Sea Fog - Les Clandestins - Actualité anime

Sea Fog - Les Clandestins : Critiques

Critique du dvd : Sea Fog - Les Clandestins

Publiée le Lundi, 19 Octobre 2015

Capitaine d’un bateau menacé d’être vendu par son propriétaire, vivotant à peine grâce aux quelques pêches réalisées toujours plus au large, Kang (Kim Yun-seok) accepte pour la première fois de transporter des migrants clandestins venus de Chine. Cela paie bien, cela pourrait permettre de rénover son bateau, et nourrir ses hommes. Pourtant, lors d’une nuit de tempête, tout va basculer.



C'est toujours la même rengaine. A chaque nouveau thriller ou polar en provenance du pays du matin calme, une question se pose : le film va-t-il pouvoir se hisser au rang des ténors du genre, dans leur grande majorité sortis dans les années 2000 ? Car le genre est hyper concurrentiel et marqué par des chefs d'oeuvre complets qui n'ont laissé, après leur passage, quasiment aucune chance de briller aux films sortis après eux. Il faut le dire : après Memories of murder de Bong Joon-Ho, la trilogie de la vengeance de Park Chan-wook et J'ai rencontré le diable de Kim Jee-woon, on a eu l'impression d'avoir tout vu, tout explorer, dans l'hyper violence psychologique, l'ambiance noirissime, glaçante, malsaine, la misanthropie, voire la folie. Il y a bien eu quelques formidables surprises : The Chaser et The Murderer de Na Hong-jin, Breathless, Blood island, Hard day... Et des déceptions de taille : Pieta, Confession of murder, Hwayi... Toujours cette crainte de voir le genre tourner en rond et se mordre la queue. Alors, dans quelle catégorie se classe ce Sea Fog ? Vous serez heureux d'apprendre qu'il joue dans la cour des grands !


Les personnes dédiées au marketing de Sea Fog en Occident ont fait un choix, celui d'appuyer sur le fait qu'il ait été réalisé par un assistant de Bong Joon-ho : et pour cause, Shim Sung-bo n'est autre que le co-scénariste de Memories of murder. De l'avis général sur Manga-news, autant vous dire que nous sommes plusieurs à considérer ce dernier comme l'un de nos films favoris. Alors lorsque l'on voit que c'est aujourd'hui Bong Joon-ho qui est co-scénariste aux côtés de son ancien poulain sur ce Sea Fog, notre curiosité est piquée à vif ! Car on ressent bien la « patte Bong », même si Shim Sung-bo a su se créer sa propre identité filmique.


Cette identité se construit d'abord grâce au choix du scénario, tiré d'un fait divers datant de 2001, et faisant écho à l'actualité européenne sans le vouloir. Les pêcheurs deviennent ici des passeurs, et doivent gérer des clandestins : les nourrir un minimum, les cacher, empêcher toute rébellion. Une thématique forte, que le cinéaste ne prend pas par son bout social, loin de là. Au lieu de disséquer les réactions, il opte pour un parti-pris issu de la tradition du vigilante, un genre cinématographique typiquement sud-coréen : l'homme est un loup pour l'homme. Sea Fog n'est donc que très rarement une chronique sociale – tout au plus s'y aventure-t-il en montrant que les clandestins peuvent être issus de la classe moyenne, comme cet instituteur et père de famille attachant –,  mais une chronique d'hommes opposés à d'autres malgré eux, chacun devant gagner et composer avec les événements. Plaquée sur le sujet de la clandestinité, la logique du thriller sud-coréen est abominable, dégueulasse, immorale : tout ce qu'on aime dans ce cinéma-là. Et c'est comme cela que Sea Fog apporte quelque chose au genre, en parvenant à le renouveler un peu.


Shim Sung-bo fait également reposer son intrigue sur un contexte historique. Nous sommes en 1998, la crise asiatique est passée par là. Le capitaine Kang se voit dans l'impossibilité d’accéder aux crédits pour racheter au propriétaire son navire plus que délabré. Soit il trouve assez de cash pour racheter son bateau et en disposer comme il l'entend – et ce ne sont pas ses pêches qui vont lui permettre de faire cela –, soit il doit laisser son bateau, qui sera détruit et remplacé par une subvention gouvernementale. Or, comme tous ses membres d'équipage, on le verra, Kang est un obsessionnel : il est attaché à son rafiot, lui vouant un amour et une loyauté sans faille. Pas d'explication rationnelle à cela, si ce n'est que sa femme le trompe avec n'importe quel loser venu. L'absence d'explication n'est pas malvenue, dans la mesure où le cinéaste travaille à montrer l'attachement obsessionnel avant tout chose, creusant la psychologie de son personnage de toute façon. On remarque également le ton cynique adopté, des pics étant envoyés contre le FMI lors du calme d'un repas ou en pleine tempête au cours d'une dispute avec les clandestins. Ce ton cynique, allant plus loin que les références à la grande institution internationale, est omniprésent. Dans la plus pure tradition du thriller sud-coréen, l'humour noir tient une place non négligeable, et le cinéaste ose le mélange des genres, plus ou moins réussi.


