Critique de la série manga
Publiée le Jeudi, 18 Juin 2015
Une jeune médecin, Akira Kato, membre du service de chirurgie du CHU de Meishin, souhaite devenir professeur pour pouvoir réformer le système de soins. Celui-ci est effectivement rongé par le conservatisme d'un vieux professeur, Takeo Noguchi, opportuniste et manipulateur. Pour pouvoir devenir professeur, Akira Kato doit soutenir une thèse, puis passer le cap des élections. La chirurgienne, trentenaire, volontaire, bosseuse comme personne, choisit un sujet de thèse particulièrement complexe et sensible : la procédure Batista, consistant en l'amputation d'une partie du muscle ventriculaire gauche (une partie du cœur donc), permettant à terme une survie prolongée de patients accusant des problèmes d'insuffisance cardiaque et ne pouvant subir de greffe. Pour ce faire, Akira a cependant besoin d'un chirurgien de génie, rapide, précis, compétent. Elle décide donc d'aller à la rencontre de Ryutaro Asada, dont la réputation en tant que chirurgien est excellente...mais au caractère ingérable. Véritable rebelle, anticonformiste, assez proche d'un Dr House, Ryutaro se distingue pourtant de ce dernier en restant très proche de ses patients. Il considère en effet que le système de soins japonais privilégie les maladies plutôt que les patients, dénonce un système médicocentré, peu humain. En fait, Ryutaro a perfectionné ses techniques pendant une longue période en tant que chef de la « Team Medical Dragon », une équipe médicale travaillant pour le compte d'une ONG et spécialisée en soins d'urgence, intervenant dans les pays touchés par des conflits armés. Malgré son caractère bien trempé, Ryutaro excelle en tant que chirurgien du fait de cette expérience passée sur le terrain dans des conditions extrêmes : Akira Kato décide donc de l'intégrer comme chirurgien principal de ses opérations Batista, espérant de bons résultats qui pourraient lui faciliter l'ouverture d'un poste de professeur.
Team Medical Dragon est un seinen prenant place dans le milieu d'un hôpital universitaire japonais, créé selon une idée originale d'Akira Nagai, lui-même médecin et journaliste médical décédé d'un cancer en 2004. Aux dessins, on retrouve Taro Nogizaka.
Les 25 tomes de Team Medical Dragon vous plongeront ainsi dans plusieurs intrigues internes au CHU Meishin, dont la continuité est l'une des forces du manga : l'objectif visé est de voir comment Akira Kato accédera (ou pas) au poste de professeur du service de chirurgie pour pouvoir le réformer, tout en composant avec les frasques de Ryutaro et les oppositions multiples des autres médecins de Meishin.
Les premiers tomes s'axent sur la composition de l'« équipe Batista » qui réalisera les opérations permettant à Akira d'élaborer sa thèse, et moyen idéal pour faire la connaissance des principaux personnages de la série. C'est Ryutaro qui ralliera tout le personnel nécessaire à l'opération, malgré la complexité de celle-ci, par son charisme et sa personnalité hors du commun. Parmi les membres de l'équipe Batista, on retrouvera ainsi : un jeune interne, Noboru, qui acquerra très vite de l'expérience pour tenir le rôle de deuxième assistant ; Fujiyoshi, un cardiologue imposant et proche de sa petite fille malade, qui sera chargé de la prise en charge et du contrôle du patient avant et après opération ; Miki, une infirmière de bloc, intime avec Ryutaro ; Arase, anesthésiste talentueux mais alcoolique. Face à eux se dresseront le vieux Noguchi, ainsi que Gunji Kirishima, demi-frère de Miki et ex-meilleur ami de Ryutaro, Shoichiro Kunitachi, chirurgien mondialement connu qui revient au Japon pour réformer les soins sur le modèle libéral des Etats-Unis, ou encore Naoto Kito, chef du service des urgences souhaitant récupérer Ryutaro aux urgences. Concomitamment à l'élaboration de sa thèse, Akira devra se lancer dans les élections au poste de professeur et conquérir son électorat, et faire face à la défiance d'un personnel médical essentiellement masculin et âgé, conservateur dans les soins et jaloux du talent de Ryutaro. Celui-ci devra quant à lui imposer son idéologie : s'occuper du patient, la formation des jeunes internes, le perfectionnement des techniques...
