Interview - Doki Doki

Cette année, les éditions Doki Doki vont souffler leur cinquième bougie! A cette occasion, Arnaud Plumeri, co-directeur éditorial, a accepté de répondre à nos questions. Nous reviendrons sur le chemin parcouru tout en évoquant les temps forts de cette année 2011!
  

 
  
Manga-news: Pour célébrer en fanfare vos 5 ans, vous avez déjà proposé des offres alléchantes, comme les tomes 1 de plusieurs nouveautés à 5€. Comptez-vous mettre en place d'autres évènements pour continuer de faire de cet anniversaire un moment marquant ?
Arnaud Plumeri: Effectivement, faire des petits prix pour lancer de nouvelles séries me paraît un pari intéressant dans le contexte actuel de saturation des librairies. J’espère que les lecteurs adhéreront.
Depuis l’année dernière, nous avons listé une série d’événements à mettre en place en 2011. La situation malheureuse au Japon nous a contraints de revoir nos plans, car tout est soumis à l’approbation des éditeurs japonais. Heureusement, je n’avais rien annoncé très à l’avance, j’aurais eu l’air fin aujourd’hui ! J’espère vous annoncer dans les semaines qui viennent de belles opérations à Japan Expo et en librairies. Je suis par exemple en train de travailler sur une mise en avant du catalogue Doki-Doki chez Momie manga à Grenoble, avec des cadeaux sympas pour leurs clients. Que les libraires motivés par nos parutions n’hésitent pas à me contacter s’ils veulent en faire de même, j’aime les libraires qui mouillent leur chemise.

   

  


Pendant ces quelques années, vous avez été l'un des principaux éditeurs français de mangas culinaires. Comptez-vous revenir vers ce genre sous peu ?
Nous avons en effet édité Aya conseillère culinaire, Le Restaurant du bonheur et Café Dream. Si ces titres ont eu la plupart du temps un bel accueil critique qui a contribué à construire notre « image », ils n’ont malheureusement pas été rentables commercialement. À moins de trouver nos « Gouttes de dieu », d’autres mangas culinaires ne sont pas actuellement dans notre collimateur. Ou alors ils le sont mais d’une façon indirecte, par exemple avec Space Chef Caisar, le cuistot délirant de Boichi qui soit dit en passant nous gratifie toujours d’un passage culinaire dans Sun-Ken Rock.
  

Space Chef Caisar © Boichi / Shônen Gahôsha
 
 
Nous vous devons la découverte en France de nombreux auteurs talentueux, tels Jun'ya Inoue, Hideyuki Yonehara ou encore Boichi. Quel auteur êtes-vous le plus fier d'avoir déniché ?
Vous savez que vous me posez une question très difficile ? Ce sont là trois mangakas virtuoses, qui ont chacun un univers bien à eux. Sentimentalement, je dirais Inoue car il fait partie des débuts de Doki-Doki. Yonehara, ça me parle car il a su faire des mangas d’aventure vraiment bien conçus. Et Boichi, il a quand même un truc en plus qui parle à bien des hommes, non ? C’est certes une réponse de Normand, mais je suis Nordiste, et ce n’est pas très loin…


Au sein de votre catalogue varié, quel est le titre qui vous tient le plus à cœur ?
Dans les nouvelles séries qui sont sorties en 2011, c’est pour l’instant Immortal Rain. Bien que les histoires soient très différentes, j’invite tous les lecteurs de Full Ahead ! Coco à s’intéresser à ce manga qui va les transporter d’un monde à l’autre, et même d’un siècle à l’autre à travers la vie d’un immortel. Et plus les volumes passent, meilleur c’est ! C’est une série à la fois drôle, émouvante et prenante. Allez voir dans Google ce qu’en disent les lectrices américaines ! Et si vous aimez bouder (il n’y a pas de honte à ça), intéressez-vous à Vamos Lá et à son héroïne !
 

Découvrez le mini-site consacré à Immortal Rain en cliquant sur l'image ci-dessus.


Full Ahead ! Coco est, à ce jour, votre plus longue série, et l'une de celles qui est publiée chez vous depuis quasiment vos débuts. Que ressentez-vous à l'idée qu'elle se terminera maintenant dans moins d'un an ?
Oui, cette série se terminera début 2012. Ça va surtout faire un vide pour le lecteur que je suis, voir le jeune Coco grandir au fil des volumes le rend attachant. Mais lancer de nouvelles séries est également excitant.


