Interview exclusive Kaze Manga

Raphaël Pennes, directeur éditorial de Kaze Manga & fondateur des éditions Asuka, a bien voulu répondre à quelques unes de nos questions concernant la création du nouveau label manga des éditions Kaze. On en apprendra notamment plus sur certains objectifs de ce jeune éditeur et sur les éventuelles conséquences de son implantation sur le marché...
        

   
 
Manga-news: Suite au rachat du groupe Kaze par Shueisha, Shogakuka et ShoPro, plusieurs changements ont été opérés, pouvez-vous nous en dire un peu plus?
Un tel événement entraîne des changements, en effet, mais ils sont surtout d’ordre organisationnel, avec des évolutions de postes, des embauches… Et bien sûr, son lot de nouveaux projets. Le lancement de Kaze Manga dès janvier 2010 est le premier évènement majeur de cette nouvelle ère de Kaze. Mais ce rachat, plus qu’une révolution, accompagne les évolutions déjà prévues, comme le lancement de KZTV et plus récemment de KZPlay, notre plate-forme d’offres à la demande et de simulcast. Diffuser des animés le même jour qu’au Japon est un challenge important pour notre société à l’heure du tout numérique, et notre rachat le rend encore plus stratégique à l’heure où l’accès au contenu est primordial. 
  
 
Kaze vient d’annoncer la création d’un nouveau label Manga : Kaze manga. Mais que devient Asuka ?
Asuka fait partie, à son niveau, du paysage éditorial manga Français. Il continuera tout naturellement d’exister parallèlement à Kaze manga, avec toutes les séries déjà publiées dans leur intégralité (qui seront toujours disponibles) et surtout avec les derniers tomes des séries proches de leur fin. Asuka continuera aussi via la collection Boy’s Love, car les lectrices ont identifié Asuka comme l’un des deux acteurs majeurs de ce genre très prisé et il serait dommage d’arrêter après tant d’effort. De plus, devant le succès grandissant de BExBOY, le magazine continuera de paraître au même rythme et stabilisera son offre dès janvier à 5,95€ pour 390 pages, soit 50 pages de plus que les 3 premiers numéros pour 1€ de plus. Asuka se spécialise, termine proprement ses séries, et sera donc encore là quelque temps.
   
 
SILENT LOVE © HINAKO TAKAGAWA / LIBRE Publishing Co., Ltd.
   
     
Raphaël, vous passez donc directeur éditorial de Kaze manga. Quels sont les changements pour vous?
À mon niveau, il s’agit de changements organisationnels. Nous avons recruté parmi les meilleurs du milieu dans tous les domaines, avec l’ambition affichée de faire de Kaze Manga l’un des éditeurs les plus respectueux des œuvres et de leurs lecteurs. L’expérience que j’ai acquise, avec les moyens de développement qui sont à notre disposition, nous permettrons je l’espère de proposer des ouvrages d’une qualité quasi équivalente aux éditions japonaises et à des tarifs plus appréciables que ceux qu’Asuka pratiquait. Mon rôle est donc de proposer une politique éditoriale cohérente, assez différente de celle que j’ai bâtie avec Asuka, plus en phase avec le marché et avec les attentes des lecteurs.
 
 
Comment Kaze Manga compte-il se placer sur le marché  français déjà bien fourni?
Kaze est, à mon sens, la dernière marque incontournable qui pouvait encore prétendre décemment  à une place sur le marché si disputé du manga. En quelque sorte le dernier éditeur légitime sur ce segment de l’édition BD. Kaze a passé les deux dernières années à tester le marché du livre avec Asuka et en lui apportant une croissance qui l’a fait passer de la 16e à la 9e place du marché, devant pourtant des grands spécialistes de l’édition BD.
Ikigami ou Nabari sont parmi les 20 meilleurs lancements de 2009, et Ikigami est le seinen n°1 de 2009 en vente. Il vient d’ailleurs d’être nominé à Angoulême après avoir gagné un prix aux Utopiales ! Kaze manga n’a aucune prétention, l’objectif est le même qu’avant, proposer un line up cohérent, en phase avec les licences développées en animé par le groupe (que ce soit en Dvd, au cinéma ou en simulcast), et ce pour confirmer Kaze dans son ensemble comme la marque incontournable de la culture japonaise en France et en Europe.
  
 
IKIGAMI © Motoro Mase / Shogakukan Inc.
    
  
L’expérience de Shueisha ou Shogakukan, éditeurs majeurs du marché japonais, vous apporte-t-elle ou vous apportera-t-elle un atout supplémentaire par rapport à vos concurrents?
Je pense que nous avons tous à apprendre les uns des autres, aussi cette expérience ne peut être qu’enrichissante pour moi en tant que directeur de collection. Avoir pour maison mère Shueisha, Shogakukan et ShoPro est avant tout un honneur et une grande responsabilité. Maintenant, il serait très prétentieux de dire que nous avons un avantage sur les autres éditeurs, qui ont construit depuis plus de 15 ans le marché en France et en sont les leaders incontestés.
 
