Sommelier - Actualité manga

Critique de la série manga

Publiée le Jeudi, 28 Février 2013


Yakitate !! Ja-pan a ouvert la voie, alors maintenant préparez-vous à déguster ! Et après le pain, une spécialité bien de chez nous, les Japonais remettent à l’honneur la France et sa gastronomie. Avec Sommelier, ils s’attaquent en effet à notre patrimoine avec autant de respect et d’imagination qu’il faut pour rendre un manga aussi ludique que divertissant.

« Le vin que je cherche ne se trouve pas ici. » Voilà comment le jeune Joe Satake, un Franco-japonais, a refusé le premier prix du concours du meilleur sommelier de France. C’était il y a cinq ans et depuis, il s’est naturellement attiré la colère du monde très fermé des œnologues, coupant ainsi court à une carrière qui s’annonçait exceptionnelle. Mais pourquoi ce refus, et surtout que se cache-t-il derrière ce mystérieux discours ? Si les premiers chapitres répondent en partie à ces questions, le lecteur fait connaissance avec le sommelier dans une tout autre affaire de goût, à savoir le lit d’une femme. Il s’agit de Margaux, héritière capricieuse du domaine Allan du Médoc, rencontrée dans un grand restaurant parisien appartenant à son père. Une petite leçon de vie sur l’oreiller plus tard – « Tu sens l’odeur de la lavande qu’on jette au feu, douce mais d’une grande tristesse » (sic !) -  il décide de se prêter à un petit test à l’aveugle contre le père de Margaux. Joe devine bien entendu chaque cru et son millésime rien qu’en les humant, jusqu’à ce dernier vin mis en bouteille pour fêter la naissance de Margaux, et qui se révèle avoir manqué d’attention… un peu comme sa fille. Quelle métaphore, quelle subtilité ! Deuxième chapitre, deuxième fille, toujours rencontrée dans un restaurant où il officie comme sommelier et en prise avec un goujat. Une petite leçon sur le Château Laffite Rotschild 1787, une petite baston, et hop au lit ! Il n’en faut pas plus à Joe, qui après une énième métaphore viticole et un peu de virilité bien sentie, laisse ces donzelles face à leurs démons. Comme cette jeune journaliste qui tombe sous le charme car elle n’a jamais rencontré une personne aussi consciencieuse, elle aussi innocente en amour qu’en vin. Une conquête féminine et viticole de plus, et la coupe était pleine. En effet, pour un manga sur le vin et le bon goût, les chapitres introductifs se révèlent d’une lourdeur et d’une prétention déconcertantes, presque rédhibitoires. Les enseignements sur l’univers viticole passent alors presque inaperçues, de même que la quête de Joe, ce vin que sa mère lui avait fait découvrir enfant.

Golden Boy, Golden Manga

Le premier des six volumes de Sommelier peut en effet prêter à confusion, il dresse le portrait d’un héros poseur, infaillible, prétentieux, justicier, donneur de leçon, et en fin de compte rapidement détestable. Il fait indiscutablement pensé au Kintaro de Golden Boy de Tatsuya Egawa, l’humour et l’humilité en moins. Kintaro révolutionnait la vie de nombreuses donzelles en les mettant face à leurs contradictions grâce à des stratagèmes aussi cocasses qu’hilarants… mais surtout il apprenait lui-même beaucoup. Or, Joe semble déjà blasé, sait tout sur tout, et surtout sur le vin, enchaîne les formules toutes faites, et la métaphore homme/vin n’est pas des plus discrètes. Heureusement, cette entrée en matière s’apparente plus à une manière maladroite d’attirer un lectorat de jeunes adultes, puisque rapidement le récit se recentre sur la recherche du vin parfait (après le pain parfait ?) de Joe. Après une  belle démonstration sur le champagne, Joe retrouve la trace de sa mère via l’intermédiaire d‘un tire-bouchon. Et dès lors qu’il suit cette trace, et quitte la France pour l’Allemagne, le manga devient tout d’un coup palpitant, et ne se cache plus derrière son héros. Rien que ce chapitre sur les secrets de fabrication et d’utilisation du tire-bouchon s’avère passionnant. Il est juste encore frustrant à ce stade de voir comment les auteurs, sûrement par peur de voir leur manga ressembler à une énumération de connaissances, peinent avec leurs personnages et leurs histoires prétextes. Entre la belle fille, le méchant de service et le monde fermé presque sectaire des oenologues, ils tricotent des mésaventures qui ne rendent pas toujours justice à leur sujet, ou plutôt à leur maîtrise de ce sujet.