Team Medical Dragon, contrairement à certaines critiques de lecteurs faites au commencement de la série, ne souffre pas de la comparaison avec les différentes itérations d'un autre manga médical très connu, Black Jack (et par extension Say Hello to Black Jack). Réputé plus accessible, Team Medical Dragon n'en est pas moins engagé : en se focalisant sur les problèmes principaux de la médecine japonaise contemporaine, et en se montrant très critique envers l'inertie d'une caste de médecins bureaucrates refusant toute réforme et porteur d'un système largement phallocratique, la série s'écarte d'un aspect « arcade » (accessible) pour devenir plus simu' (critique et relativement complexe), dira-t-on. Certaines idées font vraiment plaisir à voir, telle l'importance accordée à la place des jeunes, la conciliation de la vie familiale avec celle de médecin... La série brille également très souvent par son sens du suspens lors des opérations et de vrais retournements de situation, et s'avère très plaisante grâce à des personnages attachants et qui gagnent en complexité : du vrai seinen en somme.
Toutefois, Team Medical Dragon n'est pas parfait. Le premier tome est étonnamment rongé par les scènes sexy gratuites (que l'on ne retrouvera plus jamais par la suite), la série s'essouffle durant 3-4 tomes en plein milieu, et certains parti-pris agacent. C'est notamment le cas de certaines scènes qui se complaisent à faire des médecins de véritables dieux, par une mise en page n'ayant rien à envier à un blockbuster hollywoodien. De même, dans sa critique de certains personnages, le dessinateur cède souvent à des métaphores animales, comprenez des scènes où les personnages sont représentés comme des animaux de la jungle ou de la savane, puissants ou féroces. A ce titre, le trait du dessinateur est fin, mais beaucoup de lecteurs n'apprécieront pas le travail sur les visages, marquant les expressions des visages (un peu à la manière d'un Ryoichi Ikegami). Question de goût. Là où Team Medical Dragon s'avère réellement décevant, c'est sur sa fin, malheureusement assez niaise alors même que l'auteur donne les bonnes réponses. Enfin, on peut reprocher à la série de « manquer de friandises », c'est-à-dire d'être avare en flashbacks, notamment sur le passé des personnages, et plus particulièrement sur leur action humanitaire dans la Team Medical Dragon en Afrique subsaharienne. C'est quand même le titre de la série, et celui-ci ne sera jamais vraiment mis en valeur. Faut-il comprendre que l'équipe Batista menée par Akira tout au long de la série est une nouvelle Team Medical Dragon ? Le terme « Dragon » fait-il uniquement référence au prénom de Ryutaro (littéralement « petit dragon » en japonais) ? Le mystère reste entier. Malgré ces petits défauts, Team Medical Dragon reste une série de très grande qualité. Les intrigues médicales et électorales sont extrêmement réalistes, et l'aspect critique du manga, présent dès les couvertures, est plaisant.
Notons que l'édition de Glénat, sur 25 tomes, est de très grandes qualité, malgré des ventes qui sont restées décevantes. L'éditeur s'est notamment attiré les services d'un chirurgien pour rédiger un lexique concernant les termes médicaux, qui, dans certains tomes, sont extrêmement nombreux, demandant parfois un vrai investissement du lecteur. La série plaira incontestablement à des passionnés de médecine, voire aux professionnels eux-mêmes !
Mixage savamment dosé d'intrigues politiques et d'opérations médicales qui ne sombrent jamais dans la vulgarisation en restant parfois très techniques, associant des scènes très réalistes car humaines s'agissant du mode de vie des médecins et de leurs relations avec les patients, Team Medical Dragon est, aux côtés du Black Jack de Tezuka, la meilleure série médicale en manga, devant un Dr Kotô déséquilibré et répétitif et un Say Hello to Black Jack défaitiste et assez prétentieux.
