaire à Akihabara, le quartier électronique de Tokyo et j'ai reçu un véritable choc qui m'a donné envie d'écrire une histoire qui s'inspire de cela, qui met en image ce que j'ai ressenti à ce moment là.
Votre carrière est marquée par une collaboration étroite avec les éditions Ki-oon, qui vous ont révélé, et Prophecy montre de nouveau cela, puisque le projet est né en collaboration directe avec la maison d'édition française. Quelle est la genèse de cette nouvelle collaboration ?Il est vrai que c'est plutôt rare qu'un mangaka japonais travaille en collaboration directe avec une maison d'édition française, mais il faut savoir que j'ai commencé ma carrière avec Duds Hunt qui fut d'abord publié sur mon site et qui a été repris en premier par Ki-oon, c'est donc tout naturellement que je me suis tourné vers eux pour mon projet actuel.
Comment est né le personnage charismatique de Paper Boy ?Certains journalistes m'ont demandé si c'était un clin d'oeil envers le groupe Anonymous mais cela n'a rien à voir, disons que j'ai toujours aimé les personnages qui portent des masques. J'aime le mystère qui se dégage d'eux et c'est sans doute pour ça que je l'ai dessiné avec un masque de journal sur la tête.
Dans sa façon d'agir, doit-on le voir comme un héros des temps modernes ?Je laisse à chaque lecteur le soin de réfléchir sur cette question, si oui ou non c'est un héros ou un antihéros, mais ce n'est certainement pas à moi, l'auteur, d'imposer une vision des choses.
On retrouve dans Prophecy le thème de la vengeance, que vous avez déjà beaucoup abordé dans vos précédentes oeuvres. Pourquoi ce thème vous tient-il tant à cœur ?Ce n'est pas que cela me tienne à coeur mais c'est vrai que le thème de la vengeance est un outil assez pratique du point de vue scénaristique. Je voudrais attirer votre attention sur le fait que pour l'instant, vous avez l'impression que la vengeance est un des thèmes de mon histoire, cependant ça ne sera peut être pas le cas à partir du second ou troisième volume !
Que pensez-vous du fait de se faire justice soi-même ?Je reviens au fait divers d'Akihabara
(un déclassé de la société qui s'en est pris au hasard sur plusieurs personnes sans distinction, ndlr) et évidemment je ne peux pas ressentir de l'empathie envers ces gens qui en tuent d'autres, bien qu'ils soient très malheureux, car les victimes restent innocentes. Je pense que lorsque l'on est frustré par la société dans laquelle on vit il faut choisir le meilleur moyen pour exprimer cela. Peut être que moi en écrivant ce manga, on pourrait dire que je me venge de la société et que j'exprime cette frustration par ma série, certains verront ça comme un loisir tandis que d'autres verront que c'est une façon comme une autre d'extérioriser son insatisfaction. L'important est donc de bien choisir le moyen adéquat quand on veut exprimer sa frustration envers la société.
Du coup, peut-on voir Prophecy comme une sorte de critique de la société moderne, des dérives que peut avoir le net et aussi des inégalités sociales ?Oui bien sûr, c'est une critique vis-à-vis de la société et de tous les travers d'internet.
© Tetsuya Tsutsui / Ki-oon Et vous-même, quelle vision avez-vous des réseaux sociaux ?Évidemment je pense que c'est un outil très pratique, cependant l'envers de la médaille est que sur les réseaux sociaux les gens ont trop tendance à publier leurs données privées et cela peut être extrêmement dangereux, je voulais donc attirer l'attention de mes lecteurs sur les dangers éventuels de l'abus de ces réseaux sociaux.
Vous avez un trait dense, précis, très incisif... Quels outils utilisez-vous pour dessiner ?Les traits sont faits au critérium, ensuite je scanne les dessins sur mon ordinateur et j'utilise le logiciel Painter pour les trames.
Une collaboration chez Ki-oon, une sortie chez Shueisha... Est-ce que les différents acteurs autour de vous vous laissent entièrement libre dans la conception de l'histoire ?De ce point de vue je n'ai pas à me plaindre, ils sont très respectueux de ma liberté et de mon indépendance.
Jusqu'à présent vous n'avez conçu que des œuvres courtes. Pensez-vous que Prophecy sera plus long ? Avez-vous déjà toute l'histoire en tête ?Les grandes lignes sont déjà bien fixées et je pense que Prochecy sera fini en trois tomes.
Merci d'avoir répondu à toutes nos questions !Ce fut avec plaisir !
Remerciements à Monsieur Tetsuya Tsutsui, à l'interprète, aux éditions Ki-oon et aux organisateurs de Japan Expo.