Le site Actua BD revient sur le sujet tendu du scantrad à l'heure où la loi Hadopi (création & internet) fait la controverse...
Extraits choisis ...
(...) Le Scantrad. Il trouve son origine dans le Fansubing, une pratique visant les séries télévisées américaines qui sont rapidement sous-titrées et mises à disposition en ligne gratuitement. Cette variante touche notamment aux dessins animés, mais aussi aux bandes dessinées étrangères (manganimes et mangas en tête), scannées, traduites et diffusées à leur tour en ligne. Dans les deux cas, c’est la traduction et sa facile et rapide disponibilité offerte aux fans qui est au centre du procédé.
Il n’y aurait aucun problème si ces pratiques étaient légales. Mais voilà, elles ne le sont pas, comme le rappelle un récent article complaisamment diffusé sur le sujet, notamment par Le Journal du Net puisqu’elles constituent une infraction de l’article L 122-4 du code de la propriété intellectuelle, stipulant que : « Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droits ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement par un art ou un procédé quelconque. »
C’est donc clair : le Scantrad viole totalement tant les droits moraux que patrimoniaux de son créateur (ou possesseur), des droits aussi bien imprescriptibles qu’inaliénables. Des mètres entiers de jurisprudence dans certaines affaires de logiciels peer-to-peer ont condamné cette pratique sans aucune ambiguïté. Un éditeur comme Dargaud avait obtenu naguère une condamnation d’un internaute qui pratiquait cette contrefaçon avec les titres de son catalogue.
Et pourtant, ces sites continuent leur activité.
L’un des arguments-clé des teams de Scantrad touche au fait que certaines de ces œuvres traduites n’arriveraient certainement jamais par un biais légal jusque chez nous. En outre, une fois l’œuvre publiée en France par un éditeur classique, nos « pirates » la retirent de leur catalogue, si bien que les éditeurs finissent par tolérer le Scantrad, considérant qu’il construit le « buzz » qui précède la commercialisation de la série. Ils publient donc le plus souvent de séries non licenciées en France, ce qui signifie qu’aucun éditeur n’en a encore acquis les droits. Au fond, ce serait comme une publicité pour une série à venir.
Mais hélas, une absence d’exploitation ne suffit toutefois pas à légitimer cet acte et n’empêche pas les propriétaires de ce genre de site de risquer gros, la condamnation pouvant aller jusqu’à trois ans de prison et plus de 300.000 € d’amende !
« Nous sommes des illégaux témoigne l’un d’eux. Les Japonais seraient dans leur droit de nous faire arrêter. S’ils nous laissent faire, c’est qu’ils doivent y trouver un intérêt, sinon cela ferait longtemps qu’ils auraient bougé (eux, ou les éditeurs français qui les représentent)… Après, on n’est jamais sûr de rien. Nous sommes conscients que ce que l’on fait est illégal. S’il nous faut arrêter, on s’arrêtera. Nous faisons cela par passion. On ne peut pas être comparé aux autres téléchargements, tels la musique et le cinéma. Nous respectons les éditeurs français. On a parfois des relations avec eux… Mais, c’est assez ambigu. Quant aux Japonais, ils ne communiquent pas beaucoup. Ils savent qu’on fait pas mal de pub pour eux et qu’on est un facteur de développement des mangas en France : Cela peut permettre de mieux vendre les licences si on voit que le manga est déjà populaire sur le net. Donc, notre situation est vraiment complexe et unique surtout que les ventes de mangas continuent de progresser en France, donc on ne peut "même pas" nous accuser de tuer le marché, comme c’est le cas pour celui du disque. »
Dès lors, les sites pratiquants le Fansubing et le Scantrad se sont multipliés et connaissent, malgré leur illégalité, une énorme affluence. (...) Preuve en tout cas qu’il y a de véritables attentes d’un public lassé par des délais de traductions officiels trop longs et avides d’avoir accès à la suite de leurs bandes dessinées ou séries télévisées favorites.
On peut se demander pourquoi les grandes boîtes restent discrètes, voire silencieuses et peu promptes aux réactions, par rapport à ces procédés illégaux. En 2006, Kana avait tenté de réagir face aux sites qui continuaient de traduire sans permission les aventures de Naruto, série au bénéfice d’un succès et d’une popularité mondiale impressionnante. Dans une lettre envoyée aux sites visés, la boîte japonaise avait rappelé très courtoisement que dans le cas de Naruto il s’agissait bien d’œuvres artistiques protégées par le droit d’auteur : « Nous vous remercions de nous confirmer que vous avez bien reçu l’autorisation des titulaires des droits (l’auteur et la société Shueisha) pour la reproduction de ces mangas sur votre site. Dans la négative, nous vous invitons à supprimer sans autre délai de votre site toute reproduction partielle ou totale des mangas en question. » Si certains des sites ont bien exécuté la demande, d’autres l’ont rejetée et n’ont pas plus été inquiétés. (...)
Depuis la “non-affaire“ Kana, il semblerait que la patience des éditeurs commence à diminuer, d’autant plus que cette pratique ne se cantonne plus uniquement aux séries non encore licenciées, risquant ainsi de nuire aux titres commercialisés en librairie. Le piratage de leurs œuvres inquiète de plus en plus les acteurs du secteur, les obligeant à se repositionner face à cette problématique. On comprend alors mieux ce genre d’avertissement, découvert sur le site des éditions Glénat : « L’éditeur se réserve le droit de poursuivre tout acte de contrefaçon de ses droits de propriété intellectuelle, y compris dans le cadre d’une action pénale ! »
Une réflexion sur le Scantrad et le Fansubing est donc d’actualité. Au lieu de punir, les acteurs des milieux artistiques touchés devraient se réunir pour discuter des moyens pour rendre ces pratiques non seulement légales, mais aussi rentables, car le fait est que la patience des lecteurs et téléspectateurs n’existe plus et leurs désirs de découvrir la suite des aventures de leurs héros préférés passent bien au-dessus de toutes précautions légales.
Certaines mesures existent déjà dans l’univers du dessin animé, puisque des compagnies telles que Wizmedia, Wakanim ou Crunchyroll.com offrent les leurs en streaming sous-titrés et cela quelques heures après leur diffusion à la télévision japonaise.
Si certaines solutions existent donc bien pour le monde de l’animation, le manga papier (et la bande dessinée) n’en a pas encore trouvé d’adéquates. Une idée serait que les maisons d’éditions japonaises coupent l’herbe sous le pied des teams de Scantraders en préparant une version déjà traduite de leurs principaux mangas à succès (quitte à s’appuyer sur des teams existants) afin de les proposer plus rapidement en ligne aux fans et cela contre une modique somme, mais de manière tout à fait légale. Pour les BD non encore licenciées, les éditeurs lâcheraient par contre la bride et continueraient de bénéficier ainsi indirectement du travail du Scantrad.
Si les solutions semblent exister, la nouvelle loi française Hadopi prend le contre-pied, pariant sur l’interdiction plutôt que sur la conciliation. Elle risque bien de nuire aux efforts du secteur qui, confronté aux infinies possibilités du Net, doit aujourd’hui plus que jamais se réinventer.
Lire l'article complet réalisé par Didier Pasamonik (L’Agence BD) et Olivier Wurlod sur ActuaBD