Du goût et du style

En effet, le manga ne se limite pas à présenter les différents vins existants, il apporte pour chaque nom, chaque millésime, chaque vigne, chaque région ou chaque pays, des détails aussi anecdotiques que précieux. Chaque chapitre amène son lot de révélations, du moins pour le lecteur néophyte, et il n’est pas rare de s’y replonger pour en saisir toute la saveur. Inutile d’ailleurs d’essayer de vous donner des exemples ici, par  peur de faire une erreur, un oubli, et surtout parce que le manga le fait magistralement dans ses pages, avec un petit récapitulatif des grands vins cités : le Château Margaux, le Champagne Egly-Ouriet Brut, le Brauneberger Juffer-Sonnenuhr Spätlese Fritz Haag (ouf !) ou encore le Chambolle Musigny les Amoureuses. Il n’est pas interdit de prendre des notes, les Japonais n’hésitant d’ailleurs pas à se rendre chez le caviste le manga sous le bras. Si Sommelier ne convainc pas totalement encore avec ses histoires de manipulation et d’ego, il remporte tout de même l’adhésion grâce à un dessin précis et fin, et une mise en page discrète et efficace. Le travail sur les décors est irréprochable, et il est toujours amusant de reconnaître au détour d’une case, une rue typiquement parisienne ou une station de métro. Une sensation de liberté et de légèreté se dégage des planches, et le temps et l’espace semblent s’immobiliser lorsqu’une bouteille ou un verre entrent dans le champ. La lecture de l’édition bunko (petit format, 300 pages) n’est pas toujours aisée au début, mais au final, elle rend honneur à la série en devenant un bel objet, que l’on serait presque tenté de ranger sur les étagères de la cuisine.

Promotion

A l’image de Hikaru no Go, où les deux auteurs s’étaient octroyés les conseils d’une joueuse de go professionnelle, Sommelier est le fruit de trois personnes. Le scénariste Araki Joh, originaire de Yokohama, a commencé à écrire pendant ses études dans une université catholique américaine. Il a tour à tour travaillé dans le journalisme, la publicité avant d’écrire pour le manga. Connu aussi sous les pseudonymes Mitsugi Joh ou Arajin, il a signé Shun no Wine (tiens une autre série sur le vin) ou Kabu Market. Le dessinateur Shinobu Kaitan a bien commencé en remportant le prix Tezuka dès 1991. Deux ans plus tard, il publie la série Suisan Police Gang avant de rencontrer le succès en 1995 avec Sommelier. Depuis, il pblie régulièrement des séries, parfois plusieurs en même temps, dans les magazines de prépublication pour jeunes adultes et salary-men, de Allman à Business Jump. Enfin, Ken-Ichi Hori, originaire de Hokkaidô, est reconnu comme le grand spécialiste japonais dans le milieu œnologique mondial. Il est même le représentant japonais à l’Association des producteurs californiens de vin.  Il a signé en 1998 le livre La liberté du vin chez Shueisha. Cette fine équipe a permis la promotion du vin auprès des Japonais, et plus des Japonaises, en contrepoint du saké, un peu comme le pain pour le riz dans Yakitate !! Ja-pan. Oui, deux spécialités françaises, qui, paradoxe ultime, livreront leurs secrets et trouveront peut-être une place de choix dans le cœur et la bouche des lecteurs français grâce au manga ! On aura tout vu !

Hoagie


Note des lecteurs
15/20