Nous avons connu Doki Doki version folklorique (le Cortège des cent démons, Shiori et Shimiko, Otogi Matsuri), version érotique (G.C.U., Wee need kiss, Go ! Tenba Cheerleaders), version culinaire, plus récemment version fantasy (The Sacred Blacksmith, Broken Blade, Immortal Rain)... Quelles voies souhaitez-vous encore aborder ?
Quand on lance une collection manga, on teste différentes voies – pourvu que les titres nous aient plus – et empiriquement on observe si le lecteur est prêt à nous suivre. Il faut aussi savoir que tous les éditeurs japonais ne nous ouvrent pas immédiatement leur porte, c’est un paramètre important à prendre en compte. Cela prend des années parfois pour gagner leur confiance.
Puis, progressivement, on se constitue un noyau dur de lecteurs fidèles, qu’il faut essayer de ne pas décevoir. Aujourd’hui, pour résumer, nous avons deux axes éditoriaux: le premier concerne les séries d’action et d’aventure pour un public majoritairement masculin (Sun-Ken Rock, Dämons, Broken Blade… et prochainement Taboo Tattoo) ; le second englobe des séries entre shôjo et seinen qui s’adressent aussi bien aux garçons qu’aux filles (Un Carré de ciel bleu, Vamos Lá, Immortal Rain…), comme ça a été  le cas pour Otaku Girls. Pourquoi pas du shôjo pur ? Parce que nous avons du mal à nous emballer pour les shôjo hyper romantiques qui ne reflètent pas nos goûts de lecteurs. Il en va de même par exemple pour le yaoi.
 



Récompensé notamment aux JE Awards, Otaku Girls a été l'une des excellentes surprises de votre catalogue. Comment avez-vous découvert ce titre rapidement devenu populaire ?
Concernant Otaku Girls, il faut tirer un grand coup de chapeau à Sylvain Chollet qui a repéré le manga, et à son traducteur Sébastien Ludmann qui a contribué à rendre les dialogues si savoureux. Ce qui fait plaisir, c’est que cette récompense a eu un retentissement jusqu’au Japon: lors de sa parution, le volume 7 était vendu là-bas avec un bandeau « Japan Expo Award – prix du meilleur shôjo » et dans les pages de fin l’auteure remercie les lecteurs français pour l’accueil fait à son manga. Dans ces cas-là, je me dis qu’on a fait du bon boulot, puisque tout le monde est content!
 

 

Cliquez sur les images pour les agrandir.


L'année 2010 a été marquée par l'arrivée dans votre catalogue d'un auteur déjà populaire en France en la personne de Lim Dall Young. Que représente cet auteur pour vous ?
C’est un auteur particulièrement inventif qui sait donner à ses héros (et surtout à ses héroïnes) un charisme hypnotique, et je ne parle pas que de la taille de leur bonnet . De surcroit, il crée des histoires qui se prêtent bien à des adaptations en animés. C’est un auteur que nous suivons de très près…
 
 


Quel bilan tirez-vous de ces 5 années ?
Quand Bamboo (spécialiste de la BD franco-belge d’humour) a annoncé qu’il se lançait dans le manga avec le label Doki-Doki, je me souviens des nombreux procès d’intention qu’on nous faisait. Progressivement, les lecteurs ont compris que nous les respections et que nous faisions notre  travail avec application. Dès la première année, nous avons reçu le prix du meilleur shônen à Japan Expo pour C [si :], montrant que nos choix n’étaient pas si mauvais. Il y a donc eu le prix l’année dernière pour Otaku Girls, et cette année c’est 7 milliards d’aiguilles qui est en lice.

     
Série terminée en quatre tomes.

Dans notre parcours, nous avons fait quelques erreurs éditoriales ou commerciales que nous essayons de ne pas reproduire, mais c’est le lot de tout éditeur. 
Au final, en 2010, nos ventes ont progressé de plus de 40% alors que le marché français du manga est en régression, et nos nouvelles séries ont été rentables. Le bilan est donc positif.
Pour autant, chaque année est un nouveau challenge. Il faut sans arrêt trouver de nouvelles séries porteuses pour remplacer celles qui se terminent.
Comme vous avez dû le remarquer, nous n’avons pas de blockbuster au catalogue, mais plusieurs séries qui marchent bien. Pendant ces 5 ans, j’ai appris qu’une collection se gérait aussi bien éditorialement que financièrement. Je vois parfois les internautes de Manga News qui se plaignent que certaines séries (et pas seulement celles de Doki-Doki) sont publiées trop lentement en France. Je comprends leur mécontentement, car je suis moi aussi lecteur, mais il faut intégrer qu’une maison d’édition est une entreprise qui doit faire des profits pour payer ses charges, ses salariés et investir dans de nouvelles licences. Sortir à une fréquence élevée des titres à perte n’a pas de sens et peut mettre à terme en péril une maison d’édition. J’aurais aimé qu’il en soit autrement.
Et sinon, ça va vous paraître démagogique – mais après tout c’est ce qui me vient à l’esprit quand je repense aux 5 années passées -  j’ai appris à connaître et à aimer les lecteurs de mangas: ils sont pour la plupart ouverts d’esprit, très exigeants mais respectueux. Et souvent caricaturés et incompris par les non-initiés, ce qui me les rend encore plus sympathiques.