 
Kaze Manga lancera plusieurs collections à partir de 2010, pouvez-vous nous les présenter?
La première, SHONEN UP!, est une collection à part entière qui viendra dans la catégorie Shônen répondre aux attentes d’un public en demande d’œuvres plus matures, plus adultes, aux confins du genre. L’idée est donc de créer officiellement une ligne directrice, entre le Shônen et le Seinen tel qu’on le connaît en France. Cette collection s’appuiera grandement sur les lignes éditoriales issues de magazines tels que Jump Square ou Young Jump de Shueisha ou Shonen Sunday ou GX Sunday de Shogakukan. Ces magazines ont vu le jour pour répondre à la même demande sur le marché japonais, face un public vieillissant et fuyant, en l’absence de contenus adaptés à leurs goûts du moment. Pour meilleure preuve de ce vide éditorial en France, il suffit de voir qu’un Shônen qui fonctionne, se vend en moyenne 3 à 5 fois plus que les meilleurs Seinen.
Le manque d’offre adapté à cette clientèle tire le marché vers le bas, et empêche l’arrivée de titres absolument incontournables. SHONEN UP! est donc un rendez-vous avec ce public ayant grandi avec Fullmetal Alchemist, One Piece et Naruto en quête de nouvelles lectures plus matures. Nous lancerons une nouvelle série tous les mois, sur un rythme trimestriel unique, à un prix unique entre les Shônen et les Seinen. Lancement dès janvier avec deux hits: Black Lagoon de Rei Hiroe en janvier et Embalming - The Another Tale of Frankenstein de Nobuhiro Watsuki en février. Nous avons d’autres lignes éditoriales prévues pour un peu plus tard dans l’année, mais nous en reparlerons le moment venu.
    
 
   
BLACK LAGOON © 2003 Rei HIROE  / Shogakukan Inc.
EMBALMING - THE ANOTHER TALE OF FRANKENSTEIN- © 2007 by Nobuhiro Watsuki / SHUEISHA Inc.
   
     
Beaucoup s’interrogent sur la commercialisation des grosses licences du groupe, comment cela va-t-il être géré ?
Comme cela a toujours été le cas jusqu’à aujourd’hui, les éditeurs ont la liberté de faire des offres sur les séries qu’ils ont envie de publier en France, et les responsables au Japon des maisons Shueisha et Shogakukan choisiront l’éditeur qu’ils jugent le plus à même d’en faire un succès. Tous les éditeurs ont leurs spécificités et leurs domaines de compétences, ce qui rend le marché français si unique et si riche. Le marché du manga s’est construit dans la durée avec les efforts de tous les éditeurs qui ont choisi de s’investir dans cette belle aventure et d’en faire le second marché mondial.
  
 
Le fait d’appartenir à un géant du manga japonais va-t-il vous posez un problème pour l’achat de licences chez les autres éditeurs concurrents ?
N’être ni exclusifs, ni privilégiés par nos maisons mères, nous avons une liberté éditoriale totale. Les sept années d’Asuka, et les 15 de Kaze, ont fait de notre société l’une des plus respectées au Japon, et nous travaillons avec plus de 25 éditeurs nippons. Il aurait été dommage de ne plus pouvoir vous proposer leurs meilleurs titres et 2010 sera d’ailleurs assez riche de ce côté-là!
  
  
Kaze a l’intention de se placer sur le marché du media-mix (multi support), pouvez-vous nous expliquer ce que c’est et comment cela s’annonce concrètement?
Kaze a déjà démontré avec des licences comme Le Chevalier d’Eon, La traversée du temps ou Hokuto no Ken que le media-mix était un axe stratégique pour implanter efficacement une licence sur plusieurs supports. Le media-mix, créé en Asie, est un moyen marketing d’imposer un univers sur plusieurs marchés en même temps avec une forte promotion globale. Kaze a donc fermement l’intention d’exploiter ce fonctionnement ayant fait au Japon les succès de nos maisons mères. Kaze a la possibilité de publier un manga, de diffuser son adaptation animée sur KZ TV et/ou KZ Play, de l’éditer en DVD ou Blu-ray, de proposer la bande originale via Wasabi Records et pourquoi pas de proposer des produits dérivés via Kaze Collection, le tout dans une promotion globale efficace. C’est ça, le media-mix!
       
     
Comment voyez-vous le marché dans un avenir proche?
Le marché est arrivé à une certaine maturité, les éditeurs ont chacun leur propre stratégie éditoriale, et un certain recul des ventes pourrait bien arriver dans un futur proche en raison d’un appauvrissement en matière de promotion lié à une certaine crise du marché du livre. À cause de cela, je pense que le marché va se resserrer sur les hits et que cela va affecter la richesse éditoriale que nous avons eu la chance de connaître.
À l’avenir, seuls les titres bénéficiant d’une promotion efficace réussiront à séduire le plus grand nombre et les lecteurs, déjà sollicités par une très grande production mensuelle depuis tant d’années, grandissent vite et sont en quête de titre plus matures et plus originaux. Toutefois, je pense que si les éditeurs font preuve de réflexion et usent d’inventivité dans leur manière de faire leur promotion, le marché peut encore grandir ces prochaines années. Et je suis un fervent positiviste, donc je pense que tous ensemble, les éditeurs vont encore apprendre de leurs erreurs actuelles, en tirer les bonnes leçons et construire un avenir radieux pour ce marché. En tout cas, moi, je travaille dur pour ça tous les jours!
     


 
Shueisha, Shogakukan et Shopro espèrent-il récupérer dans un avenir proche certaines licences pour l'instant détenues en France par d'autres éditeurs?
Nos maisons mères n’ont jamais imaginé un tel scénario, et elles ont été très claires sur ce point avec leurs partenaires historiques. Comme je le disais précédemment, le marché du manga s’est construit dans la durée, parce des éditeurs hors du Japon ont développé le marché à l’international. En France, plus encore qu’ailleurs, les éditeurs japonais sont reconnaissants envers leurs partenaires et n’ont absolument aucune intention de changer de stratégie. Rassurez-vous, Naruto, One Piece et Nana resteront chez leurs éditeurs, comme toutes les séries déjà licenciées. Pour autant, nous vous promettons en 2010 plein de nouvelles séries à ne pas rater!!
  
 
Nous vous remercions beaucoup pour cette interview!