Blind Mountain - Actualité anime

Critique du dvd : Blind Mountain

Publiée le Lundi, 03 Mars 2014

Dans le nord de la Chine, au début des années 1990, Bai Xuemei, étudiante en médecine, part dans les campagnes, espérant gagner un peu d'argent en vendant des herbes médicinales. Elle est enlevée et vendue à un paysan, avec la complicité des autorités et de l’ensemble des villageois. S’échapper, se résigner, se tuer, que choisira la jeune femme ?

« Blind Mountain », réalisé en 2007 par Li Yang, a été présenté à Cannes dans la sélection « Un certain regard ». C'est le second long-métrage du réalisateur chinois, connu pour avoir remporté un ours d’argent à Berlin pour son premier film « Blind Shaft » en 2003, qui s’intéressait à la vie de mineurs clandestins. Habitué des documentaires télévisés critiquant le basculement de la Chine dans l'économie de marché mêlée au système du parti unique corrompu, Li Yang choisit avec « Blind Mountain » de traiter d'un fait social chinois : la vente de jeunes femmes comme « épouses » à des paysans. Dans la veine d'un Jia Zhangke, la critique est acerbe. Oubliez le « Dogville » de Lars von Trier, avec une Nicole Kidman piégée dans un village dont les maisons n'ont pas de murs. « Blind Mountain » est beaucoup plus direct, avec, comme on le verra, un réalisme tellement fort que l'aspect documentaire est prégnant.
 

 
 
Les critiques sont souvent complaisantes avec des réalisateurs bravant les autorités de censure d’États à tendance autoritaire (Chine, Russie, Moyen-Orient...). La moindre pellicule filmée en caméra cachée, avec image brouillonne, montage inachevé, narration expérimentale, doit être prétexte à l'admiration, parce que tournée dans des conditions extrêmes, parce qu'il faut forcément applaudir devant tant de courage et de pugnacité, au détriment des qualités non évidentes du résultat final, victime de la confrontation funeste entre art et politique (la seconde étant gagnante dans 99,99% des cas). Du courage, Li Yang en a eu pour faire son deuxième film. On ne l'écrira ou le dira jamais trop. Tourner des films sur certains sujets dans certains pays relève de l'impossible. Pourtant Li Yang l'a fait. Néanmoins, du fait de nombreux facteurs, le résultat n'est pas toujours probant, la principale difficulté étant de ne pas céder aux sirènes d'une acceptation de n'importe quelle œuvre parce qu'elle est issue d'un contexte particulièrement complexe. Si un film à petit budget amène à être tolérant dans certains domaines, d'autres sont censés être plus à l'abri des problèmes financiers, et donc plus aisément critiquables. Heureusement, « Blind Mountain » présentant des qualités indéniables, il n'est pas besoin de trop forcer pour en dire du bien à tout prix. Mais ses insuffisances ne sauraient être tues pour autant.
 

 
 
Du côté des qualités, il y a tout d'abord ce réalisme du film, montrant un fait de société de la Chine rurale : des femmes des villes manipulées pour être revendues à des paysans, pour être mariées de force et engrossées pour donner de préférence un garçon. Li Yang a voulu signer un film-témoignage, craignant que l'histoire de cette pratique ne tombe dans l'oubli. « Blind Mountain » prend de forts accents de documentaire, tant tout est dépeint avec souci du détail. Hormis Huang Lu, qui joue la jeune femme captive, les acteurs sont des non professionnels locaux (des paysans, le plus souvent analphabètes) ou font partie de l'équipe de tournage. Les décors sont plus vrais que nature (normal, l'équipe est allée se perdre dans la montagne chinoise...les anecdotes sur les problèmes de ravitaillement alimentaire sont légions dans le making-of). Le mode de vie rural est décrit avec maintes précisions. La mise en scène est tournée vers l’immersion totale (angles de vue dans les coins sombres, plans longs) ; et pour parachever l'aspect fortement documentaire, la photographie a été confiée à Lin Jong (ancien collaborateur d’Ang Lee) qui donne un grain particulier à l'image.
 