Quels sont vos atouts au sein d'un marché qui a tendance à saturer ?
Déjà, de ne pas sortir une profusion de mangas chaque mois. Ce rythme raisonnable nous permet de soigner la traduction, le lettrage, l’adaptation et surtout de prendre le temps de connaître et de faire connaître les séries que nous publions ! Ça paraît bête à dire, mais le courant passe tout de suite mieux avec les lecteurs et les libraires quand ils voient que l’on est en mesure de tenir une discussion sur nos mangas. D’ailleurs à Japan Expo, plusieurs de nos vendeurs sur le stand sont les traducteurs de ces mangas. Eux qui passent leur temps enfermés à la maison, ils sont ravis de rencontrer leurs lecteurs.
Ensuite, nous essayons d’avoir une pertinence dans le choix des titres, mais j’admets que c’est une réponse un peu bateau que n’importe quel éditeur pourrait vous faire.
Enfin, je pense qu’être un éditeur de taille modeste, donc pas tentaculaire, nous permet de ne pas nous éloigner des aspirations des lecteurs et des libraires, c’est important à mes yeux de ne pas perdre ce contact.


Avec, par exemple, une interview de Boichi postée il y a quelques mois ou encore le message de remerciements de Natsumi Konjoh dans le dernier tome d'Otaku Girls, on constate une certaine proximité entre Doki Doki et les auteurs publiés. Cet aspect semble vous tenir à cœur ?
Tout à fait, je pense que les auteurs ressentent que nous nous investissons dans la publication de leur œuvre. Obtenir de leur part un dessin inédit, des mangas dédicacés, ou encore mieux des planches crayonnées originales est une preuve de notre crédibilité au Japon, que l’on peut ranger également parmi nos atouts.
 

Ci-dessus, l'un des crayonnés de l'exposition The Sacred Blacksmith, qui s'est tenue en 2010 dans deux librairies de la métropole.


Pouvez-vous nous dire quelques mots sur Taboo Tattoo, votre prochaine nouveauté à paraître ?
Depuis le début de l’année, nous avons publié plusieurs nouveautés « entre shôjo et seinen » comme Immortal Rain, Un Carré de ciel bleu et Vamos Lá. Taboo Tattoo permet de s’adresser aux amateurs de seinen d’action. Cette série revisite avec originalité le thème du lycéen se retrouvant avec un pouvoir non désiré. Son pouvoir réside dans un glyphe incrusté dans sa main, qui peut générer une quantité d’énergie considérable et devenir une arme de destruction massive. Très vite, il va se retrouver au cœur d’une guerre entre les services secrets des Etats-Unis et du Sélinisthan, qui mettent tout en œuvre pour récupérer les glyphes éparpillés dans la nature. L’autre originalité, c’est que chaque glyphe a un pouvoir différent et a besoin d’être en contact avec un élément particulier pour s’activer : de la craie, du bitume, du sang… Cela permet des rebondissements scénaristiques.
Taboo Tattoo est graphiquement bien représentatif des dernières tendances seinen au Japon, contient un soupçon de fan service et les scènes d’action sont vraiment bien fichues. Et les lecteurs pourront le découvrir au prix de lancement de 5 euros. Que demander de plus ?
 

 
 
Vous avez évoqué précédemment les terribles évènements qui ont touché le Japon il y a quelques semaines. En tant qu'éditeur de manga, comment avez-vous ressenti ces dramatiques évènements? Vont-ils avoir une quelconque incidence sur votre catalogue et votre politique éditoriale dans les prochains mois?
En effet, les évènements survenus au Japon auront une incidence sur notre catalogue cette année. Beaucoup de nos traducteurs résident au Japon, ou ont des attaches très fortes là-bas. Ils ont été très touchés par les catastrophes qui ont eu lieu, et difficile dans ces conditions de leur demander de tenir le planning de traduction qui était prévu. Ils n'avaient pas la tête à ça et je les comprends. Certains sont retournés en France en catastrophe avec femme et enfants, d'autres ont annulé leurs déplacements prévus sur place pour voir la belle-famille. Au niveau des éditeurs japonais, c'est devenu compliqué également. D'une part, parce qu'on ne sait pas dans quelle mesure nos partenaires ont été touchés personnellement par les événements, c'était par exemple délicat de les relancer avec tact pour obtenir des fichiers. Il en va de même pour l'acquisition de nouvelles licences. On sent qu'ils sont moins réactifs qu'à l'accoutumée pour donner une réponse à nos offres. D'autre part, certaines séries ont pris du retard au Japon, cela se ressentira donc sur le rythme de parution de certaines séries, comme The Sacred Blacksmith volume 5 que nous avons repoussé au mois d'août. Si nous sommes pour le moment à un rythme d'environ 5 sorties par mois, nous passerons à environ 3 titres par mois à partir de la rentrée.
Ces événements nous montrent que l'édition de manga est une chaîne humaine qui peut se gripper à tout moment...


Merci beaucoup!
 
 
Remerciements à Arnaud Plumeri et aux éditions Doki Doki.