Baptism - Actualité manga

Critique de la série manga

Publiée le Lundi, 20 Avril 2015

Déjà avec L’école emportée, l’auteur Kazuo Umezu s’imposait comme un des maîtres du manga fantastique et horrifique intelligent. Sur Baptism, son talent atteint de nouveaux sommets et nous rappelle qu’il n’est pas le « père » du genre pour rien. De la figure de l’enfant à la folie ordinaire en passant par un récit cinématographique, le mangaka réussit à faire peur, mais surtout à nous enfermer dans son cauchemar !

Si l’un des maîtres du manga horrifique, Junji Ito, peut se targuer de voir ses œuvres les plus emblématiques éditer en France grâce à Tonkam (Spirale, Gyo, Tomie), on ne peut pas encore en dire autant du « père » du genre, Kazuo Umezu, équivalent sombre et morbide d’Osamu Tezuka. Alors qu’à 70 ans, le mangaka fête actuellement ses 50 ans de carrière au Japon, avec rééditions et adaptations cinématographiques, la France découvre tout juste un deuxième pan de son travail avec Baptism. Le premier nous était déjà parvenu grâce à l’éditeur Glénat et sa collection Bunko en 2004. Dessiné de 1972 à 1974 et récompensé du Grand Prix Shogakukan en 1975, L’école emportée traitait de l’enfance, du retour à la nature au passage à l’âge adulte, de manière originale et surtout fantastique. Lorsque de toute une école primaire et ses élèves disparaissent d’un coup et sans explication pour se retrouver au milieu d’un monde désertique et dangereux, les enfants vont vite ne devoir compter que sur eux-mêmes, s’organiser, survivre, tandis que les rares adultes cèdent à la folie ou au suicide devant l’irrationnel. Ainsi, au travers de cette école, le mangaka revisite rien de moins que tous les modèles de société possibles et imaginables à travers le regard direct, naïf, pragmatique d’un enfant. Sans vécu, culture ou morale, si ce n’est l’innocence, l’enfant devient alors chez Kazuo Umezu un terrain vierge et un vecteur privilégié pour expérimenter et invoquer l’horreur. Et 20 ans plus tard, avec Baptism, littéralement « le baptême »,  il pousse ce concept encore plus loin puisque l’héroïne, une petite fille, en est successivement le témoin, la victime et l’actrice principale.

Miroir, miroir, dis-moi qui est la plus belle ?

Mais au début de l’histoire, l’actrice, c’est sa mère, Izumi Wakakusa, surnommée « la sainte éternelle » pour sa beauté. Sauf que derrière le maquillage, se cachent des rides et surtout une grosse tache la défigurant. Ne supportant plus de se regarder dans un miroir, et encore moins le regard des autres, elle s’accroche à la moindre lueur d’espoir jusqu’au jour où elle a une idée, une idée horrible. Avec l’aide de son médecin personnel, le mystérieux docteur Murakami, elle décide de fomenter un plan diabolique, qui commence quelques jours plus tard par l’annonce de son envie d’avoir un enfant. Et après la naissance d’une jolie fille qui lui ressemble trait pour trait, elle se retire sans prévenir du cinéma et entretient ainsi sa légende. Le temps passe, et dans une petite ville de province, une vieille dame au visage ravagé veille sur sa fille d’une dizaine d’années, Sakura. « Veiller », le mot semble faible, tant la mère surprotège son enfant, du moins son apparence : sa peau, son visage, son corps ! Elle entre même dans une colère lorsqu’elle découvre une égratignure sur le front de sa fille, et n’hésite alors pas à littéralement à battre au sang la responsable, une camarade de classe de Sakura. Bien qu’il ne fait alors aucun doute pour le lecteur qu’il est en présence d’une nouvelle variation sur le thème de la jeunesse et la beauté éternelles, force est de constater que Kazuo Umezu n’a pas son pareil pour planter un décor, installer une ambiance et faire tomber les résistances du lecteur, même le plus aguerri, les unes après les autres.