Mais avant de distribuer les mauvais points, continuons sur les louanges. Notons une histoire totalement imprévisible, ce qui devient de plus en plus rare. Certes, arrivé à la moitié du film, on devine bien que quelque chose va mal se passer. Mais quand, comment, et ce qui va advenir, cela, on a du mal à l'imaginer. La suite n'en est que plus délectable. Lorsque l'événement arrive, le film prend son envol vers les sommets de l'ultraviolence. Les personnages révèlent leur nature profonde, et le bateau en devient un à part entière : la brume le rend labyrinthique, la pluie maquille les pièges, la nuit froide marine oblige à l'exploration des moindres recoins. Bref, le bateau devient le meilleur des personnages dans cette histoire qui sombre de plus en plus dans la folie. La tension est permanente, parce qu'une logique de survie s'installe dès le début du film, prenant des accents différents selon les situations : survie financière, survie physique, survie affective... Il y a tout une métaphore sur la préservation de la dignité et de l'intégrité, qui ne trouve pas d'aboutissement, puisque comme dans tout film sud-coréen, les personnages finissent par se saborder eux-mêmes.


Esthétiquement, l'ensemble est remarquable. Parce que le bateau est dans un état minable, parce qu'il est petit, parce que la puissance de la nuit et la tempête semblent le dévorer, le cinéaste parvient à créer un huis clos dérangeant pendant plus une grosse heure. Un huis clos pas si éloigné de la première demie-heure du Transperceneige de Bong Joon-ho, d'ailleurs. Cependant, on aurait apprécié que Shim Sung-bo se laisse aller à plus de fantaisie dans les angles de caméra, comme il le fait à certains moments du film. Parfois, il ne faut pas avoir peur d'expérimenter quitte à perdre en virtuosité. Ce terrain si particulier de huis clos maritime était en tous cas propice à quelques surprises techniques supplémentaires. Attention, l'ensemble reste extrêmement travaillé et bien au-dessus de la moyenne, je pense juste que compte tenu du talent du réalisateur, qui a de plus été à bonne école, il avait largement les moyens de proposer des scènes brillantes en osant plus de choses sur sa mise en scène. Les scènes d'action restent dans tous les cas d'excellente facture, retranscrivant le chaos ambiant. Et que dire du travail sur l'atmosphère et l'ambiance, qui constitue évidemment la plus grande réussite du film.


Malheureusement, tout n'est pas parfait.
Il y a d'abord ce mélange des genres, qui, s'il est un passage obligé du cahier des charges du thriller coréen, ne fonctionne pas autant que souhaité ici. Comprendre que les personnages sont certainement trop classiques, et pas assez poussés psychologiquement, pour réellement convaincre lorsque la démence et l'hystérie collectives prennent le dessus. Lorsque la violence atteint des sommets tels dans l'horreur, que les personnages se réfugient ainsi dans leurs obsessions respectives (l'innocent pur et romantique, le lubrique et le violent qui se font concurrence, les deux plus âgés un brin plus humains...) révèle un effet grotesque largement supplanté par le manque de crédibilité. Si appréciable chez un Bong Joon-ho ou un Kim Jee-woon, le mélange entre bouffonnerie et gravité, entre superficialité et drame choral, laisse trop sa place à une déconnexion des personnages vis-à-vis de la réalité. Trop insistant sur l'obsession sexuelle de deux de ces marins en plein naufrage, sur celle de son capitaine envers son bateau, sur le pathos de l'idylle entre les deux personnages les plus justes, purs et innocents, le cinéaste prend le risque d'essuyer les critiques de ses spectateurs sur le fait que l'ambiance de son film se démonte aussi puissamment que l'océan autour des personnages. En résumé, trop d'exagération tue l'exagération. Il aurait fallu davantage la maîtriser. Sur le même modèle, Kim Ki-duk s'est pris les pieds dans le tapis avec son Pieta, dans lequel une violence trop gratuite laminait son propos déjà fort limité dès le départ. La tonalité générale de la seconde moitié du film aurait donc dû être recadrée, et une partie de la fin corrigée, pour ne pas se confronter au manque de crédibilité. L'épilogue, quant à lui, reste assez efficace.


On relève aussi l'interprétation trop monotone de Kim Yun-seok en salopard, soit le même rôle que celui endossé dans The Chaser et Hwayi... Plutôt que de reprendre le flambeau laissé par Choi Min-sik, habituel gros pervers psychopathe des polars sud-coréens des années 2000, Kim Yun-seok devrait varier ses rôles, car cela fait quand même 3 films qu'il nous sert quelque chose de quasiment identique...

Côté bonus, identiques sur DVD et Blu-ray, on retrouve une bande-annonce, un making-of de seulement 3 minutes et une présentation des personnages de 5 minutes. Le strict minimum de la part de Wild side qui a déjà fait mieux.

Même si Sea Fog s'égare en ne parvenant pas à maîtriser une tonalité bouffonne dans sa deuxième partie, qui contraste avec la crédibilité attendue, il apporte beaucoup de choses à un genre pourtant surexploité, grâce à un scénario osé, une maîtrise esthétique et technique incontestable, une ambiance cassante et glaçante. Il FAUT que Shim Sung-bo retente l'expérience de la réalisation, cela lui réussit !
Critique 1 : L'avis du chroniqueur
RogueAerith

16 20
Note de la rédaction