 
 
Autre qualité : la violence du film est calquée sur le sujet traité, mais le réalisateur n'en fait jamais trop, ne tombe pas dans la débauche. Cette violence crue mais dans le même temps très mesurée est une nouvelle preuve d'un réalisme qui a été incontestablement le maître mot pour Li Yang. Viols, coups, injures, mais surtout négation de la liberté, du début à la fin, ne sont pas filmés avec voyeurisme. Au contraire, la distance est plutôt de mise. Tant mieux. Dès son arrivée dans le village (on ne vous en dit pas plus), les villageois considèrent Xuemei, la jeune fille enlevée, comme l'une des leurs. Peu importe sa résistance, ses convictions. Tout le monde nie ce qu'elle est, des personnes âgées aux enfants. Les autres femmes enlevées ont obéi : elles ont choisi la résignation. Xuemei ne se laissera pas faire, jamais. De là ressort l'un des nombreux intérêts du film : le parcours de Xuemei, ses différentes fugues, punitions, humiliations. Et lorsque la fin du supplice est proche, une forme d'hystérie collective s'empare des villageois : Xuemei leur appartient. On ne parle plus de négation de liberté, mais de négation d'humanité. L'une des scènes finales est particulièrement forte, mettant en interaction Xuemei, son père, le chef du village, les villageois en colère, les policiers tentant de calmer la foule : Li Yang filme deux mondes. L'un accepte la liberté et l'Homme, l'autre raisonne en animal, aveugle devant la liberté d'autrui (d'où le nom du film, littéralement « la montagne aveugle »). On comprend par conséquent toute l'ampleur de la critique du film de Li Yang. Si celui-se défend d'être trop véhément à l'égard des paysans chinois dans le making-of, il peine sur la durée à cacher sa critique très forte de la pensée d'une catégorie de la population (aujourd'hui disparue ? Rien n'est moins sûr). En témoigne des propos du cinéaste tels que « Blind Mountain est une critique du règne de l’argent-roi dans la société chinoise, de la laideur, de la cupidité, de la brutalité et de la trahison dans la nature humaine. C’est un appel à un retour des valeurs humaines élémentaires dans notre société ». Oui, « Blind Mountain », c'est tout ça. La Chine rurale s'en prend plein la gueule. Mais cette critique intransigeante demeure riche, puisque de multiples questions se posent aux yeux des spectateurs, dont l'une pas forcément attendue : entre Xuemei et les villageois pauvres, analphabètes, violents, qui inspire le plus la pitié ? La colère gronde dans le cœur du spectateur devant le destin de Xuemei et devant l'aveuglement des villageois : deux facettes d'un même sentiment. Si le spectateur s'identifiera forcément à Xuemei qui partage les mêmes valeurs « humaines », il s'interrogera aussi sur le devenir des paysans. Li Yang livre donc une réflexion particulièrement intéressante.
 

 
 
Cependant, son film n'est pas exempt de défauts, étrangers au budget minimal utilisé. L'aspect documentaire et le réalisme ont une contrepartie : la linéarité et une forte prévisibilité des événements. Même si ceux-ci choquent et s'enchaînent avec une logique implacable, « Blind Mountain » manque de surprises. Alors certes, le film n'est pas là pour ça. Mais tout de même. Une fois qu'on a compris que Xuemei ne choisira toujours qu'un seul des choix qui s'offrent à elle (fuite, résignation, suicide), on devine aisément ce qui va se passer à la scène d'après... Mais la durée relativement courte du film (1h30), et le fait que le réalisateur aille toujours à l'essentiel, permettent au film de ne souffrir de quasiment aucune longueur, et sont là pour compenser un rythme parfois lassant.

Notons l’interprétation de Huang Lu est assez exceptionnelle, le changement physique étant visible et particulièrement bien amené et une bande-son discrète collant au ton documentaire du film.

Spectrum films livre une édition de qualité, hormis quelques problèmes au niveau de la traduction dans les sous-titres (quelques fautes, bugs d'affichage, textes restés en anglais). Mais il faut retenir les efforts faits pour le making-of, long et très bien traduit, avec des questions pertinentes permettant au réalisateur, une fois passé le début longuet de remerciements à toute son équipe, d'expliquer toutes les difficultés rencontrées pour concevoir son film une par une (exemples : sponsors se désistant au fur et à mesure qu'ils se rendaient compte que le film n'allait pas passer devant les autorités de censure, autofinancement sur les fonds familiaux...) et de nous donner librement sa vision de la Chine contemporaine.
 

 
 
Malgré sa répétitivité, « Blind Mountain » fait mouche. Il n'y a plus qu'à attendre « Blind River », qui devrait clôturer la trilogie critique de la société rurale chinoise. En espérant plus de moyens financiers (cela va être dur), pour que Li Yang puisse enfin imaginer et concevoir une œuvre plus ambitieuse, à la manière du génial « A touch of sin » de son compatriote Jia Zhangke sorti fin 2013. Faire taire des cinéastes aussi talentueux en ne leur accordant aucun fonds, sacré crime !
  
Critique 1 : L'avis du chroniqueur
RogueAerith

13 20
Note de la rédaction