Comme au cinéma

Ce n’est ainsi pas pour une question de hasard, d’habitude ou de banale empathie que l’auteur choisit d’épouser le point de vue de la petite Sakura. Face à au personnage malade et fou de la mère, elle devient presque un refuge pour le lecteur, un repère a priori solide et innocent sur lequel il peut s’appuyer. Espoir de courte durée, car lorsque Sakura commence à observer les activités nocturnes et étranges de sa mère, la machine infernale est déjà en route. Il suffira d’une nuit - des cadavres de chiens errants, des crânes ouverts, une salle d’opération -, pour que tout bascule et que la vérité éclate. Le docteur a enfin réussi son expérience, il est donc temps de transplanter le cerveau de la mère Izumi dans la tête de sa fille Sakura. D’ailleurs, elle ne l’a conçue que pour ça. Il faut alors voir la réaction de la pauvre Sakura, seule et désemparée, qui tente par tous les moyens d’échapper à son triste destin… en vain. Proche d’un sous-genre cinématographique, le survival, cette partie surprend par sa violence, son intensité et son désespoir. Pendant plusieurs pages, la mère et la fille se poursuivent physiquement, s’affrontent psychologiquement, selon des règles de mise en scène propres au cinéma d’horreur. De Roman Polanski (Le Locataire, Répulsion) à Tobe Hooper (Massacre à la tronçonneuse) en passant par Wes Craven (La colline a des yeux, La dernière maison sur la gauche) ou les récentes tentatives/tortures comme Saw et Hostel, Kazuo Umezu s’inscrit avec aisance dans le sillon des maîtres de l’horreur, voire même trace lui-même le sien et fait preuve d’un sens inné et ludique de la peur.

L’horreur au quotidien

Pourtant, a priori, rien de révolutionnaire dans le dessin ou la mise en page. Un trait un peu daté et proche d’Osamu Tezuka, des cases classiques et rectangulaires, Baptism ne fait ni appel aux créatures atroces du Manoir des horreurs de Ochazukenori, ni au surréalisme de Junji Ito. Non, son récit reste concret, simple, direct. Cet apparent classicisme ou académisme est en fait à double tranchant, et le mangaka en joue, car l’horreur surgit naturellement, sans effet ni suspense. C’est une cueillere dans la bouche, une porte que l’on n’arrive pas à ouvrir, Sakura ligotée dans son lit… Chaque scène est alors décrite avec un même naturalisme, détaillé, explicite, à la limite du complaisant diront certains. Le lecteur est alors aussi fasciné par la détermination du bourreau, que terrifié par l’incapacité de la victime, le talent de Kazuo Umezu étant de (se) glisser de l’un à l’autre, et par la même derrière le lecteur, prisonnier du récit ! De ce(s) point(s) de vue, l’opération de transplantation du cerveau est un grand moment, ou plutôt un gros calvaire. Tout est montré, dans les moindres plans, et  plus perturbant encore, avec en off la voix du docteur expliquant son forfait. Et ce qui aurait pu être l’apothéose morbide de Baptism n’est en fait que l’acte fondateur du manga, de l’histoire, de la nouvelle vie de Sakura.

Eloge de la folie ordinaire

C’est peut-être là le plus grand tour de force de l’auteur, car à la fin du premier volume, sur les quatre que compte le manga, la mère Izumi est devenue sa fille Sakura, le bourreau a revêtu les traits de la victime… même aux yeux du lecteur. Difficile en effet de ne pas se faire de nœuds au cerveau en voyant la petite Sakura commencer à répandre le mal autour d’elle. Car une fois son premier but atteint, Izumi… enfin Sakura s’en fixe déjà un deuxième : faire de son professeur, l’homme de sa vie, son mari. Et elle est capable de tout pour avoir cette « vie normale ». Le manga devient alors le portrait d’une femme-enfant dont l’égoïsme et l’égocentrisme n’ont aucune limite. Pire, il ne fait aucun doute que sa pseudo quête du bonheur est sans fin, et d’un obstacle à l’autre, c’est bien de folie qu’il est question. Une folie, qui, au quotidien et à la lecture, est passionnante, enivrante, fascinante. Tous les thèmes, tous les tabous sont évoqués avec risque (même la pédophilie), mais surtout soin et virtuosité, et deviennent des armes pour Sakura. Le lecteur reste ébahi par son machiavélisme, sa froideur et sa cruauté. Les obstacles tombant les uns après les autres devant elle, le lecteur se demande même qui pourra l’arrêter… et commence irrésistiblement à avoir peur. Mais vraiment peur, comme si cette folie ordinaire, toute-puissance, pouvait faire tomber la dernière des barrières, celle entre la fiction et la réalité, notre réalité. Brrrrrr.

Hoagie

 


Note de la rédaction
Note des lecteurs
17/20

Evolution des notes des volumes selon les chroniques:

17.00,18.00,17.00,13.00

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